« C’est rageant. On a du travail, mais on est obligés de partir pour avoir un toit sur la tête. Avec quatre enfants, c’est le plus important. Mais j’en ai pleuré ». L’année passée, Elodie et son conjoint ont dû quitter la maison d’Urrugne qu’ils louaient lorsque le propriétaire a souhaité la récupérer. Après avoir écumé les annonces, ils se sont résolus à déménager à 1h30 de leur lieu de vie, à côté de Mont-de-Marsan (Landes), et à démissionner de leurs emplois en CDI, lui de cuisinier chef de partie, elle d’auxiliaire de vie.
La crise du logement, latente au Pays basque depuis des années, connaît une phase particulièrement violente avec la crise du Covid. Les prix déjà très élevés du foncier et de l’immobilier se sont encore envolés, jusqu’à atteindre des sommets : à Biarritz, un appartement vue sur mer s’est vendu en décembre 2020 pour plus de 40 000 euros le mètre carré.
Et les conséquences de cette frénésie affectent tout le secteur du logement : les prix augmentent sur des zones toujours plus vastes, le marché privé devenant inaccessible pour les plus précaires mais aussi pour les classes moyennes locales, qui souhaiteraient se loger près du lieu où elles sont employées. Le marché des résidences secondaires, qui s’adresse à des personnes avec de hauts revenus issues des grandes métropoles, fait monter les prix sur l’ensemble du logement, excluant les populations qui y vivent à l’année et qui y travaillent. Des allées de volets, fermés dix mois par an, face à une population qui ne peut plus se loger.
Le mirage du logement neuf
Si elle continue de chercher à revenir au Pays basque, Elodie Marot n’a plus beaucoup d’illusions : « Il n’y a rien sur le marché. Sur la côte, les loyers sont inadmissibles : 1 500 euros par mois pour un T3 sans jardin… A l’intérieur du Pays basque, pour les quelques biens qui restent, il y a toujours de meilleurs dossiers que le nôtre. » Sur la cinquantaine de dossiers envoyés, le couple n’a décroché que deux visites sans résultat. De plus en plus de personnes se retrouvent dans cette situation et doivent s’éloigner de la côte basque, qui regroupe les principaux centres d’emploi locaux. « Les communes rétro-littorales (Saint-Pierre d’Irube, Ustaritz, Arcangues, Arbonne, Bassussarry, Ascain…) ont connu une poussée démographique importante liée à la recherche de logements et de terrains plus abordables » (1), relevait dès 2015 Benjamin Gayon, docteur en aménagement du territoire.
Le fossé se creuse encore, et tandis que certains peinent à déposer des dossiers, des biens à plus d’un million d’euros s’arrachent au prix fort, sans crédit, en une seule journée. Les maires se sont bien emparés de la surtaxe sur les résidences secondaires, inaugurée en 2015, qui permet d’augmenter jusqu’à 60 % la part communale de la taxe d’habitation sur les maisons de vacances. Mais plusieurs années après sa mise en place, l’effet dissuasif reste minime, note Peio Etcheverry-Ainchart, conseiller municipal d’opposition à Saint-Jean-de-Luz et membre de la coalition de gauche indépendantiste EH Bai : « Elle n’est pas assez dissuasive. On a vu à la marge quelques propriétaires revendre leurs biens car ils ne voulaient pas payer la surtaxe. Mais il faut taper plus fort ».
Comment résoudre le problème ? Les édiles locaux continuent de vouloir construire, espérant combler la pénurie de logements disponibles avec du neuf. Le nouveau Programme Local de l’Habitat (PLH) pour le Pays Basque Nord, actuellement en cours d’élaboration, prévoit 2 600 nouvelles constructions par an pour les six prochaines années. Mais la stratégie est critiquée. À Hendaye, Pascal fait partie d’un collectif de riverains qui s’oppose au projet immobilier dans leur quartier : « Combien de ces logements iront aux Hendayais, vu les prix ? On continue de construire alors que des quartiers entiers sont vides l’hiver », explique-t-il. D’après lui, la prairie aux chevaux que visent les constructeurs devrait rester un espace naturel, où les habitants pourraient profiter de jardins familiaux.
Pour Beñat Etchebest, agent immobilier pendant 18 ans et fondateur de l’association Etxalde, qui milite pour l’accès au logement en constituant « un patrimoine immobilier commun », les élus sont mal informés et des mythes tenaces empêchent de prendre clairement conscience de la situation : « Le premier, c’est que face à la demande de logement, il faudrait construire des maisons. Cela peut paraître logique mais aujourd’hui, sur le territoire, nous disposons de 198 000 logements pour 300 000 habitants : c’est suffisant. Deuxième mythe : les maisons secondaires font vivre les populations locales. C’est peut-être vrai pour les artisans mais c’est faux pour le reste de l’économie : si une maison est fermée 11 mois de l’année, il n’y aura qu’un boulanger là où il pourrait y en avoir douze. À Biarritz, par exemple, on ferme des écoles. »
Peio Etcheverry-Ainchart abonde et parle d’un : « manque artificiel : les logements existent mais ils sont sous-utilisés ».« Une catégorie de population ne peut pas en exclure une autre sous prétexte qu’ils ont les moyens de laisser leur logement vide pendant l’année et de l’occuper seulement un mois pendant les vacances », tance l’élu local.
“Il faut sortir du paradigme de la propriété privée”
Une seule ville basque respecte les pourcentages de logements sociaux imposés par la loi SRU : Bayonne. Les autres font plus ou moins bien selon les communes, avec Biarritz en lanterne rouge. Mais le mode de calcul même du taux de logement social empêche de saisir l’ampleur du problème : ce taux n’est calculé que sur le nombre de résidences principales. Les résidences secondaires, totalement exclues du calcul, constituent un angle mort de la loi SRU. Ainsi, dans les villes où près de la moitié du parc de logement est secondaire, tels que Guéthary ou Saint-Jean-de-Luz, il faut diviser par deux le taux officiel pour approcher de la réalité.
Et avec la pénurie actuelle, les délais d’attente avant l’accession aux logements sociaux se comptent en années. À Saint-Jean-de-Luz, Ambre essaie depuis 4 ans d’obtenir un T3. Cette mère séparée, actuellement logée dans un T2 dans le privé, accueille son fils de 13 ans en garde alternée une semaine sur deux, avec une seule chambre. « Je n’ai rien à reprocher à mon appartement, il est très bien. Il lui manque juste une chambre », confie-t-elle. Les revenus de cette travailleuse de la restauration, qui a pris une mission d’ouvrière depuis la crise du Covid, oscillent entre 1500 et 1800 euros mensuels, sans contrat stable. Impossible dans ces conditions de trouver un T3 dans le privé, trop cher. Mais la pénurie de logement social lui bloque aussi l’accès aux HLM : « Dans le dernier dossier que j’ai présenté, on m’a répondu que je gagnais trop d’argent. » Désabusée, elle hésite à continuer les démarches ou à se résigner à dormir dans le salon.
Outre les logements sociaux locatifs, il existe bien l’accession sociale à la propriété, qui permet à des personnes à faibles revenus d’acquérir auprès des offices HLM des logements à moindre coût. Mais celle-ci pose un problème de taille : quand les logements sont revendus, ils sortent du parc des logements sociaux et sont reversés sur le marché privé. Il n’est pas rare qu’un bien vendu en accession sociale devienne, une dizaine d’années plus tard, une résidence secondaire.
Pour éviter cette situation, le Comité Ouvrier du Logement (COL) a mis en place un bail réel solidaire début 2020. Le principe : dissocier le foncier (le terrain) de l’immobilier (les murs). Les acheteurs en accession sociale n’acquièrent que le bâti, le terrain reste la propriété de l’organisme et s’ils veulent revendre, ils sont obligés de le faire au sein du COL. Ainsi, le logement échappe à la spéculation immobilière. Des appartements ont déjà été vendus selon ce principe à Espelette, d’autres sont en cours d’aménagement.
Du côté d’Etxalde, l’association qui doit se transformer sous peu en coopérative, une autre solution est proposée. « Les prix augmentent quand les biens sont vendus », détaille Beñat Etchebest. Il propose donc d’éviter que les logements se retrouvent sur le marché. Pour cela, Etxalde se porte acquéreur de logements puis installe des personnes qui ne paient que l’usufruit, et le transmettent si elles le souhaitent à des héritiers : « Il faut créer une personne morale pour que le bien ne soit pas remis à la vente. » Déjà propriétaire d’un immeuble à Mauléon, dans les terres, Etxalde est en train d’acquérir un nouvel appartement à Anglet, sur la côte. Le fondateur en est convaincu :« Il faut sortir du paradigme de la propriété privée. On ne peut pas fabriquer une France de propriétaires ».
La Fondation Abbé Pierre alarme sur de véritables « bombes à retardement » : suite à la crise sanitaire, un nombre croissant de Français n’est pas parvenu à faire face aux dépenses de logement. Dans un territoire tendu, où rien ne semble pouvoir freiner la sensationnelle ascension des prix et où 25 % des locataires consacrent plus de 40 % de leur revenus au loyer, la situation pourrait devenir explosive. Elodie Marot et son conjoint, désormais sans emploi et loin de leur territoire, ne voient pas le bout du tunnel. Leur fils de quatre ans, lui, réclame tous les jours la mer auprès de laquelle il a grandi.
(1) Benjamin Gayon, “Le foncier au Pays basque, un territoire d’expérimentations”. Éditions Elkar, 2015.
Crédits photo de Une : Gaizka Iroz / AFP.