« Kyra ! Kyra ! » crie quelqu’un dans un appartement d’Utrecht, aux Pays-Bas. Les couloirs de l’immeuble sont recouverts de moquette et je croise des passants à chaque pas-de-porte. « Salut », dit Hiba, 29 ans, en tenant son chat noir et blanc. Elle partage l’appartement avec ses parents et ses deux chats, Kyra et Tabloesj.

Hiba et sa famille ont fui Damas, la capitale syrienne, en 2016. À l’époque, la guerre civile avait déjà fait 400 000 victimes. Pour se rendre aux Pays-Bas, elle a dû laisser ses animaux derrière elle : Kyra chez des amis et Tabloesj dans un refuge.

« Je pleurais tous les jours, dit-elle. Tabloesj a vécu dans le refuge pendant deux ans. Personne ne voulait de lui. Je savais qu’il n’était pas bien traité et que d’autres chats l’attaquaient. Alors j’ai demandé de l’aide à Rawaa. »

Rawaa Kilani, 43 ans, est la fondatrice de CatConnect, une association néerlandaise qui réunit les animaux abandonnés dans les zones de guerre syriennes avec leurs propriétaires. Rawaa est bien connue dans sa ville natale de Damas, où elle a vécu jusqu’en 2016. En 2018, elle a même fait une apparition dans la docu-série Dogs sur Netflix, dans laquelle on la voit aider le réfugié syrien Ayham à évacuer clandestinement son husky Zeus de la capitale déchirée par la guerre.

Au téléphone, Rawaa me dit qu’elle sauve des animaux depuis 25 ans. Avant d’être contrainte de quitter Damas, elle a personnellement adopté 40 chats et nourrissait jusqu’à 150 chats errants par jour. En 2010, elle a fondé CatConnect avec un ami vivant aux Pays-Bas. Rawaa sauvait des chats en Syrie, tandis que son ami coordonnait leur transport et leur adoption aux Pays-Bas.

En 2016, Rawaa a quitté la Syrie et a commencé à gérer CatConnect toute seule. Elle vit maintenant avec son mari, ses jumeaux nouveau-nés et ses quatre chats dans la ville d’Apeldoorn. Financé par des dons, CatConnect est un emploi à plein temps, mais elle ne perçoit pas de salaire. « J’ai vendu ma voiture et mes bijoux en or en Syrie pour pouvoir continuer à nourrir les chats des rues », explique-t-elle. Sa famille dépend maintenant des allocations pour survivre.

« Je pense avoir contribué à réunir sept ou huit familles aux Pays-Bas avec leurs animaux de compagnie, dit-elle. Mais au niveau mondial, ce nombre est beaucoup plus élevé. » Actuellement, elle aide une jeune fille qui vit aux Pays-Bas et qui veut faire venir son grand-père de Syrie, mais celui-ci refuse de bouger sans ses deux chiens. Il va sans dire que la pandémie vient compliquer les choses, car il n’y a actuellement pas de vols directs en provenance de Syrie et du Liban voisin.

Il n’est pas facile de rapatrier un animal aux Pays-Bas, explique Rawaa : « J’ai une équipe en Syrie qui s’occupe de toute la paperasse et qui achète des cages pour les animaux. Je trouve un volontaire qui peut les accompagner dans l’avion et dans le taxi depuis Beyrouth ou Damas, ou un autre endroit en Syrie. » 

L’équipe organise également des tests de dépistage de la rage et les vaccinations dont les animaux ont besoin pour entrer en Europe. « Enfin, on s’assure que quelqu’un sera à l’aéroport pour récupérer l’animal », dit-elle. Au total, il faut compter 600 euros pour rapatrier un animal. Si quelqu’un n’a pas les moyens, CatConnect l’aide également à collecter des fonds.

Avant de quitter Damas, Hiba avait une dizaine de chats. « On apprend dès le plus jeune âge que les animaux ne valent rien », dit-elle. Elle explique que les rues de la capitale sont remplies de chats errants, les animaux de compagnie ne faisant pas partie de la culture syrienne. « Si un chat se faisait renverser par une voiture, personne ne s’arrêterait pour l’emmener chez le vétérinaire », dit-elle. Mais sa famille a toujours été amatrice de chats et avait l’habitude de nourrir et d’aider de nombreux animaux dans le besoin.

Reem, 42 ans, et sa fille Sedra, 17 ans, ont elles aussi retrouvé leurs animaux grâce à Rawaa. Via Zoom, Sedra me raconte qu’elles ont fui la Syrie en 2015 via le Liban, la Turquie et la Grèce, laissant leurs chats Jack et Rose chez son père. Ses parents sont divorcés, mais son père vit maintenant aux Pays-Bas lui aussi. 

Leur voyage aux Pays-Bas a été traumatisant. Le bateau qu’elles ont pris entre la Turquie à la Grèce est tombé en panne ; elles ont été menacées avec une arme et laissées sans nourriture et sans eau par des soldats grecs. « Cela nous a pris 20 jours au total, et nous avons à peine dormi pendant tout ce temps », dit-elle.

Après deux ans passés dans un centre pour demandeurs d’asile, les deux femmes se sont vues attribuer une maison à Venlo, dans le sud-est du pays. « De temps en temps, mon père nous envoyait des photos et des vidéos des chats, dit Sedra. On voulait tellement les voir qu’on pleurait. On ne peut pas vivre sans nos chats, ils sont comme des enfants pour nous. »

Elles ont entendu parler de CatConnect grâce au bouche-à-oreille. Rawaa s’est occupée des papiers et a payé les frais des animaux, car la famille de Sedra ne pouvait pas se le permettre. Jack et Rose ont été placés sur un vol pour la Belgique avec deux autres chats, mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. 

Rose avait reçu un vaccin contre la rage en Syrie, mais il n’apparaissait pas dans ses analyses de sang. 

« On nous a donné quelques options : on pouvait soit la faire piquer, soit lui redonner le vaccin, sinon elle devait retourner en Syrie, dit Sedra. Sauf qu’on n’avait pas d’argent pour ces choses-là, alors Rawaa a fini par payer le vaccin. » L’ensemble du processus a duré environ trois mois et demi, et Rawaa a fait en sorte que quelqu’un héberge Jack et Rose pendant cette période. « On lui doit tout », poursuit Sedra.

Les chats et leurs propriétaires ont traversé de nombreuses épreuves. Leur présence aide Sedra à se sentir comme chez elle aux Pays-Bas. « Quand nous sommes tristes, ils viennent près de nous, dit-elle. Ils dorment sur nos genoux et nous donnent l’énergie positive dont nous avons besoin pour continuer. »

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