Olivier BABINET – France 2023 1h27 – avec Justine Lacroix, Benoît Poelvoorde, Joseph Rozé, Sofiane Khammes, Steve Tientcheu… Scénario de Juliette Sales, Fabien Suarez et Olivier Babinet d’après la pièce de théâtre Monster in the hall de David Greig. Musique formidable de Jean-Benoît Dunckel (ex Air).
Du 03/05/23 au 23/05/23
C’est un merveilleux film qui brouille les pistes, qui n’a que faire des frontières entre les genres, entre le vrai, le faux, l’imaginaire… Un vrai bonheur !
On ne sait pas trop où nous sommes, ni à quelle époque… Quelque part entre une zone pavillonnaire et des espaces agricoles coincés entre pylônes électriques et voies rapides. Ce pourrait bien être l’Île-de-France (et en réalité, ça l’est) mais il y a dans le collège de Lucie quelque chose qui semble tout droit sorti d’un teenage moovie et la cafétéria où elle travaille a des faux airs de diner à l’américaine (sauf que le jambon beurre remplace le burger).
La vie de Lucie n’est pas tout à fait comme celle des autres élèves du collège : elle doit penser à tout, tout le temps. Gérer l’argent du foyer, penser aux courses, ne pas oublier de rappeler à son père d’aller faire sa prise de sang et ne surtout pas se tromper quand elle remplit la petite boite en plastique avec les cases pour chaque médicament de chaque jour de la semaine. Lucie est une ado de quinze ans, mais pas que. Elle doit être aussi la main qui ne tremble pas, les jambes vaillantes, le cœur robuste, le cerveau au taquet de William, son paternel qui n’est plus guère vaillant depuis qu’un mauvais virage à moto l’a privé de sa compagne et que la sclérose en plaque a décidé de squatter définitivement son corps affaibli. Dans un drame social classique, à ce moment-là de la fiction nous aurions sans aucun doute la gorge nouée et quelques embruns dans le regard. Et je ne parle pas encore du moment où il s’agira pour Lucie et William de faire face à l’assistante sociale venue voir justement comment ça se passe chez eux.nMais nous ne sommes pas dans un drame social classique !
Ce duo de choc (car il l’est) se berce avec tendresse à grand renfort de pizza dégoulinante et de sandwich sous cellophane, cultivant l’un pour l’autre un amour débordant, pur, inconditionnel, qui se manifeste – bruyamment – jusque dans la vision de DVDs d’horribles films de zombies. Le monde peut bien s’agiter autour, dans ce capharnaüm qui est leur doux foyer, ces deux-là se portent, se tiennent et se soutiennent dans une relation fusionnelle… même si Lucie aimerait bien, de temps de temps, vivre comme une ado de son âge, normale quoi. Alors quand la vie est trop lourde, trop chiante, trop étriquée, Lucie débride le cheval fou qui galope dans sa tête et laisse place à son imagination qu’elle a forcément débordante… et elle écrit, avec talent, drôlerie, ironie sur sa vie, sur ce qui pourrait arriver. Et, pour couronner le tout, elle va tomber amoureuse…
La magie de l’alchimie d’un film ne tient parfois qu’à un fil, un détail, un singulier et fondamental petit pas de côté. C’est ici le casque lumineux, façon boules à facettes, que Lucie pose sur ses oreilles pour fuir le monde des gens normaux (qui comme chacun sait n’ont rien exceptionnel). C’est la main de Benoît Poelvoorde (tout à fait bouleversant) qui tremble en fumant son joint, automédication nécessaire à la souffrance de son corps en détresse. C’est le professeur de musique plus british que nature qui fait répéter à ses élèves un spectacle digne des années Genesis (époque Peter Gabriel). C’est l’assistante sociale qui n’est pas tout à fait conforme à l’idée que l’on s’en fait… Bref vous l’avez saisi, Normale a quelque chose de poétique, de rock, de décalé, qui nous ravit et nous transporte. Quant à la jeune Justine Lacroix, elle est tout simplement exceptionnelle.