Mae, qui s’exprime sous couvert d’anonymat pour protéger son identité, fait partie d’une communauté de plus de 50 000 personnes qui sont à la recherche de partenaires avec lesquels pratiquer le non-consentement consensuel (consensual non-consent en anglais, soit CNC). Le kink CNC, aussi connu sous le nom de rape play (littéralement « jeu du viol ») est exactement ce que ces termes laissent entendre — une pratique où deux personnes ou plus consentent à une rencontre sexuelle qui imite un viol.
Il est évidemment compréhensible que le CNC suscite une réaction viscérale chez celles et ceux qui n’apprécient pas cette pratique ou ne la connaissent pas suffisamment. D’après ses adeptes, ce rejet est souvent dû à des préjugés ou de la désinformation. Une scène de CNC est quelque chose de très planifié. D’une certaine manière, on peut considérer les participants comme des acteurs jouant un rôle et explorant un désir qui n’est pas vraiment acceptable en dehors du domaine des fantasmes.
Ceux qui pratiquent le CNC en apprécient différents aspects et savent qu’il ne s’agit pas seulement de violence physique — même si celle-ci joue un rôle important dans le plaisir qu’on en retire. Pour le partenaire soumis, il s’agit d’abandonner le contrôle. Pour le dominant, de l’exercer. Les deux parties s’accordent sur un point : elles n’accepteraient jamais de se livrer à cette pratique ou d’être impliquées dans ce genre d’activité si elles n’avaient pas leur mot à dire.
Mae veut un CNC sans brutalité, mais ce n’est pas toujours le cas. Pour certains adeptes, l’idée est de se sentir comme un « violeur dangereux, cruel et violent ». C’est le cas de Mark, 37 ans. Il désire que « ses partenaires se sentent impuissantes, effrayées, en danger et violées ». (Comme toutes les autres personnes avec qui nous avons discuté, Mark s’exprime de manière anonyme pour des questions de vie privée.)
Tout au long de notre conversation, Mark a insisté sur la nécessité pour les deux parties de coopérer en ce qui concerne leurs attentes. Il ne faut pas s’engager dans une activité sexuelle non consensuelle qui n’a pas été négociée au préalable. Selon lui, des limites strictes sont imposées par le biais de safe words, verbaux ou non verbaux (lever un doigt, donner un coup pour ralentir et deux pour arrêter complètement par exemple), mais il estime que le fait de se concentrer uniquement sur ce point édulcore l’expérience. « Le but du CNC est d’offrir un moyen de ressentir ces sentiments réels d’une manière consciente, intentionnelle et en ayant conscience des risques. C’est du sport sexuel extrême », me dit-il sur ma messagerie Twitter.
Parmi les fans de CNC — ou ceux qui pensent pouvoir aimer ça —, nombreux sont ceux qui ont honte de vouloir violer ou être violés, même quand cela se produit dans le cadre d’un scénario fictif. Pendant dix ans, Mark n’arrivait pas à le dire à sa femme. « J’avais très peur d’admettre que ces thèmes m’excitaient », dit-il. « Qu’allait-elle penser de moi ? Comment pourrait-elle croire que je suis un type sûr, sain d’esprit, compatissant et féministe si d’un autre côté je suis aussi excité par l’idée de “violer” son consentement ? » Mark n’a réussi à lui en parler qu’au moment où elle-même a admis que l’idée lui plaisait.
La honte liée au CNC s’étend à tout le spectre du genre. Comment les femmes, par exemple, pourraient-elles avoir envie de vivre quelque chose d’aussi violent ? « Si le patriarcat est violent et oppressif pour les femmes, et que vous êtes perçue [par la société] comme désirant des trucs pareils, quelque chose doit clocher chez vous », explique le Dr João Florêncio, maître de conférences en histoire de l’art moderne et contemporain et en culture visuelle à l’université d’Exeter. « C’est un peu comme trahir le féminisme, ou souffrir d’une sorte de syndrome de Stockholm qui vous pousse à vouloir votre propre oppression. » Mais d’après lui, le sexe violent consensuel est probablement aussi vieux que le sexe en lui-même, tout comme les conversations qu’il suscite.
« Le sexe a très souvent été violent, mais l’idée que cela soit accepté par toutes les parties et que ces pratiques impliquent les notions de violence et de pouvoir… C’est quelque chose que l’on voit beaucoup dans la littérature, depuis longtemps », ajoute Florêncio. Parmi les exemples de travaux réalisés par des femmes, citons Delta de Vénus d’Anaïs Nin (publié dans les années 40 et à nouveau à titre posthume dans les années 70), un recueil de 15 nouvelles très explicites décrivant des rapports sexuels violents et des viols, et The Lesbian Body (1973) de Monique Wittig.
Si une grande partie de ce type de littérature a initialement été l’apanage d’écrivains masculins, les femmes ont rejoint la conversation après la révolution sexuelle des années 60, lorsque la société est devenue légèrement plus permissive. L’auteure féministe américaine Carol Queen, qui parle et écrit sur l’éducation sexuelle progressive depuis la fin des années 90, soutient que la sexualité positive permet et célèbre la diversité et les choix sexuels basés sur le consentement.
Par contre, d’autres féministes considèrent le sexe comme une forme oppressive de contrôle et de domination patriarcale. Andrea Dworkin, féministe américaine radicale active entre les années 1970 et 1990, largement décrite comme anti-sexe et anti-porno, estimait que le sexe hétérosexuel était comparable à un abus. Dans son livre Intercourse, elle écrit « violation est synonyme de rapport sexuel ». Aujourd’hui encore, dans son livre à paraître, The Case Against the Sexual Revolution, l’écrivain Louise Perry soutient que ce sont les hommes qui profitent du sexe et du porno, les femmes étant contraintes de satisfaire leurs désirs. Si l’on suit ce raisonnement, le CNC est évidemment incompatible avec l’idée de libération sexuelle.
Selon Florêncio, ce point de vue ne tient pas compte du pouvoir décisionnel dont chaque individu dispose. « Affirmer qu’une femme ne peut jamais s’engager dans certaines pratiques sexuelles de son plein gré implique qu’aux yeux de la personne qui parle, il existerait des types de femmes qui n’auraient pas les mêmes capacités de penser et de choisir qu’elle », dit-il. « La place d’une femme dans le sexe ne devrait pas seulement consister à dire oui ou non, donc répondre au désir de l’autre, mais aussi à dire “je veux ça et je veux ci”. »
Le droit de choisir est au cœur du CNC. Alors que certains supposent que ce kink est dangereux, déviant et propre aux prédateurs, tandis que la partie soumise serait sans défense, Jade, une adepte de CNC de 21 ans, affirme que ces critiques « devraient comprendre que le soumis possède en fait plus de contrôle que le dominant ». Le soumis « décide exactement de ce qui lui arrive, de ce qui ne doit jamais arriver, et du moment où ça doit s’arrêter », ajoute-t-elle.
Le Dr Kate Balestrieri, psychologue agréée et sexothérapeute certifiée, partage son avis. Bien que cela puisse sembler paradoxal, le CNC permet aux gens de « se laisser aller tout en se sentant vraiment en sécurité », dit-elle. Cela peut également s’appliquer à celles et ceux qui ont subi des agressions sexuelles : « Lorsque [les survivants d’agressions] entrent dans ce rôle, qu’ils soient dominants ou dominés, ça leur donne accès à la maîtrise et au contrôle d’une situation qu’ils ne contrôlaient pas du tout. D’une certaine manière, ça va leur offrir la possibilité de jouer le jeu et d’en sortir victorieux. »
Pratiquer le CNC en toute sécurité est extrêmement important. Sans une communication saine, des négociations sur les attentes des deux parties, les safe words et ce qui fera office de « non » ferme, le CNC peut très vite ressembler à une relation abusive. Mais d’après Balestrieri, une fois que tous ces éléments sont déterminés, une telle scène peut devenir « incroyablement saine et amusante ». L’aftercare, qui consiste à débriefer et prendre soin les uns des autres après la pratique, peut être un autre filet de sécurité, même s’il s’agit plus d’une préférence individuelle. Jade, par exemple, trouve que ce type de suivi nuit à l’authenticité de l’expérience.
Aborder l’idée d’essayer le CNC avec un partenaire peut faire un peu peur. Balestrieri conseille d’utiliser des listes à remplir par « oui, non, peut-être » afin d’ouvrir la discussion et parler à l’autre de ce à quoi on est ouvert ou non. Le porno ne devrait cependant pas être la porte d’entrée vers ce genre de pratiques, car « il ne met pas toujours en évidence la mise en place d’un processus à la fois éthique et safe pour les deux parties ». Elle recommande également d’y aller doucement plutôt que de s’y plonger à fond dès le début. Dans un premier temps, explorez par exemple vos ressentis avec des jeux d’impact, comme la fessée ou la gifle, avant de planifier une scène complète.
Avant tout, il est priomordial de comprendre que le CNC trouve son origine dans le désir d’accroître le plaisir et d’abandonner ou d’exercer un contrôle. En fait, la douleur et la peur provoquent dans notre corps et notre système nerveux des réactions d’excitation similaires à celles de l’excitation sexuelle. Du coup, le CNC peut amplifier ces sensations. En outre, Balestrieri rappelle que cette pratique n’est en aucun cas le reflet du caractère intrinsèque d’une personne. « Certains individus ont certains fantasmes, mais ça ne signifie pas pour autant qu’ils veulent réellement être agressés sexuellement ou agresser quelqu’un d’autre. Le but du fantasme et du jeu sexuel, c’est avant tout de libérer la créativité, la spontanéité et le plaisir. Et chacun est libre de définir ces notions comme il l’entend, tant que le consentement fait partie du jeu. »
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