Un accomplissement de plus dans la vie déjà bien remplie d’un jeune homme que rien ne destinait à briller sur la neige. Car en Haïti, là où “Richi” est né le 16 août 2002, aucune trace de poudreuse ou de télésièges.
Tout cela, il l’a découvert à 7000 kilomètres de là, dans le massif des Écrins, où sont installés ses parents adoptifs, Silvia et Andrea. Un couple d’Italiens qui a franchi les Alpes en 1998. Des passionnés de montagne. Lui guide les touristes vers les sommets, elle tient un gite d’étape où ils se restaurent. “Et puis à la quarantaine, l’enfant ne venant pas, on a pensé à l’adoption.” S’ensuit un long parcours administratif jusqu’au jour où une association lyonnaise parle à Silvia d’un petit garçon haïtien. “On est tellement heureux qu’on ne se pose pas la question de savoir d’où il vient ou de quelle couleur il est”, sourit la maman au téléphone, émue. Andrea part seul chercher le petit bonhomme, qui arrive en France à Noël 2006.
Richardson ne parle que le créole. Il n’a eu que quelques jours pour s’habituer à celui qui vient de devenir son papa et est un peu choqué par tout ce changement. “Tout de suite, on se dit qu’on va l’emmener dans la nature, et on lui prend des petits skis d’enfant”, déroule Silvia. “Et il a adoré. Il voulait toujours sortir avec ses skis et c’est l’une des premières choses qu’il a appris à dire.” L’intéressé confirme: ”Ça m’a plu direct!” Une sensation “de glisse et de liberté” qui font rapidement du ski une passion pour le petit garçon.
Silvia Viano / Le HuffPost
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Car si Silvia et Andrea lui font essayer d’autres disciplines, où les entraîneurs veulent à chaque fois l’inciter à poursuivre tant il brille, lui revient inlassablement au ski. “Je suis très sportif, mais c’est vraiment le sport avec lequel j’ai le plus d’accroche”, explique celui qui pratique aussi le vélo sur route et le VTT, qui a joué au football, pratiqué le karaté à bon niveau, s’amuse constamment à faire des saltos… Et quand on lui demande ce qu’il fait désormais quand il ne pratique pas sa discipline au haut niveau, sa réponse est éloquente: “Quand je ne skie pas (en club), je skie beaucoup en libre avec ma famille.” “C’est un compétiteur de première. Si vous mangez un plat de pâtes, lui doit en manger deux”, plaisante aussi sa mère, décrivant un jeune homme qui transforme la pression en carburant plutôt qu’en stress.
“Quand il était au club, il faisait partie d’un super groupe donc ça l’a aussi poussé”, reprend Stéphane Roger. La preuve: avec quelques copains du collège, au moment d’entrer en classe de troisième, il intègre le pôle espoir de Briançon et le Comité de ski Alpes-Provence. Le plus haut niveau départemental, qui va s’accompagner de la découverte des courses internationales. Et de la réalité d’un sport où seule une infime élite atteint les sommets. “Quand ils débarquent dans ces catégories-là, ils sont les plus jeunes et peuvent affronter des ados qui ont déjà 20 ans”, précise Stéphane Roger. “Forcément, les premières années, les résultats ne sont jamais probants.”
“La sélection est rude, méchante pour des gamins de 15, 16 ans. Avec un entonnoir très étroit pour faire la sélection”, confirme la mère de Richardson Viano. ”Être le seul garçon noir, différent, dans ce monde du ski, celui que tout le monde repère, revenir de blessure (il s’est cassé le fémur deux ans plus tôt alors qu’il était en pleine croissance), avec des résultats scolaires vraiment pas terribles… Ça a été très difficile pour lui.” Et son ancien entraîneur d’abonder: “C’est le moment où les jeunes qui ne sont pas pris abandonnent, mais lui a voulu continuer.” Car Richardson n’est pas du genre à laisser tomber, et la suite lui donnera raison. “Quand j’étais petit, on me disait que je n’aurais aucune chance. Je n’ai jamais écouté.”
“Depuis tout gamin, il me dit qu’il veut être champion de la ‘poudre magique’, comme il l’appelait petit”, confirme Silvia, la maman. “Il y a cette histoire d’un flocon qui lui tombe sur le bout du nez et qui fond alors qu’il découvre la neige. On en a parlé pendant des années parce qu’au fond de lui, il s’est toujours dit qu’il y arriverait même si tout cela était nouveau pour lui.”
Silvia Viano / Le HuffPost
La Fédération haïtienne de ski a bel et bien été créée par ce fameux Jean-Pierre Roy, un skieur du dimanche installé en France depuis des décennies et qui a monté de bric et broc cette petite structure pour prendre part aux Mondiaux de Garmisch-Partenkirchen en 2011. Son idée: trouver un moyen original de faire parler de sa terre d’origine, terriblement éprouvée par le tremblement de terre de janvier 2010. Une initiative qui rencontre un succès certain, au point que le président Roy se retrouve à expliquer à la télévision haïtienne et pour un public qui n’a jamais vu de neige ce qu’est le ski et que cela peut même donner lieu à des compétitions. Convaincu par son projet, il se met ensuite en quête de jeunes Haïtiens de la diaspora pour prendre sa suite et obtenir de meilleurs résultats que lui. À l’image de Richardson Viano donc, et de son remplaçant à Pékin, Mackenson Florindo, un jeune de 19 ans, adopté et passé par des classes sportives lui aussi.
Une fois convaincue de la véracité de la proposition haïtienne, la famille Viano demande un temps de réflexion à Jean-Pierre Roy, histoire de finir la saison en cours. “Avec la France, je n’avais pas le niveau requis pour pouvoir poursuivre au haut niveau.” Alors au bout de six mois, “Richi” finit par s’approprier le projet haïtien et répond favorablement. En novembre, son transfert est accepté par la FIS, l’instance internationale suprême. “Au début, je ne savais pas trop à quoi m’attendre: c’est une petite fédération avec peu de moyens”, confie le jeune homme. Mais très vite, il est séduit par un projet “familial”, sans aucune exigence de résultat et où la seule motivation de représenter et d’inspirer.
Ce que Richardson Viano réussit à merveille en février 2021, lorsqu’il étrenne la combinaison haïtienne aux Mondiaux de Cortina d’Ampezzo. Blessé au genou deux semaines avant la compétition, il débarque sans confiance, ni repère en Italie, où il doit se mesurer aux meilleurs skieurs de la planète. “Je croyais que je n’avais aucune chance, et au final, en y allant comme si je n’avais rien à perdre, j’ai fait deux manches correctes.” Un euphémisme puisque sa course voit le skieur haïtien terminer en 35e position, à une vingtaine de secondes du champion du monde français Mathieu Faivre. Un résultat inespéré et “une sensation énorme” pour Richardson. ”Être considéré de la même manière qu’un grand champion le temps d’une journée, avoir tout ce monde qui m’applaudissait dans l’aire d’arrivée, c’était formidable!”
Alexis Boichard / Agence Zoom / Getty Images
Après qu’il a d’abord intégré un lycée des métiers de la montagne disposant d’un petit groupe de ski de haut niveau, ses parents financent désormais une structure privée offrant un entraînement soutenu tout au long de l’année et du travail technique de qualité. Et avec ces petits moyens, “Richi” a décidé de se consacrer exclusivement à sa passion. “Au début, je ne savais pas trop à quoi m’attendre en ayant arrêté l’école. Et finalement, j’ai fait le meilleur choix.”
“Il faut bien se rendre compte que quand il est 35e aux Mondiaux de Cortina, il le fait avec un matériel presque d’amateur, sans personne pour l’accompagner mentalement, sans kiné”, insiste Silvia, cassant d’emblée l’image du skieur professionnel couvé par un staff aux petits soins. “C’est une toute petite structure: il prépare lui-même ses skis, il lave son linge…” Car loin des équipe de France, de Suisse ou d’Autriche, Haïti ne peut proposer qu’un maigre accompagnement financier, et solliciter le Comité olympique local et le CIO pour espérer un peu mieux. Charge à “Richi” et à sa famille de financer la vie en station en période hivernale, le matériel, les hôtels, les déplacements. Fin 2021, la marque Rossignol lui a offert quatre paires de skis de bien meilleure qualité que ce qu’il avait jusqu’à présent et sa commune lui donne une petite bourse.
“Ce sont de petites pièces, mais pour qu’il puisse devenir un vrai athlète professionnel, il faudrait beaucoup plus”, continue Silvia, sans chercher à dramatiser, simplement ravie que son fils vive sa passion à fond. Comme les deux sœurs de Richardson d’ailleurs, Bellandine et Natacha, elles aussi adoptées en Haïti dans la même crèche que “Richi”, respectivement âgées 17 et 16 ans, et qui ont déjà trouvé une voie professionnelle qui leur plaît. Le jeune homme, lui, rêve d’aller encore plus loin. “Depuis que je suis avec Orsatus (la structure privée avec laquelle il travaille), je trouve qu’il y a une grosse progression. Avant j’étais à 6 secondes des meilleurs, et en une saison, c’est passé à 3!” Bien conscient que l’écart avec la coupe d’Europe, la deuxième division mondiale, est encore grand, il reste néanmoins patient.
Silvia Viano / Le HuffPost
Un projet qui commencera à prendre corps le 30 janvier, avec son départ pour la Chine, accompagné de Silvia. À Pékin, Richardson défilera donc pour la cérémonie d’ouverture des JO, le 4 février. Il deviendra même le premier athlète haïtien à prendre part aux Jeux olympiques d’hiver, mais ne portera pas le drapeau de son pays, un privilège laissé à Jean-Pierre Roy, l’architecte de cette belle aventure caribéenne, qui lui n’a jamais réussi à valider son billet pour des Jeux. “Et ensuite, aux Mondiaux de Courchevel l’an prochain, puis aux JO de Cortina en 2026, j’espère que ce sera mon tour”, sourit son successeur.
Loin de toute cette effervescence, sa mère souhaite quant à elle voir son fils s’épanouir sereinement. “Si les JO sont un tremplin pour lui donner les moyens de vivre de ce qu’il aime, tant mieux! Mais nous on veut surtout qu’il reste avec sa passion, sa musique, son rap, et qu’il vive sa vie normale de garçon de 19 ans.” Un jeune homme dont les courses seront diffusées dans le monde entier en ce mois de février, mais qui se présentera sans pression, simplement heureux de faire partie de ce “beau” rassemblement de toutes les Nations. “Et puis j’espère que mon histoire pourra montrer que même en étant désavantagé et en pratiquant un sport qui n’est pas censé être le nôtre, aux peuples africains, c’est possible de réussir!”
Sur le slalom géant des JO, le 13 février, Richardson Viano sera accompagné par un autre concurrent caribéen puisqu’un athlète jamaïcain au parcours incroyable a aussi réussi à se qualifier. Et pour cause: Alexander Benjamin a 38 ans, et il n’avait jamais skié avant de souffler ses 30 bougies.
Brillant diplômé en ingénierie, DJ invité à se produire au festival américain de “Burning Man”, financier à succès… l’homme né au Royaume-Uni d’une mère anglaise et d’un père jamaïcain a eu mille vies avant de rencontrer les planches et la poudreuse lors de vacances au Canada. Et grâce à une improbable septième place lors des championnats nationaux du Cap Vert organisés au Liechtenstein le 12 janvier, fruit de deux ans de travail acharné à skier aux quatre coins du monde, il valide sur le fil son billet pour Pékin.
Ce qui fera de lui le 15e athlète venu de Jamaïque à concourir lors des JO d’hiver, et le premier en ski alpin. Au point même d’avoir attiré l’attention d’Atomic, prestigieuse marque de ski autrichienne, qui lui a offert un contrat. Contrairement à “Richi”, il s’agit toutefois d’une participation qui tient surtout aux quotas existant pour permettre à des pays sans domaine skiable de participer aux Jeux qu’à une réelle pratique du ski à haut niveau.
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