Lorsqu’on se plonge dans la liste des plus grands succès français en salles en 2021, 4 des 6 films les plus populaires sont des comédies:Kaamelott, OSS 117, Les Tuche 4 et Les Bodin’s. Ensemble, ils cumulent près de 7,5 millions d’entrées au cinéma pour… zéro nomination aux César. Si la non-place des comédies lors de la grand-messe du cinéma français interroge régulièrement depuis sa création en 1976, reste que le grand écart entre les films plébiscités par les Français d’une part, et ceux qui trouvent grâce aux yeux des quelque 4500 professionnels votants de l’Académie des César est particulièrement criant cette année.
La comédie, un genre boudé par les élites
Historiquement pourtant, “le cinéma français s’est vraiment construit autour de la comédie”, rappelle au HuffPost Adrien Valgalier, doctorant en études cinématographiques à l’université Paul-Valéry de Montpellier. “Plus de 50% de la production des premiers films muets sont des comédies par exemple. Et jusqu’à aujourd’hui, la comédie a toujours gardé une place non négligeable au box-office.” Mais cette tradition culturelle ne se reflète pas du tout aux César.
Si l’on se doit de mentionner le trophée de meilleure actrice dans un second rôle à Valérie Lemercier pour Les Visiteurs en 1994 ou celui de meilleur acteur attribué à Jacques Villeret pour Le dîner de cons en 1999, reste qu’en près de 50 ans les exemples de prix remis à des comédies se comptent sur les doigts de deux mains. Et pour les sociologues qui observent l’industrie du cinéma, il n’y a rien de surprenant en ça.
“Les César se positionnent comme une institution qui légitime les œuvres, comme s’ils étaient les ‘gardiens du temple cinématographique français’”, explique Chloé Delaporte, enseignante-chercheuse en socio-économie du cinéma et de l’audiovisuel à l’université Paul-Valéry de Montpellier. “Les films de genre -et la comédie en est un- sont traditionnellement boudés par les élites intellectuelles en France. Faire entrer des comédies populaires aux César ce serait presque aller à l’encontre de leur identité.”
Un point de vue partagé par Adrien Valgalier pour qui les César participent à “des enjeux de légitimation culturelle”, tout comme le font les médias ou les festivals. Si le 3e volet des aventures d’OSS 117 réalisé par Nicolas Bedos a eu la chance de faire l’ouverture du Festival de Cannes, Kaamelott, Les Tuche ou Les Bodin’s ont été complètement écartés par l’intelligentsia du cinéma, voire méprisés par les critiques.
Notoriété mais pas popularité
Et au final, une nomination aux César est plus “un indicateur de notoriété que de qualité”. “Le système de vote des César est tel que la liste des nommés nous dit quels ont été les films dont les professionnels ont parlé au sein de leur filière”, avance Chloé Delaporte qui s’apprête à publier un ouvrage sur La culture de la récompense dans les compétitions, festivals et prix cinématographiques.
Pour les “institutions dominantes” que sont l’Académie des arts et techniques du cinéma ou les prestigieux festivals de Cannes ou Venise, la comédie n’a “jamais été un genre noble”. D’abord parce que comme tous les films de genre (l’horreur en est un aussi), il est trop éloigné de la conception idéalisée du cinéma hexagonal, “mélange de la Nouvelle vague et de la qualité française” pour Adrien Valgalier. Et aussi parce que la comédie est associée au rire, “une expression sonore du corps humain qui, dans notre société occidentale, peut être considérée comme vulgaire”, esquisse sa consœur. “Dès lors qu’un réalisateur se place dans l’objectif de susciter une réaction corporelle à son public, il est presque auto-banni aux yeux de l’intelligentsia.”
En 2018, l’Académie avait annoncé la création d’un César du public récompensant le long-métrage en tête du box-office. Cette année-là, le prix – qui n’était pas le résultat d’un vote, mais d’un succès économique donc – avait été attribué à Dany Boon pour la comédie Raid portée par Alice Pol et Sabine Azéma. Rétropédalage trois ans plus tard, en 2021, où le César du public laissait place à un César anniversaire remis à la troupe du Splendid. “Histoire de mettre en avant la comédie au centre des débats”, assumait la maîtresse de cérémonie Marina Foïs.
Un choix pas vraiment “audacieux” pour le doctorant en études cinématographique qui y voit plutôt le signe de “la patrimonisation d’un certain cinéma populaire français” daté de 40 ans, plutôt que de s’intéresser à la production actuelle.
Ce vendredi 25 février, ni César du public ni César anniversaire au programme. Si Antoine de Caunes regrette l’absence de Kaamelott parmi les nommés – “pas parce que j’y joue, mais parce que l’approche du film épique d’Alexandre Astier n’a pas été perçue par le métier comme elle aurait pu l’être”, a-t-il soufflé – c’est plutôt entre les prix que le rire aura les honneurs, pour rythmer la longue soirée des téléspectateurs de Canal+. Parce que dans la hiérarchie culturelle de la télévision, la comédie a sans doute une meilleure place.
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