Je me suis rendu à Mourmansk entre septembre 2021 et février 2022, c’est une grande ville au-delà du cercle polaire, qui vit une grande partie de l’année dans l’obscurité. Au cours de trois mois de voyage, j’ai été invité dans de nombreux appartements datant de l’ère soviétique pour passer la nuit avec les habitant·es de la ville. Mon intention n’était pas de documenter la façon dont les gens affrontent l’obscurité, mais plutôt de considérer la nuit comme une porte d’entrée pour explorer ce pays inconnu.
L’obscurité devient une façon de voir, à la fois littéral et métaphorique. Littéral d’abord : la nuit agit comme un filtre, dissimulant certaines choses tout en en révélant d’autres. Ainsi, le paysage urbain, marqué par les imposants édifices de l’ère soviétique et la toundra arctique, se réduit à un simple élément de décor. En revanche, ce qui est éclairé se présente, à mes yeux, comme essentiel : l’intimité de celles et ceux qui m’ont accueilli pour la nuit.
Métaphoriquement ensuite : l’obscurité de la nuit devient une confrontation indirecte avec la réalité de la Russie et son futur incertain. L’invasion de l’Ukraine m’a obligé à adopter également cette nouvelle grille de lecture dans mon travail.
Cette immersion dans la nuit de Mourmansk n’a pas pour prétention de dévoiler quelque chose sur « la Russie », mais plutôt de susciter, à travers des photos prises dans des recoins d’appartements, la rencontre avec quelques Russes. La nuit est une manière de voir, un filtre. Une façon d’évoquer les rêves et mystères de ces individus rencontrés à la veille d’un conflit.