Un matin récent, près d’un restaurant de ramen à East Williamsburg, à 07h00, un camion chargé de poules vivantes a craché des fumées de diesel. De l’autre côté de la rue, sur le site d’un ancien club de nuit, dans une pièce dominée par une énorme machine qui aurait la capacité de convertir de l’eau et du dioxyde de carbone en alcool, un Australien aux cheveux bouclés portant un long manteau de laboratoire bleu ignifugé a déclaré : “Il n’est jamais trop tôt pour un shot de vodka !” Puis il en a bu un—”À une autre démonstration réussie,” a-t-il dit—et a sauté à l’arrière d’un S.U.V., en direction de l’Académie militaire des États-Unis à West Point.

Gregory Constantine, l’homme en manteau de laboratoire, est co-fondateur de la startup Air Company ; il a expliqué que la vodka avait été produite en combinant du dioxyde de carbone et de l’hydrogène avec un “catalyseur” propriétaire (“notre sauce secrète”, comme l’appelle un employé) pour fabriquer de l’éthanol, qui a ensuite été transformé en vodka. “L’esprit le plus propre, de la plus haute qualité, et le premier esprit négatif en carbone au monde,” a déclaré Constantine.

La recette a été conçue par l’autre co-fondateur de la société Air Company, Stafford Sheehan, un chimiste qui a étudié la photosynthèse artificielle à Yale. Pendant la pandémie, Air Company est passée de la distillation de vodka à la production de désinfectant pour les mains. Le processus a été encore modifié pour produire de la nourriture pour les astronautes et, par la suite, refaçonné pour fabriquer du carburant pour les avions, les automobiles, et les fusées. De retour au laboratoire, un chimiste d’Air Company, en train de brasser un lot de carburant neutre en carbone, avait déclaré : “L’industrie pétrolière a extrait du pétrole brut du sol et l’a fractionné. Ils se disaient : ‘Fabriquons des plastiques ! Fabriquons du diesel !’ Nous pouvons faire cela avec le CO₂ !” Le “brut synthétique” de la startup peut être également fractionné. “Nous avons la capacité d’être sélectifs, en fonction du client, sur le type de carburant que nous souhaitons produire,” a déclaré Constantine. En 2023, la société a obtenu un contrat de soixante-cinq millions de dollars du Pentagone ; elle a testé son carburant dans un drone de l’Air Force et à bord d’un navire de la Marine. Ce matin-là, Constantine devait montrer son carburant à l’Armée.

À West Point, une sorte de foire de l’emploi était en cours. Des représentants de chaque branche de l’Armée, au nombre de dix-sept, s’étaient assemblés avec des fusils, de l’artillerie lourde et des hélicoptères, pour recruter des cadets. Près d’un lanceur de missiles Patriot, un soldat en service, qui a déclaré avoir passé les seize dernières années à recevoir des ordres de diplômés de West Point de vingt-deux ans, a dit : “Nous sommes ici pour leur vendre de l’huile de serpent. Nous avons tous apporté nos jouets brillants et modernes pour que les cadets aux yeux brillants disent : ‘Je veux faire cela ! ’ ” À une table chargée d’armures, de lunettes de visée et d’équipements médicaux, un soldat a démontré le dispositif de réalité augmentée à lentilles holographiques de Microsoft monté sur un casque ; à proximité, un chien robot de Boston Dynamics, équipé pour détecter des produits chimiques, attendait son tour. Les premières années—connues sous le nom de “plebes”—prenaient des selfies avec des lanceurs de missiles Stinger et un tank Abrams.

Au stand de l’Office of the Chief of Engineers (à ne pas confondre avec celui du Corps des ingénieurs de l’Armée, qui présentait un camion amphibie de dix tonnes capable de lancer un bateau pour ériger des ponts), un expert en centrales nucléaires mobiles a crié : “Vous ne le savez peut-être pas, mais le D.O.D. est le plus grand émetteur de gaz à effet de serre au monde.” Plusieurs cadets ont ri. “Nous cherchons des solutions à ce problème, mais c’est vraiment la cerise sur le gâteau. Tout ceci est une question de sécurité pour nos soldats et nos marins.” Le Pentagone apprécie le carburant d’Air Company parce qu’il peut être produit n’importe où, à la demande. Selon un rapport du D.O.D. de 2009, au moins dix pour cent des victimes de l’Armée en Irak et en Afghanistan sont survenues lors du transport d’eau ou de combustibles fossiles. Un jour, les carburants d’Air Company pourraient être produits à l’arrière d’un camion dans une zone de guerre, ou dans un site noir de la C.I.A., bien que pour l’instant son carburant synthétique soit produit avec de l’électricité du réseau (de Con Edison), à Brooklyn, à un coût supérieur à cent dollars le gallon. (“Chaque lot de carburant jusqu’à présent a été fabriqué à la main par des docteurs en philosophie. C’est pourquoi c’est si cher,” a déclaré Sheehan. “Oubliez Tito’s.”)

Peu avant 13h00, les cadets ont regardé un employé d’Air Company verser du carburant dans un vieux buggy de couleur sable, qui avait été réutilisé par l’équipe Spirit de West Point (“battre la marine !”) pour la saison de football. Ensuite, un soldat en casque de bataille a emmené le véhicule faire un tour, zigzaguant sur un trottoir, ralentissant à un moment donné pour laisser passer un professeur à vélo.

Plus tard, Sheehan a dit qu’il venait juste d’être à Cape Canaveral ; Air Company a un accord avec NASA pour fabriquer du carburant pour fusées. Son contact lui avait présenté l’équipe d’approvisionnement de SpaceX, espérant convaincre Elon Musk d’utiliser le carburant d’Air Company pour retourner chez lui depuis Mars. ♦