Tous les ans, à la rentrée, des milliers de personnes se retrouvent dans une lutte sans merci pour confier leurs enfants à une crèche ou une garderie. Des centaines de coups de téléphone, des calculs infernaux pour trouver les options les moins coûteuses, cette grande galère des parents continue sans cesse de faire la une des journaux à ce moment de l’année. Nombre d’entre eux sont parfois même contraints de devoir abandonner leur emploi pour s’en occuper personnellement. Mais trouver une place est loin d’être la seule épreuve à laquelle ils doivent faire face. 

« Au début, tout est simple, estime Ana dans une conversation sur un groupe Facebook pour parents épuisés. La nourrice s’adapte à toi, à tes horaires, tu as de l’aide concernant le coût, tu es plus ou moins rassuré que tout roule. Mais quand vient l’âge de six ans, c’est une autre affaire. Soudainement, on n’a plus aucune aide. Ah bah oui voyons, à 6 ans on se garde seul, c’est bien connu. » 

En France, il existe deux principales aides financières pour aider les parents à garder leurs enfants. Une subvention versée directement par la CAF aux foyers les plus modestes (à partir de 16h de garde par mois), et une réduction d’impôt destinée à tous les employeurs d’une nounou. Des aides financières qui ne sont valables que pour les enfants de moins de six ans. Après, c’est aux adultes d’assumer complètement ces charges pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines d’euros par mois. Sans ces aides, un certain nombre de pères et de mères ne peuvent pas se permettre de continuer à payer une nounou ou la garderie. Il n’est alors pas rare que de jeunes enfants se retrouvent seuls pour rentrer et rester chez eux. On les appelle les « orphelins de dix-huit heures ».

« Qui a inventé ce concept qu’à six ans, un enfant est autonome donc qu’on a plus besoin d’être épaulé ? »

« Ma fille va avoir huit ans et ça fait deux ans que je ne touche plus rien, témoigne Sophia, une standardiste parisienne de 36 ans qui s’occupe seule de sa fille. Pour donner une idée, je suis passée de 50 euros à plus de 400 euros de frais mensuels. Si on ajoute tout le reste, la cantine, le centre aéré… on arrive à 700 euros par mois, c’est plus de la moitié de mon salaire. Au début, je n’ai pas pu me résoudre à la laisser seule. Du coup j’étais toujours à découvert. Parfois je n’avais pas de quoi manger, je faisais de grosses restrictions de courses mais du moment que ma fille mangeait à sa fin, ça m’allait. Ça fait trois ans que je ne suis pas partie en week-end ou en vacances. Maintenant, elle va avoir huit ans et j’ai décidé d’arrêter la nounou. Pas par choix mais parce que je ne peux plus assumer une charge aussi importante. » 

Comme elle, ils sont des centaines de parents à partager leur détresse et leur colère sur les réseaux sociaux. « Entre la cantine, la garderie périscolaire, le centre de loisirs, les vacances, le mercredi, les surplus de garde… ça coûte une fortune, poursuit Ana. Je trouve ça tellement inadmissible  d’être autant seul face à ça. Si tu n’as pas de famille ou d’amis à proximité, c’est un calvaire. Faut-il devoir choisir entre travail et enfant ? Qui a inventé ce concept qu’à six ans, un enfant est autonome donc qu’on a plus besoin d’être épaulé ? » Dans les commentaires, beaucoup de femmes expriment leur frustration, leur colère, leur fatigue et leur incompréhension. Parfois une sorte de soulagement de savoir qu’elles ne sont pas les seules dans cette situation. 

« Pour moi, ce sont plutôt des orphelines de six heures du matin », raconte tristement Amélie. Cette mère de 26 ans de deux petites filles de six et neuf ans se lève très tôt le matin pour se rendre à son travail d’assistante maternelle. « Oui, c’est presque un comble finalement que mon travail soit de m’occuper d’enfants et que j’aie autant de mal à faire garder les miens, ironise la jeune femme. Le problème c’est que les tarifs de nuit – avant sept heures du matin – sont deux fois plus chers et on ne peut pas se le permettre quand on gagne un SMIC. Alors, en général, je laisse mes filles seules jusqu’à l’arrivée de la nounou. »

« Il faut avoir conscience que ce n’est pas un choix pour les parents, explique-t-elle avec colère. J’ai entendu et lu des choses très dures sur le fait qu’on abandonne nos enfants ou qu’on refuse nos responsabilités mais on n’a juste pas les moyens. A chaque fois que je les laisse seules, j’ai la boule au ventre, je regarde toujours mon téléphone pour voir si elles m’appellent. Le pire c’est quand la nounou ne se réveille pas le matin et qu’elles sont obligées d’aller à l’école toutes seules. La plus grande s’occupe de la petite mais le chemin est assez dangereux et elle a peur, ce qui est compréhensible à neuf ans. Croyez-moi que si je pouvais faire autrement, je le ferai. »

« C’est déjà suffisamment difficile d’avoir une place, si en plus on doit dépenser plus de la moitié de notre salaire pour continuer à travailler, ça n’a pas de sens. »

Sur les réseaux sociaux ou au bout du téléphone, beaucoup de parents s’interrogent : comment se fait-il que ces aides s’arrêtent à partir de six ans ? Après tout, ce n’est pas un âge où n’importe quel enfant est suffisamment indépendant et responsable pour se prendre en main seul pendant plusieurs heures dans la journée. La principale réponse vient tout simplement de l’école. Même si depuis la rentrée, l’école est obligatoire à partir de trois ans, pendant longtemps, l’âge légal était de six ans. Ces aides financières étaient donc principalement destinées aux enfants non scolarisés. Partant du principe qu’une fois que ces bambins allaient à l’école, la question de la garde n’était plus un problème. 

« Les modes de vie ont changé et il faut que la législation évolue en fonction de ça, estime Floriane, une maman de 37 ans, secrétaire notariale en Lorraine. On ne demande pas des aides pour toute la vie mais une forme de cohérence avec les modes de vie actuels. Aujourd’hui, les femmes aussi ont des carrières, avec des horaires qui ne sont pas forcément compatibles avec ceux des écoles. Sans oublier ceux qui font des métiers difficiles, avec des horaires compliqués. C’est déjà suffisamment difficile d’avoir une place, si en plus on doit dépenser plus de la moitié de notre salaire pour continuer à travailler, ça n’a pas de sens. »

Pour Floriane, cette situation est totalement incompréhensible. A tel point, que pour la première fois de sa vie, elle a lancé une pétition sur le site change.org qui a reçu un peu plus d’un millier de signatures. « Les personnes qui ont besoin de ces aides sont tellement sous l’eau, occupées à survivre qu’elles ont rarement l’opportunité de faire entendre leur voix, poursuit-elle. Alors, j’aimerais bien pouvoir aider ne serait-ce qu’un peu pour que les choses changent. » Patiemment, elle attend son rendez-vous avec la nouvelle députée de sa circonscription dans l’espoir que ça puisse servir à quelque chose. 

« Parfois on a l’impression qu’on travaille uniquement pour pouvoir faire garder nos enfants, c’est complètement absurde. »

Il n’existe pas beaucoup de solutions pour les parents face à ce brusque changement de situation. Les plus chanceux se tournent le plus souvent vers des amis ou des grands-parents à la retraite. De son côté, Sophia a trouvé un peu d’aide auprès d’une de ses voisines, mère de deux petits garçons de huit et neuf ans qui vont dans la même école. « J’avais très peur que ma fille sorte toute seule, explique-t-elle. Surtout qu’un de mes voisins ramène souvent des personnes un peu louches chez lui, je ne voulais surtout pas qu’elle tombe sur lui en partant le matin. »

De son côté, Amélie a privilégié l’installation de petites caméras chez elle pour pouvoir constamment garder un œil sur ses filles, notamment le mercredi où elles se gardent une grande partie de la journée. « Je leur laisse toujours un plat qu’elles se réchauffent le midi et elles savent que je garde un œil sur elles, détaille la maman. C’est surtout un peu difficile pour la plus grande qui doit gérer sa petite sœur, qui elle en profite forcément. »

Bien sûr, il est aussi parfois difficile de trouver des nounous qui proposent des tarifs suffisamment bas pour ces familles en difficulté. A défaut de trouver quelqu’un en dessous de dix euros de l’heure, certains n’hésitent pas à avoir recours au paiement au black pour réduire un peu les coûts. Enfin, il n’est pas rare que des parents – notamment des mères – finissent soit par changer de travail pour avoir des horaires plus adaptés ou même par arrêter de travailler, tout simplement. « Les gens disent qu’on a fait un enfant, on assume, s’agace Amélie. On assume mais il y a un moment où c’est trop difficile. Parfois on a l’impression qu’on travaille uniquement pour pouvoir faire garder nos enfants, c’est complètement absurde. »

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