L’élément déclencheur de cette manif : Mahsa Amini, 22 ans, arrêtée par la police de la moralité le 13 septembre à Téhéran car ses cheveux dépassaient de son foulard. Après avoir été emmenée dans un centre de détention pour y être « éduquée », elle est décédée à l’hôpital à la suite de trois jours de coma. Son décès est annoncé le 16 septembre, la famille porte plainte contre la police, mais les autorités nient toute implication – pour changer.
Les femmes en Iran sont soumises à un code vestimentaire strict : la longueur des manches et des manteaux, la couleur des vêtements, l’interdiction du verni à ongles… Des règles sont scrupuleusement observées sous le regard de la police de la moralité, créée en 2005 pour arrêter, frapper et emprisonner celles qui y font entorse.
Depuis l’annonce du décès de Mahsa Amini, les manifestations se sont enchaînées chaque soir en Iran. Des femmes iraniennes brûlent leur foulard et coupent leurs cheveux dans l’espace public en signe de protestation, se mettant à leur tour en danger face au régime autoritaire iranien. Au moins 92 personnes ont déjà été tuées en Iran depuis le début du mouvement selon l’ONG Iran Human Rights. Car si on a déjà de bonnes raisons de craindre la police en manif en Europe , c’est à coup de tirs de plombs et de balles réelles que les manifs sont réprimées en Iran selon Amnesty International.
« Les autorités iraniennes ont sciemment décidé de blesser ou de tuer des personnes qui sont descendues dans la rue pour exprimer leur colère face à des décennies de répression et d’injustice. Dans le contexte d’une épidémie d’impunité systémique qui prévaut depuis longtemps en Iran, des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants ont été tués illégalement lors de la dernière effusion de sang », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
Ava Basiri (33 ans) fait partie des personnes qui ont organisé le rassemblement à Bruxelles. Elle est née en Belgique de parents iraniens, et la situation l’affecte beaucoup. « En Iran, une femme ne peut pas chanter ni aller au stade. Ici, ces libertés sont acquises. Ça me fait du mal parce que l’Iran c’est mon sang. Je ne peux qu’imaginer à quel point c’est dur pour mes parents et les personnes qui y vivent. »
Simple citoyenne, elle a décidé d’aider sa communauté à coordonner la manifestation et à faire en sorte que le message ne soit pas brouillé par des conflits d’intérêt au sein de la communauté. « Des personnes avec des opinions politiques différentes voulaient offrir leur soutien, mais il fallait s’assurer que le message soit clair et dénué de toute couleur politique et frustrations personnelles. » De fait, durant la manifestation, j’ai repéré des drapeaux kurdes, du PJAK (le Parti pour une vie libre au Kurdistan), du PKK (le parti des travailleurs kurdes), mais aussi de la République islamique, bien que les personnes agitant ce dernier drapeau ont été écartées du cortège.
« Le point commun entre les femmes qui se battent pour pouvoir le porter, et celles qui se battent pour le retirer, c’est qu’elles veulent simplement avoir le droit de contrôler leur corps. »
La République islamique désigne les États dont la constitution repose sur les principes de la loi coranique – ou charia. Elle compte actuellement l’Afghanistan, l’Iran, la Mauritanie et le Pakistan. Elle a été promulguée en 1978 en Iran par l’ayatollah Khomeini. Cette mise au pouvoir des forces religieuses a eu lieu suite à une révolution islamique due au mécontentement de la population quant à la politique du shah de l’époque, Reza Palhavi, et de la montée de l’impérialisme américain.
Ava explique par ailleurs que beaucoup de personnes qui ont de la famille en Iran n’osent pas se joindre aux rassemblements par peur de représailles. Ce qu’elles attendent par ailleurs de la Belgique et de l’Occident, ce sont des actions concrètes telles que le retrait de nos ambassades et de nos diplomates de l’Iran.
Autre élément frappant à la manifestation de samedi : la présence de beaucoup d’hommes, du moins en comparaison aux manifestations féministes auxquelles je m’étais rendue. Ce constat m’a laissée un peu mitigée, j’avais du mal à me positionner entre la satisfaction de les entendre crier « Femmes, vie, liberté » et l’idée qu’ils prennent de l’espace et s’emparent des mégaphones. Mais après tout, plus qu’un combat féministe, il s’agit surtout d’un peuple qui se bat pour ses libertés et ses droits.
Pour qu’elles soient tout de même au premier plan, les organisateur·ices ont demandé aux hommes de laisser leur place et de laisser les femmes en tête du cortège.
Triste à dire, mais une des premières idées qui m’est venue à l’esprit quand j’ai vu les images des femmes iraniennes brûler leurs foulards, c’est comment ce message risquait d’être perçu par nos sociétés occidentales islamophobes et instrumentalisé par la droite. Je les entendais déjà venir : « Là-bas, elles se battent pour ne pas le porter, et ici, elles veulent le garder. Elles sont endoctrinées. CQFD. »
Ava partage cette crainte : « On a un gros problème. Les gens en Occident ne comprennent pas assez le contexte politique en Iran. Ils voient des femmes se couper les cheveux et brûler leurs foulards et interprètent cet acte sans vraiment le comprendre », dit-elle. Pour Ava, il s’agit simplement d’un geste symbolique : « On ne veut plus de nos cheveux parce que nos sœurs ne peuvent pas les montrer. » Elle explique que cet acte est également mal compris par certaines personnes au sein de la communauté musulmane, qui le voient comme une attaque à la religion.
Après avoir co-organisé cette manif, Ava désire passer à l’étape suivante avec des séminaires sur l’histoire et le contexte politique de l’Iran afin de mieux comprendre les enjeux de cette révolte.
La réalité, c’est que cette révolte n’est ni féministe, ni religieuse ; elle est avant tout politique avec des enjeux féministes et religieux. « C’est pas le voile notre problème. On ne veut juste plus de théocratie. On n’en a jamais voulu. », dit Ava.
À la manif, les quelques pancartes des manifestantes qui mentionnent le hijab parlaient de choix : le choix de le porter ou non. Le point commun entre les femmes qui se battent pour pouvoir le porter, et celles qui se battent pour le retirer, c’est qu’elles veulent simplement avoir le droit de contrôler leur corps.
Cette question est loin d’être propre aux pays musulmans. Rappelons-nous que les droits des femmes reculent tout autant dans nos sociétés occidentales qui se pensent si évoluées, celles où nos politiques sont accusés d’agression sexuelle, notre droit à l’avortement est révoqué et nos plaintes restent sans suite.