Écrit et réalisé par Frances O’CONNOR – GB 2022 2h10mn VOSTF – avec Emma Mackey, Alexandra Dowling, Fionn Whitehead, Oliver Jackson-Cohen, Gemma Jones… Festival du Film britannique de Dinard 2022 : Grand Prix, Prix du public, Prix de la meilleure interprétation.
Du 12/04/23 au 02/05/23
À l’instar de leur prédécesseure Jane Austen, l’œuvre et le destin des sœurs Brontë sont pour le cinéma une intarissable source d’inspiration. Certaines adaptations furent remarquables, d’autres sont tombées depuis longtemps dans les oubliettes, mais qu’importe, la fascination qu’exercent les Brontë est toujours intacte.
Plus sauvage et indomptable que Jane Eyre, signé par Charlotte, plus fantastique et shakespearien qu’Agnes Grey, signé par Anne, Les Hauts de Hurlevent est une œuvre à part dans la bibliographie des Brontë, peut-être tout simplement parce qu’il est le seul et unique roman écrit par Emily, qui mourra à trente ans, une année seulement après sa publication, sous le pseudonyme masculin de « Ellis Bell ».
Qui était Emily ? Quel feu singulier l’animait, elle qui a si bien décrit dans son roman la nature indomptable des cœurs et celle des landes du Yorshire, dans un récit souvent sombre, empruntant aussi bien aux tragédies antiques qu’aux glaçantes histoires de fantômes ? C’est ce chemin de fiction qu’emprunte la réalisatrice Frances O’Connor, avec suffisamment de liberté par rapport à la biographie d’Emily Brontë – dont la vie reste au demeurant assez mal connue – pour laisser toute la place au romanesque, et assez de rigueur historique pour que le film sonne juste.
Courses effrénées dans la lande, relation fusionnelle et turbulente avec son frère (qui pourrait, selon les biographes, avoir inspiré le personnage ténébreux et imprévisible de Heathcliff), fantômes toquant aux fenêtres lors d’une inquiétante séance de jeu de devinettes (comme celui de Cathy dans la chanson de Kate Bush), la mise en scène fait délicieusement planer le spectre des épisodes les plus marquants des Hauts de Hurlevent, entremêlant habilement le roman et le biopic.
On suit donc pas à pas la naissance d’une auteure, où comment la jeune fille à la nature sauvage et à la sensibilité extrême va se nourrir de son imagination, de sa fulgurante passion amoureuse avec le jeune et charmant William Weightman, révérend de la paroisse, pour tracer peu à peu son chemin vers l’écriture, en même temps que ses deux sœurs.
Mais au-delà du destin assez tragique d’Emily, le film raconte surtout celui de cette incroyable famille qui, sur fond de petite bourgeoisie de campagne et dans un paysage on ne peut plus austère, a minutieusement cultivé l’amour des lettres en particulier et des arts en général. Lectures, cours de latin et de français, musique : les sœurs Brontë furent dès leur plus jeune âge baignées dans un univers propice à la création. Pour Emily comme pour ses sœurs, c’était évidemment un moyen d’échapper aux contraintes d’un milieu passablement étriqué, où les conventions et la religion étaient omniprésentes. En assimilant chaque sœur à son œuvre – la farouche Emily s’oppose à Charlotte, plus morale, tandis qu’Anne est plus effacée – la réalisatrice suggère aussi la nature des relations entre les sœurs, entre complicité et incompréhensions, des rapports qui, s’ils n’ont probablement que peu de véracité, fonctionnent à merveille à l’écran.
Mais le film ne serait sans doute pas tout à fait aussi réussi sans la présence incandescente d’Emma Mackey, véritable révélation (enfin pour celles et ceux qui n’ont pas suivi le série Sex Éducation). Elle incarne les tourments et la passion avec une justesse diaphane et assume avec une conviction totale les envolées mélodramatiques de certaines scènes. L’exercice de la romance historique typiquement anglaise est donc réussi haut la main par Frances O’Connor pour son premier film… et à dire vrai, on ne s’en lasse toujours pas.
(merci à lebleudumiroir.fr)