“Ne me parlez pas, vous êtes des corrompus!”, lui a lancé un autre participant au rassemblement, quand un troisième répondait “peut-être, oui” quant à savoir si la pandémie était un complot. Et une dernière d’ajouter: “Vous voyez les chiffres (du Covid)… Ils mentent, tout est faux, il n’y a pas le nombre de morts que vous croyez, c’est une aberration mentale!” Ambiance.
Ce jour-là, à Nice comme à plusieurs autres extrémités de l’Hexagone, des convois se sont élancés avec l’objectif de rallier Paris vendredi 11 février en fin de journée, puis Bruxelles trois jours plus tard. À chaque fois, des motos et des véhicules particuliers, quelques fourgonnettes, mais pas vraiment de camions comme au Canada, d’où est partie l’idée de ce mouvement d’opposition. Un peu partout, des drapeaux français, de rares canadiens, et des gilets jaunes.
Portés par la complosphère
Et si une partie des manifestants acceptent de témoigner de bon cœur aux journalistes venant les interroger, l’un d’entre eux offrant même une chaleureuse accolade au reporter de LCI, tous ne sont pas franchement ravis du traitement médiatique reçu.
“Grand reset”, “bientôt tous pucés”, “il va y avoir un génocide à cause des vaccins”, “révolution”… les termes employés appartiennent souvent à un champ lexical bien connu. En effet, dans une note du Renseignement à laquelle ont eu accès plusieurs de nos confrères, dont franceinfo, il est précisé que le mouvement canadien luttant contre les mesures sanitaires “rencontre un fort écho, notamment au sein de la mouvance des anti-pass, complotistes et gilets jaunes”.
Une adhésion venue d’abord sur Facebook, puis via des groupes de discussion et des “médias citoyens” nés durant la mobilisation des gilets jaunes. Des relais qui se positionnent en opposition aux médias traditionnels, comme “Vécu”, ou comme le journaliste Richard Boutry, ex-présentateur de France Télévisions passé chez le désormais problématique France Soir avant de monter sa propre webtélé, rapidement devenue une référence au sein de la “complosphère”.
Résultat, à deux mois de la présidentielle, les participants clament haut et fort leurs revendications: une opposition pacifique à Emmanuel Macron et aux mesures sanitaires, et une envie de retrouver leurs “libertés” disparues selon eux du fait des dispositifs en place face au Covid, en tête desquels le pass vaccinal. “On est 4,7 millions de non-vaccinés. Macron veut nous emmerder, mais c’est nous qui allons l’emmerder”, explique par exemple un manifestant au Parisien. Une mobilisation qui se fonde ainsi sur un rejet de la classe politique, du discours majoritaire et de nombreux médias.
Des manifestants partagés
Et cela, Jean-Wilfrid Forquès, correspondant de BFMTV dans le sud-ouest du pays a pu s’en rendre compte ce mercredi. Prévoyant un direct depuis le départ du convoi de Perpignan, il en a été empêché par “un groupe d’hommes” menaçants et une femme “qui s’est mise devant la caméra avec un carton”. Ses interlocuteurs lui faisant notamment des reproches quant à la subjectivité supposée de la chaîne sur la crise du Covid: “on nous a dit que ça allait très très mal se passer pour nous si on passions en direct”, a-t-il raconté.
Au point qu’avec la journaliste reporter d’images qui l’accompagnait, ils ont préféré partir. Et cela alors qu’ils s’étaient accordés avec plusieurs manifestants, une retraitée et un gilet jaune qui, eux, voulaient bien témoigner.
Et cette ambivalence envers les journalistes se retrouve d’ailleurs dans les rangs des convoyeurs se dirigeant vers Paris. Sur un groupe de discussion Telegram regroupant des centaines de soutiens franciliens au “convoi des libertés”, Le HuffPost a pu lire tant des incitations à parler qu’à se méfier de la presse.
Les membres y sont aussi incités à remettre leurs communiqués de presse et à confier leurs revendications à certains représentants identifiés au sein du cortège, afin que ceux-ci les transmettent à la presse et aux politiques. Toujours dans ce groupe, un appel a été lancé pour refuser de s’adresser aux médias, “qui ne délivrent pas une information plurielle, objective, qui ont abandonné le travail d’investigation, ne respectent pas la charte de Munich et ont oublié qu’ils sont le 4ème contre-pouvoir indispensable à toute démocratie”.
Sur le principal groupe Facebook de la mouvance, fort de plus de 340.000 membres, les publications évoquant des sollicitations médiatiques visant certains membres ou des reportages sur leur lutte divisent aussi. Quand certains se réjouissent de commencer à peser dans l’opinion, d’autres multiplient les attaques contre les médias traditionnels.
À l’image d’une demande d’interview d’un journaliste de France Info reproduit dans le groupe et qui résulte en une opposition entre deux membres. D’un côté, une femme invite les membres à accepter les demandes presse, puisqu’il “vaut mieux parler par vous-même qu’avoir les médias qui interprètent d’eux-mêmes le mouvement”; et de l’autre un homme commentant quant à lui: “Il ne faut surtout pas parler à France Info qui est une tribune bobo dégénérée à la solde du pouvoir en place!”
Les gilets jaunes toujours présents
Ces deux attitudes sont rapportées par la plupart de nos confrères présents dans les cortèges ayant déjà pris la route vers la capitale, évoquant des refus assez récurrents de leur parler, quand ils ne sont pas accusés de mentir ou de porter la parole du gouvernement par une partie des manifestants. Le résultat sans doute d’un agrégat de profils très hétéroclites, qui donnent au mouvement un fonctionnement encore très nébuleux.
Ainsi, sur la chaîne d’État russe RT, une femme se présentant comme membre de l’organisation de la manifestation, Régine Briquez, assure que le mouvement n’a aucune obédience politique et qu’il se veut avant tout pacifique. “On ne va pas pouvoir empêcher les banderoles et les revendications, notamment des gilets jaunes, mais l’essence du mouvement, c’est le retour des libertés”, avant d’assurer que toute façon, “les médias mentent et essaient de discréditer” l’initiative.
Une affirmation à laquelle se joint Jérôme Rodrigues, figure du mouvement des gilets jaunes. Au micro de LCI, celui-ci a, au contraire de Régine Briquez, directement lié le mouvement social de ce début 2022 à celui de la fin d’année 2018. “Ce n’est pas du tout une résurgence des gilets jaunes”, affirme-t-il. ”Ça fait trois ans que les médias font passer pour morts les gilets jaunes. Ils ne sont jamais morts, n’en déplaise au gouvernement et aux médias.” Et d’ajouter que les gilets jaunes font d’ailleurs partie de l’organisation de tous les convois.
Et de la même manière que la presse avait subi de vifs assauts au cœur de la mobilisation populaire des gilets jaunes, contraignant parfois les équipes de télévision à accompagner leurs journalistes d’agents de sécurité, la grogne contre les médias est déjà bien présente.
Avec encore une fois Jérôme Rodrigues, sur Sud Radio ce coup-ci: “J’avertis les médias parce qu’à peine le convoi parti, on nous dit déjà que c’est des complotistes. Les médias sont déjà en train de diffamer, de diaboliser, de dégueulasser… Mais aujourd’hui, on ne va pas se laisser avoir.” Ambiance, encore.
À voir également sur le HuffPost: Selon Attal, la levée du pass vaccinal pourrait être envisagée pour “fin mars-début avril”