Dans de nombreux cas, ces partenariats n’ont finalement pas eu lieu – l’armée a ordonné l’arrêt de toutes les transactions avec l’éditeur de Call of Duty, Activision, après que l’entreprise a été confrontée à une vague de plaintes pour harcèlement sexuel. Mais les documents fournissent un aperçu beaucoup plus large des objectifs et des intentions de l’armée derrière les partenariats prévues avec Call of Duty et d’autres franchises de divertissement.
« Audience : Gen-Z Prospects (A18-24) », peut-on lire dans une section des documents. « Concentrez-vous sur le recrutement de femmes, de Noirs et d’Hispaniques. » C’est grâce à la loi sur la liberté d’information (FOIA) que VICE a obtenu ces documents.
Un tableau inclus dans les documents énumère les fonds que l’armée prévoyait de dépenser sur diverses plateformes, événements et streamers. En tête, on retrouve Twitch et son HBCU [Historically Black Colleges and Universities] Showdown. Les saisons précédentes de cette ligue esports ont vu des joueurs s’affronter dans des jeux Madden et NBA. L’armée avait prévu de dépenser un million de dollars pour sponsoriser l’événement.
Les documents montrent que l’armée américaine a envisagé d’utiliser les jeux et, plus particulièrement Call of Duty, comme un outil de branding et de recrutement. Elle proposait par exemple d’utiliser des influenceurs Twitch pour « créer des vidéos au contenu original présentant le large éventail de compétences offertes par l’armée », et de se servir d’influenceurs pour « familiariser [leurs] fans avec les valeurs et les débouchés de l’armée ». L’armée souhaitait également organiser des tournois mettant en scène « des soldats et des grands noms du jeu ». Un autre objectif de ces campagnes était d’augmenter la « popularité » de l’armée dans les enquêtes auprès des internautes.
Selon le document, l’armée prévoyait de dépenser 750 000 dollars pour financer à la fois le tournoi officiel Call of Duty League Esports, le service de streaming Paramount+ et l’émission télévisée HALO, diffusée sur Paramount+. L’armée prévoyait également de dépenser 200 000 dollars pour sponsoriser la version mobile de Call of Duty, notamment avec un « inventaire basé sur les récompenses ». Les documents suggèrent que la campagne fournirait des crédits en jeu aux joueurs qui visionneraient les publicités vidéo de l’armée.
L’armée a versé 150 000 dollars à Stonemountain64, un streamer populaire qui joue souvent à Call of Duty : Warzone pour atteindre son public de 2,32 millions d’abonnés sur YouTube. Stonemountain64 met souvent en ligne des séquences de jeu dans lesquelles il incarne un commandant à la langue bien pendue pendant les matchs de Warzone.
Les documents mentionnent également les streamers comme Swagg, qui compte 2,66 millions d’abonnés sur YouTube, et Alex Zedra. Zedra a déjà fourni l’image du personnage de Mara dans Call of Duty : Modern Warfare (2019) et se décrit elle-même comme un « All American, 2A [second amendement] Gun Slinger ». Swagg et Zedra figurent à côté d’un astérisque sous le tableau, qui indique que l’armée réaffectera les fonds en fonction des conversations avec les streamers. Aucun des streamers ou de leurs représentants n’a répondu à notre demande de commentaire.
Le document ajoute que l’armée a alloué 300 000 dollars à OpTic Chicago. OpTic est une équipe esports qui a déjà travaillé avec l’armée, notamment en entraînant des membres de son équipe à tirer au fusil sniper. L’« auditoire cible » d’Optic Chicago est également de la génération Z, selon les documents. L’une des motivations de ce partenariat était de « continuer à familiariser les fans d’OpTic avec les valeurs et les débouchés de l’armée », selon les documents.
L’armée prévoyait également de dépenser 675 000 dollars pour un parrainage de la WWE et 600 000 dollars avec le média de jeux IGN, selon les mêmes documents. Aucune des deux sociétés n’a répondu à notre demande de commentaire.
Un e-mail datant d’août 2021, inclus dans les documents, indique : « Nous prévoyons de « suspendre immédiatement toutes les activités » auprès d’Activision en raison de graves allégations de harcèlement sexuel au travail, et nous recommandons également à la Brigade d’engagement marketing de ne pas envoyer pas son équipe d’eSports au tournoi. » L’e-mail a été envoyé environ deux semaines avant le parrainage prévu par l’armée d’un tournoi à venir. « Je porte cela à votre attention en raison de la question de la réputation de la marque », ajoute l’e-mail.
Activision a accusé réception d’une demande de commentaire mais n’a pas donné suite. Twitch a déclaré à Motherboard que Twitch Ads, le service publicitaire de la société, n’a pas reçu de sponsoring de l’armée américaine pour des streams spécifiques ou pour la HBCU Esports League en 2022. Paramount a accusé réception d’une demande de commentaire mais n’a pas fait de déclaration.
Un porte-parole de l’armée américaine a déclaré à Motherboard par e-mail que « l’objectif du marketing de l’armée en matière de partenariats est similaire à celui de toutes nos campagnes publicitaires, à savoir atteindre un public spécifique pour favoriser le recrutement de l’armée. Le retour et la popularité de la publicité sont importants car ce sont deux mesures acceptées par l’industrie pour mesurer l’efficacité des campagnes publicitaires et des partenariats dans lesquels nous investissons. Pour un marketing efficace, il faut aller à la rencontre des jeunes là où ils se trouvent, et c’est en ligne. »
L’armée dans son ensemble, et l’armée de Terre en particulier, ont du mal à recruter les jeunes de la génération Z. Les restrictions imposées par le Covid ont nui aux efforts de recrutement, tout comme la dégradation de l’image de l’armée, et les exigences élevées en matière de santé physique, de tatouages et de consommation de drogues. Le Pentagone a besoin de jeunes recrues pour continuer à fonctionner et il a du mal à les attirer. La marine a spécifiquement utilisé Twitch pour tenter de recruter de nouvelles recrues.
L’armée américaine dispose de sa propre équipe d’esports, qui a fait l’objet de nombreuses controverses ces dernières années. Les équipes esports de l’armée et de la marine ont toutes deux banni les utilisateurs de Twitch qui mentionnaient les crimes de guerre pendant les chats des streams. Après une interruption d’un mois, l’équipe de l’armée est revenue sur Twitch.
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