Quand elle était bébé, Jana Dekort (23 ans) a subi une intervention chirurgicale d’urgence. L’opération a été un succès, mais la cicatrice sur son ventre reste encore bien visible. Au fil des années, elle a réalisé que, bien qu’elle n’ait pas été affectée par l’opération, elle doit encore faire face aux regards et aux questions que sa cicatrice suscite. 

Le jour où Jana a dû choisir un sujet pour son projet de fin d’études, elle n’a pas eu à réfléchir longtemps : elle a voulu mettre en évidence les cicatrices que les gens cachent sous leurs vêtements et derrière leurs sourires. Pour ça, elle a rencontré ses modèles et engagé un dialogue approfondi sur l’histoire de leur corps. C’était important pour elle de fixer des limites claires, pour que toutes les personnes qui se retrouvent devant son objectif se sentent fières et à l’aise avec l’image qu’elles ont créée ensemble. 

Hidden scars est une série noire et brute, d’images et d’histoires qui laissent peu de place à l’imagination. En montrant la réalité des corps, la photographe pourrait contribuer à ce que les gens concernés se sentent plus à l’aise dans leur peau. Tout comme les cicatrices elles-mêmes, ces images peuvent aussi aider au processus de guérison des personnes qui vivent avec. Jana explique : « C’était parfois difficile, mais ça faisait du bien d’être là et de briser le tabou. J’ai ressenti toutes les émotions possibles. »

Jaimy

« Je suis né à 30 semaines, donc prématuré. Les médecins ont rapidement découvert que j’avais un nœud dans les intestins et j’ai dû être opéré immédiatement après la naissance. Ils ont ouvert mon ventre à l’horizontale. Apparemment, une partie de mes intestins était en train de mourir. 

Après plusieurs examens, on a découvert que je souffrais d’atrésie biliaire, une anomalie congénitale due à une mauvaise construction au niveau des voies biliaires. Du coup, j’ai subi ma première greffe de foie à l’âge de neuf mois. Les médecins ont rouvert ma cicatrice et ont fait une deuxième incision à mi-hauteur. C’était le meilleur moyen d’atteindre mon foie.

Pendant un moment, je n’ai pas osé montrer ma cicatrice parce qu’on me posait tout le temps des questions à ce sujet. Mais ma mère me disait toujours que tout le monde avait des cicatrices et que je devais être fier des miennes. Maintenant, je peux dire que je le suis. »

Nohmi

« J’ai des vergetures sur le ventre dues à la lourde grossesse de nos jumelles, Léona et Aurore. Malheureusement, elles sont nées prématurément. J’étais enceinte de seulement 24 semaines. Elles étaient encore trop petites pour survivre.

Les traces de mes vergetures me procurent un double sentiment : un rappel quotidien de mes filles qui n’ont jamais vu le jour, mais aussi le fait que mon corps n’ait pas réussi à supporter la grossesse.

J’ai beaucoup de mal à me convaincre, jour après jour, que ces naissances prématurées ne sont pas de ma faute. C’est quelque chose que je garderai avec moi pour le reste de ma vie.

La vie est parfois injuste. »

Amber

« Jusqu’à présent, ma vie a été un combat quotidien. Je me suis mutilée pendant des années, là on dirait que ça va un peu mieux. Tu ne peux pas expliquer le pourquoi derrière une automutilation. C’est une sorte d’addiction. Ç’a commencé à cause de mes troubles alimentaires : quand je mangeais trop, je devais me punir. Au début, c’était tout à fait inoffensif, mais c’est devenu de pire en pire. Au bout d’un moment, je me forçais à me faire du mal. Toujours plus profond. Je devais ressentir la douleur. C’est aussi le manque de confiance en moi qui m’a donné envie de me couper plus profondément. Je me sentais moche, sans valeur, comme un échec…

Je finissais souvent aux urgences pour des points de suture ou des agrafes. J’avais vraiment honte. La plupart du temps, je n’osais pas montrer mes cicatrices, et encore moins dire que je les avais faites moi-même. Que pourraient donc bien penser les autres de moi ? Parfois, je rentrais chez moi avec plus de vingt points de suture. Je ne réalisais pas à quel point c’était pas bien. Heureusement, ma mère est infirmière et elle m’aidait à soigner mes blessures. Elle enlevait les points de suture elle-même pour qu’on n’ait pas à nous rendre à nouveau aux urgences. Avec elle, je me sentais bien et en sécurité.

Un jour, j’ai eu un déclic. Je voulais vraiment arrêter. Je ne voulais plus de ces cicatrices. Et puis tout s’est bien passé. Je n’ai pratiquement plus d’envie de m’automutiler, et ce depuis quelques mois maintenant. Je me suis débarrassée de tous mes couteaux. Je suis assez fière de moi. Ça m’a coûté beaucoup d’efforts et de douleur, mais je suis heureuse. C’est le plus important, non ? »

Amber a mis fin à ses jours en 2019.

Michel

« Il y a quelques années, on a découvert que le côté gauche de mon cœur ne fonctionnait plus. J’avais besoin d’un nouveau cœur. Comme solution provisoire, j’ai vécu “sur batteries” pendant un certain temps. C’était pas facile. Si je ne rentrais pas à temps quand elles étaient presque à plat, c’était fini pour moi. Pendant que j’attendais mon nouveau cœur, j’ai eu une bactérie sur mes deux prothèses de genou. Pour s’en débarrasser, on a dû m’opérer huit fois. Malheureusement, c’était peine perdue. Il n’y avait plus qu’une seule option : amputer mes deux jambes. On m’a donné trois jours pour y réfléchir, mais au final, je n’avais plus vraiment le choix. Je voulais vivre et voir mes enfants grandir.

Les deux premières semaines qui ont suivi mon amputation, je n’osais pas regarder le bas de mon corps. C’était étrange de savoir que je n’avais plus de jambes. Parfois, j’avais l’impression qu’elles étaient encore là. J’avais tout d’un coup des crampes au mollet, alors que je n’avais même plus de mollet. C’était très bizarre.

Petit à petit, j’ai appris à vivre avec. Aujourd’hui c’est toujours difficile, mais j’essaie d’en tirer le meilleur. Depuis, j’ai aussi un nouveau cœur. Je suis prêt à vivre à nouveau. »

Bart

« Fin janvier 2015, je suis rentré de mes vacances au ski et j’ai dû reprendre le travail. Je ne me sentais pas bien, j’avais comme une douleur à l’épaule. Ce jour-là, je suis parti du boulot plus tôt et je suis allé chez mon médecin. Il pensait que j’avais attrapé quelque chose à cause du ski et m’a renvoyé chez moi avec des anti-inflammatoires. Mais la douleur a empiré et j’ai commencé à avoir de la fièvre. Même si je prenais les médicaments, c’était insupportable. Finalement, je me suis endormi, puis c’était le black out. Le lendemain matin, une amie est venue me voir. Elle a immédiatement appelé le médecin. J’avais 40 degrés de fièvre et je baragouinais n’importe quoi. Mon épaule était rouge et toute gonflée. Je suis directement parti aux urgences

Malgré plusieurs examens, les médecins n’ont rien trouvé d’anormal, si bien que j’ai été transféré à Louvain. Finalement, on m’a diagnostiqué une bactérie streptocoque, une bactérie mangeuse de chair. Elle pénètre dans votre corps à la suite d’une blessure ou par les muqueuses. Une fois attrapée, vous avez 24 heures. Cette bactérie entraîne souvent la mort ou, au mieux, l’amputation. On m’a directement opéré, parce que j’étais quasiment déjà mort. Les médecins m’ont gardé dans le coma pendant six semaines et ont retiré tous les tissus infectés. Quelque part à mi-chemin, j’ai été confronté à ce fameux “tunnel”. J’avais comme l’impression de flotter, sauf qu’au final j’ai réussi à atterrir à nouveau sur le sol. À l’époque, il n’existait pas d’antibiotique approprié pour cette bactérie, alors l’hôpital m’a administré un traitement qui serait quitte ou double. Ç’a fait le travail et petit à petit, j’ai pu me réveiller.

Après ça, j’ai dû tout réapprendre. Une fois de retour à la maison, j’ai poursuivi le traitement avec des séances de rééducation. Plusieurs opérations ont suivi pour étirer ma peau et faire disparaître partiellement les cicatrices. En tout, la réhabilitation a duré plus d’un an. La greffe de peau est toujours visible, mais ce qui compte c’est que je suis toujours en vie et capable de faire tout ça. Parfois, j’ai encore des douleurs fulgurantes, mais ce n’est rien comparé à ce que j’avais au début. Je suis vraiment heureux de m’en être sorti. »

David

« Ma mère a remarqué que quelque chose n’allait pas chez moi dès mon plus jeune âge. Pendant quatre ans, elle a essayé d’alerter le médecin de famille que quelque chose était bizarre chez moi, mais à chaque fois, il lui donnait une réponse rassurante. Même discours quand on a été consulter un cardiologue, qui a confirmé ce que notre généraliste nous disait.

Après quelques tests supplémentaires, on s’est aperçu que j’avais un trou au milieu du cœur qui faisait que le sang circulait dans le mauvais sens. Les médecins ont soupçonné que c’était le cas depuis la naissance. J’ai été opéré et j’ai récupéré assez rapidement. Au troisième jour, je me promenais comme si rien ne s’était passé.

Pourtant, j’avais honte. Je ne laissais personne voir ma grosse cicatrice. Au bout d’un mois, ça a commencé à sérieusement me gêner. Ça n’a fait qu’augmenter ma peur des hôpitaux. »

« Mon histoire commence il y a 33 ans, quand j’avais neuf ans. Je jouais à cache-cache et je m’étais cachée dans la cuisine à côté d’une gazinière avec une bouilloire dessus. Quand la personne qui devait nous trouver est entrée dans la cuisine, je me suis rapprochée instinctivement de la gazinière pour me cacher. Je voyais sa main qui tâtonnait derrière le mur, je me suis décalée et je me suis approchée trop près du feu. Ma robe a commencé à prendre feu, mais je ne m’en suis pas rendu compte. C’est seulement quand je suis sortie de ma cachette que mes ami·es ont crié. J’ai essayé de l’éteindre avec un rideau. Tout le monde était sous le choc, on m’a vite emmenée chez les voisins d’en face, qui ont finalement éteint le feu et m’ont mis sous une douche froide. J’ai ensuite été transférée à l’hôpital le plus proche. Là, on nous a dit que j’avais des brûlures au premier et au deuxième degré et que je sortirais d’ici soignée. À la fin du traitement, je ne pouvais toujours pas me tenir debout. Après deux semaines, j’ai été autorisé à rentrer chez moi. Une sorte de croûte s’était formée et le reste était censé guérir.

Sauf que quelques jours plus tard, la croûte est tombée et il y avait beaucoup de pus en dessous. On nous a envoyé au centre de traitement des brûlé·es de Stuivenberg à Anvers où on m’a dit que j’avais des brûlures au troisième degré. S’en est suivi la pire agonie de toute ma vie. Le pus a été pulvérisé à l’aide d’une buse haute pression, puis on m’a appliqué de la Flammazine. On a pansé mes plaies et à partir de ce moment-là, je pouvais à nouveau marcher droit.

En une semaine et demie, j’ai subi plusieurs opérations. De la peau a été transplantée du haut de mes fesses vers mon dos et mes bras. Après quelques semaines, j’ai été autorisée à rentrer chez moi. À partir de ce moment-là, j’ai suivi une thérapie physique tous les jours pour étirer ma peau et la garder souple.

Je devais me faire opérer au moins une fois par an parce que je grandissais et que ma peau n’était pas assez souple pour grandir avec moi. Jusqu’à mes 18 ans, j’ai passé toutes les vacances à l’hôpital. Tous les mercredis après-midi, j’étais dans le train pour Anvers. »

Susy

« Quatre mois après mon premier accouchement, on a voulu avoir un deuxième enfant. Comme je suis porteuse du gène BRCA1 et que mes ovules ont été testés pour ça, il a fallu procéder par ICSI. Pour être sûre que nos enfants ne l’aient pas, j’ai dû faire une mammographie. Je me souviens avoir dit à l’époque que tout irait bien. J’aurais dû me taire, parce que ça n’a clairement pas été le cas. Les médecins ont trouvé un petit nodule dans mon sein droit. J’ai remarqué que j’avais mal après la mammographie et j’ai demandé à l’infirmière si c’était normal. Elle ne voulait pas m’inquiéter, mais l’expression de son visage en disait long.

Ensuite, tout est allé très vite : j’ai dû subir une ponction, une scintigraphie osseuse et un PET-scan. Puis le gynécologue m’a annoncé que j’avais une tumeur maligne de 3,7 cm. Cancer du sein, triple négatif. Je ne l’avais jamais ressenti. Le gynécologue m’a demandé si j’allais bien, mais dans ma tête je pensais uniquement à ce qu’on pouvait faire pour y remédier. De préférence le plus tôt possible.

J’ai été prise en charge par ma famille et mon entourage de la meilleure des façons, mais aussi par le gynécologue, les personnel de l’hôpital de jour d’oncologie et les services sociaux. C’était essentiel, parce qu’on se retrouve vite perdue au milieu de ces examens à répétition. Je peux seulement décrire ça comme une période très intense de ma vie. Surtout parce que je venais d’avoir un enfant qui n’avait donc que quatre mois à l’époque.

Je suis toujours restée positive. La seule chose qui m’a posé problème, c’est la lenteur au niveau de la repousse de mes cheveux. Mais, avec le temps, j’ai accepté les cicatrices, elles font partie de mon nouveau corps.

Bianca 

« Je suis née prématurée. Quand j’étais petite, j’ai eu un accident qui a entraîné une fracture du crâne. J’ai ensuite eu une prothèse crânienne partielle, qui devait être remplacée plusieurs fois.

À mon quinzième anniversaire, il a fallu que je remplace la prothèse que j’utilisais à l’époque. À cause des opérations et des cicatrices, je n’avais pas assez de peau pour recouvrir mon crâne. C’est pourquoi, pendant l’opération, il a été décidé d’utiliser la peau de ma jambe pour une greffe.

C’est difficile de subir un tel changement physique si jeune. À cause de tous ces traitements et de toutes ces opérations, j’ai raté beaucoup de moments à l’école et avec mes amis. Cette cicatrice m’a empêchée d’avoir ce contact social pendant très longtemps. On me regardait différemment, on me rejetait souvent. Ça bousille votre confiance et ça n’aide pas votre santé mentale. En rencontrant les bonnes personnes, j’ai pu faire en sorte que cette insécurité disparaisse petit à petit. Mais le sentiment d’être différente reste en moi.

Les restrictions dans la vie quotidienne c’était ce qu’il y avait de plus difficile. Les apparences sont devenues si superficielles et si importantes à la fois dans notre société que ça devenait très limitant. À la piscine, en cours de natation, par exemple, c’était très difficile, parce que je pouvais pas cacher ma cicatrice avec des cheveux mouillés. Ou aller chez le coiffeur, c’est un espace public où les autres pouvaient facilement voir la cicatrice. J’ai donc commencé à éviter ce genre d’endroits. Ç’a un impact sur votre vie sociale. »


Jana

« Quand j’avais 3 mois, ma vie ne tenait qu’à un fil. Je pleurais beaucoup et souvent, mais pour le personnel hospitalier, je n’étais qu’une pleurnicharde. Mes parents étaient désespérés, mais espéraient qu’un jour ça s’arrêterait. 

Un soir, j’étais avec ma mère chez mes grands-parents. Je jouais, quand je me suis mis à cracher beaucoup de sang. Ma mère et mon grand-père étaient sous le choc et ne pouvaient rien faire. Ma grand-mère m’a tiré des bras de mon grand-père, est montée dans la voiture et on m’a vite conduite aux urgences. Ma grand-mère a vu la vie s’échapper littéralement de mon corps. Quand on est arrivé·es au service des urgences, les médecins ont immédiatement retiré mes vêtements et m’ont administré du sang. Ça ne s’est pas fait sans problèmes. Mes parents et grands-parents ne pouvaient qu’attendre dans la crainte.

On m’a examinée pendant des heures, mais personne n’a pu trouver de cause. Sans espoir, on a appelé l’hôpital de Louvain et on m’y a emmenée en ambulance. Les examens nécessaires ont été effectués tout de suite, mais une fois de plus, personne n’a pu trouver la cause. À un moment donné, un des médecins a suggéré une intervention chirurgicale, il soupçonnait que le problème était lié aux intestins. L’hôpital décide donc à ce moment-là de me les enlever partiellement et de placer une poche de stomie. Après l’opération, le chirurgien est venu dire à mes parents qu’ils avaient trouvé le problème. Il y avait un kyste sur le duodénum et il avait éclaté. Quand on naît, nos intestins ne sont pas encore complètement développés ; mais normalement, ils finissent par se former assez rapidement peu après la naissance. Sauf que pour moi c’était pas cas et donc, ç’a favorisé le développement d’un kyste. Il a fini par devenir si gros qu’il a éclaté et provoqué une hémorragie interne. L’intestin a été recousu, grâce à une longue coupure juste au-dessus et autour de mon nombril. C’est ma cicatrice. Après dix jours dans l’unité de soins intensifs et quatre autres jours dans un service ordinaire, j’étais prête à rentrer à la maison, heureuse et sans douleur. »

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