POLITIQUE – Celle-là, on l’avait un peu oubliée. En célébrant le 150e anniversaire de la proclamation de la République au Panthéon vendredi dernier, Emmanuel Macron rappelait que “l’égalité des chances” est une des priorités de son quinquennat. Quatre jours plus tard, il consacre, à Clermont-Ferrand, son premier déplacement de rentrée (sur le territoire français) à ces questions.
Au programme: la visite du centre de formation aéronautique d’un lycée Professionnel, quelques pas dans le Hall 32, un centre de promotion des métiers de l’industrie et une visioconférence avec des recteurs.
Pour l’Élysée, il s’agit de “donner une impulsion”, “dessiner un nouvel agenda de l’égalité des chances” et continuer à s’inscrire dans “la valeur d’émancipation, un marqueur macronien.” Mais dans les faits, le président de la République, en promettant d’aller “plus vite et plus fort” sur ces sujets, a lui-même reconnu qu’il n’en avait pas fait assez depuis son arrivée au pouvoir.
Sécurité, séparatisme (et égalité)
Et il y a du travail pour revoir un système où il faut en France “180 années pour qu’un descendant d’une famille modeste atteigne le revenu moyen”, selon l’OCDE et que la crise du coronavirus a encore creusé les discriminations. Reste qu’en cette rentrée politique, le gouvernement ne met pas franchement l’accent sur ces sujets sociaux. L’omniprésence de Gérald Darmanin, conjuguée à une série de faits-divers choquants, a installé les questions sécuritaires en tête des priorités affichées par l’exécutif. Le discours d’Emmanuel Macron prononcé le 4 septembre pour célébrer la République illustre cette tendance.
Le chef de l’État a bien évoqué, en quelques phrases, l’importance de la République sociale, citant certains de ses illustres artisans comme Péguy, Jaurès, Blum ou Mendès-France. Mais son discours portait presque exclusivement sur les “devoirs” qu’impose la citoyenneté française et les dangers que connaît la République “fragile” et “attaquée.”
Emmanuel Macron en a d’ailleurs profité pour confirmer la présentation prochaine d’une loi contre le séparatisme, comme la priorité de cette rentrée. De quoi susciter quelques crispations jusque dans la majorité. “Ce n’est pas en disant ‘tu vas chanter la marseillaise’ à des gamins qu’on va faire aimer la République. C’est en leur montrant comment l’aimer et comment elle les aime”, explique au HuffPost le député LREM de l’Hérault Patrick Vignal.
Et celui qui connaît bien les quartiers populaires de Montpellier de dresser un constat plus critique encore que celui du président de la République: “l’égalité des chances n’existe pas. Le fils du préfet ou du journaliste a plus de chances de trouver un job que le fils d’immigré”.
Macron et son nouvel agenda
C’est sans doute pourquoi Emmanuel Macron promet donc désormais d’aller “plus fort et plus vite.” Comme il le faisait en juin 2020, en avril 2019 ou au printemps 2018.
“Combien encore d’enfants de France sont discriminés pour leur couleur de peau, leur nom? Combien de portes fermées à de jeunes femmes, de jeunes hommes, parce qu’ils n’avaient pas les bons codes, n’étaient pas nés au bon endroit? L’égalité des chances n’est pas encore effective aujourd’hui dans notre République”, a-t-il pointé dans son discours au Panthéon.
Sa visite auvergnate sera donc l’occasion pour lui de développer les grandes lignes d’un “nouvel agenda social”, selon les mots de la présidence, qui devrait courir jusqu’à la fin de l’année. De nouvelles annonces ou de nouveaux objectifs sont-ils au programme?
Pas forcément. L’Élysée nous précise qu’il s’agira surtout “d’identifier certains points de blocage” et d’“amplifier les dispositifs déjà mis en place” comme le dédoublement des classes dans les zones prioritaires ou les internats d’excellence… et ce, au risque de décevoir le plus grand nombre.
Car si le président de la République est attendu au tournant, c’est surtout parce qu’il a beaucoup déçu malgré un discours volontariste sur cette fameuse égalité des chances.
Le traumatisme du plan Borloo
Pour Patrick Vignal, “ça commence à être fait, mais il y a un travail colossal qui va durer dix ans.” “Il faut que le président de la République comprenne que l’urbanisation est la priorité: il faut désenclaver les quartiers populaires, ça demande des moyens. Il faut mélanger les enfants dès l’école sinon on encourage l’entre soi des pauvres et l’entre soi des riches”, ajoute le député macroniste, plaidant ainsi pour ce que prévoyait, peu ou prou, le fameux “plan banlieue” concocté par l’ancien ministre Jean-Louis Borloo et salué par beaucoup d’élus, toute sensibilité politique confondue.
Mandaté par le chef de l’État, l’ancien maire de Valenciennes avait produit un rapport très ambitieux baptisé “Vivre ensemble – vivre en grand la République” en réclamant notamment un fond de cinq milliards d’euros.
Un travail d’une soixantaine de pages qu’Emmanuel Macron avait balayé d’un revers de main, arguant que cela n’avait aucun sens de confier ces questions à “deux mâles blancs ne vivant pas dans ces quartiers.”
“Ça a été une douche froide, une forme de gifle”, nous raconte Gilles Leproust, le maire (PC) d’Allonnes et Secrétaire général de l’association des maires de France de ville et banlieue, présent à l’Élysée au moment du discours présidentiel: “on ne s’attendait pas à une telle réponse, à une telle non-prise en compte de la part du président de la République. Demander à des associations et des élus de travailler avec Jean-Louis Borloo pendant six mois pour finalement dire ‘circuler il n’y a rien a voir’, c’était une forme de mépris.”
“Beaucoup de rendez-vous manqués avec Macron”
À l’époque, il n’y avait guère que Jean-Louis Borloo pour saluer l’utilisation faite de son rapport par Emmanuel Macron. Mais un an plus tard, le centriste fustigeait, comme les oppositions, la politique sociale “inefficace voire dangereuse” de la macronie. Pour l’ancien maire de Valenciennes, la “monarchie” dans laquelle nous sommes décide d’allouer ses “quelques moyens” “pour permettre à ceux qui courent le plus vite de courir de plus en plus vite.”
Et l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy de mettre en garde, lors d’une réunion publique filmée à Valenciennes, contre “la situation désagréable où le gratin se sépare des nouilles.” Comprendre: l’abandon des plus précaires, ceux qui ont besoin de solidarité.
Gilles Leproust de l’association des maires de ville et banlieues n’use pas de la même métaphore culinaire mais dresse un constat similaire. “C’est nous, pas que les élus, qui sommes les acteurs du quotidien et qui font en sorte que nous fassions toujours république… on ne peut pas laisser ces territoires livrés à eux-même”, explique-t-il, regrettant “beaucoup de rendez-vous manqués avec le président de la République, malgré de nombreuses déclarations, et une forme d’empathie.”
Signe d’une nouvelle déception à venir pour l’Égalité des chances des populations les plus précaires? La secrétaire d’État chargée de la Ville Nadia Hai ne sera pas du déplacement à Clermont. Son agenda officiel vide, elle pourrait plutôt se rendre -comme plusieurs de ses collègues du gouvernement- aux journées parlementaires du MoDem à Biscarrosse.
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