VICE : Étiez-vous surprise que ces hommes acceptent de vous parler, étant donné le caractère « secret » de leurs activités ?
Professeur Alicia M Walker : Ce que je retiens, c’est que lorsque vous faites quelque chose en cachette, vous appréciez l’occasion d’en parler à quelqu’un d’extérieur et d’impartial. À un moment ou à un autre de l’entretien, tous les participants m’ont parlé de leur personnalité, de leur travail, de leurs réseaux sociaux. Tout le monde veut être vu, je pense.
Vous dites que certains hommes ont arrêté l’entretien en cours de route. Avez-vous eu d’autres difficultés ?
J’ai eu un participant un peu trop enthousiaste. Nous avions complètement terminé l’entretien, et deux ou trois semaines plus tard, il m’a envoyé un mail pour me raconter en détail la soirée qu’il venait de passer avec une femme. Il a écrit tout un paragraphe sur le fait qu’il la trouvait peu attirante. En gros, sa version de l’histoire était la suivante : « En couchant avec cette femme avec qui personne ne veut coucher, j’ai fait un acte de charité. » Il s’attendait à ce que je lui dise qu’il était un type formidable, ce que je n’ai pas fait, bien évidemment. Il s’est mis en colère et m’a dit : « J’aimerais ne jamais vous avoir parlé. » J’ai dit : « Pas de problème, je supprime toutes vos données de l’étude. »
Qu’avez-vous pensé du scandale Ashley Madison et des suicides liés au piratage du site en 2015 ?
J’ai trouvé terrible que ces hommes aient été victimes de chantage. Des vies ont été perdues pour rien. Certains diront qu’ils ont eu ce qu’ils méritaient. Mais pourquoi ? En quoi est-ce normal de violer la vie privée de quelqu’un ? Les gens sont toujours plus prompts à condamner la personne qui est nue sur les photos qu’à condamner la personne qui les a publiées sans son consentement. Je pense que cela en dit long sur notre malaise inhérent face au sexe et au corps humain. Ashley Madison est une entreprise multimillionnaire qui fournit des services à de très nombreux clients. Il serait beaucoup plus productif de se demander : Que pourrions-nous faire pour diminuer le nombre de personnes qui ressentent le besoin d’utiliser ces services ?
Avez-vous une certaine empathie pour les hommes infidèles ?
Je ne fais pas l’apologie de l’infidélité, loin de là. Je suis pleinement consciente qu’elle peut être dévastatrice. Mais tout n’est pas noir ou blanc. Quand on parle à des hommes infidèles, on se rend vite compte que la réalité est plus compliquée. Beaucoup trompent leur partenaire parce qu’ils ont des besoins non satisfaits ; ils ont quelque chose dont ils ne peuvent se passer, mais en même temps, ils ne veulent pas briser une relation heureuse et amoureuse. Cela peut sembler égoïste, mais si nous voulons essayer de comprendre la dynamique qui mène à l’infidélité, nous devons le faire avec le moins de préjugés et de jugements possible.
Comment la littérature sur l’infidélité a-t-elle évolué ?
Avec le passage aux enquêtes en ligne, on se rapproche des chiffres réels. En général, on part du principe qu’ils sont plus élevés que ceux rapportés. Ce n’est que récemment que nous avons commencé à nous intéresser aux femmes adultères. Mais les raisons qui pourraient être à l’origine de l’augmentation du nombre de femmes adultères pourraient également l’augmentation des chiffres enregistrés.
Dans votre précédent livre, vous avez constaté que les femmes trompent principalement pour le plaisir sexuel. Dans ce livre, vous dites que les hommes trompent avant tout pour des raisons émotionnelles. Nos stéréotypes sur l’infidélité sont-ils, par conséquent, erronés ?
Je pense qu’il y a une différence entre quelqu’un qui fait la démarche de se connecter à un site comme Ashley Madison pour y créer un profil et quelqu’un qui a une aventure spontanée avec un collègue de travail – une aventure dans la nature, comme j’aime à l’appeler. Mais parmi les femmes à qui j’ai parlé sur Ashley Madison, il apparaît, en effet, que la grande majorité d’entre elles trompent leur partenaire pour des raisons purement sexuelles. Elles étaient extrêmement pragmatiques à ce sujet. Les hommes ont raconté une histoire très différente, non seulement sur leurs motivations, mais aussi sur la dynamique de leur couple. Ils aiment leur femme, mais ont l’impression que leur relation manque d’intimité émotionnelle.
En faisant vos recherches, êtes-vous arrivée à la conclusion que la monogamie n’est pas la meilleure option ?
Il est impossible de faire ce travail sans y penser. La moitié des femmes à qui j’ai parlé pour mon livre précédent m’ont dit qu’elles aimeraient avoir un mariage plus ouvert, que tout le monde en serait plus heureux. Les hommes n’étaient pas du tout intéressés par une relation ouverte. Les femmes m’ont dit que lorsqu’elles ont commencé ces liaisons, elles ont parlé ouvertement de leurs attentes. Elles m’ont toutes dit qu’elles auraient aimé avoir des conversations aussi ouvertes avec leur mari avant le mariage. En conclusion, il est très important d’avoir ces conversations avant d’entamer une relation et de continuer à parler tout au long de la relation, même si c’est difficile.
Beaucoup de gens diront qu’il vaut mieux mettre fin à une relation que de tromper et de mener une double vie.
C’est facile à dire, mais difficile à faire. La vérité est que les gens se trompent en masse. Alors au lieu de porter des jugements, nous devrions adopter une nouvelle approche et essayer de comprendre la dynamique à l’œuvre. De nombreuses personnes ont du mal à quitter une personne qu’elles aiment, même si cette relation leur paraît insoutenable. Tous les hommes à qui j’ai parlé aiment leur femme. Ils l’adorent, même. Tous m’ont dit : « L’infidélité renforce mon estime de soi, je me sens mieux dans ma peau et mes besoins sont satisfaits, mais j’aimerais vraiment que ce soit ma femme qui réponde à ces besoins. » Ils restent parce qu’ils ont de l’espoir ; ils espèrent qu’à un moment donné, les choses changeront à la maison.
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