Eloise* travaille dans un laboratoire d’analyses à Strasbourg. Depuis le début de la crise, elle travaille 6 jours sur 7 pour tenter de répondre à la demande. Son département fait partie des plus touchés dans l’hexagone et les derniers chiffres sont inquiétants. En ce moment, le Bas-Rhin vit une recrudescence du virus avec un taux d’incidence de 179 cas pour 100 000 habitants.
Alors que le gouvernement a annoncé un couvre-feu dans les plus grandes villes touchées et l’arrivée d’un nouveau test antigénique sur le marché, les laboratoires ne désemplissent pourtant pas. VICE a interrogé Eloise laborantine depuis le début de la crise sanitaire pour nous raconter son quotidien et son point de vue sur la situation.
VICE : Est-ce que la plupart des gens viennent vraiment sans raison ?
Eloise : Les gens ont toujours une raison sauf que parfois elle n’est pas valable ou suffisante pour faire un test. Quand il y a peu de monde dans mon laboratoire, cela nous arrive de prendre des personnes qui n’ont pas d’ordonnance en fin de matinée. On leur demande toujours pourquoi ils souhaitent faire un test. Souvent c’est juste au cas où juste pour savoir. C’est ce genre de demande qui rallonge le délai de résultat de ceux qui en ont vraiment besoin. Ceux qui viennent alors qu’ils n’ont pas de symptômes et ne sont pas cas contact ne devraient pas pouvoir faire de test, nous avons trop de mal à assurer un délai correct de résultat. Je sais que c’est dur quand on a peur de contaminer un proche mais il faut être raisonnable et s’isoler quelques jours si on a peur de l’avoir sans pour autant développer de symptômes.
« Déjà qu’ils ont peur de la douleur alors s’ils se mettent à avoir peur d’avoir de la morve au nez c’est le drame. »
Qu’est-ce que ça fait de voir les trous de nez des gens au quotidien ?
C’est une nouveauté dans mon métier on va dire. Avant, je procédais principalement aux prises de sang et ça me manquerait presque. Procéder un prélèvement par voie nasale c’est forcément plus intime que piquer le bras d’un patient avec une seringue. On a parfois du mucus qui coule ou qui s’accroche à l’écouvillon lorsqu’on procède au test. Ça ne me dérange pas, je reste professionnelle mais ça gêne toujours un peu les personnes à qui ça arrive. Il faut essayer de les mettre à l’aise, déjà qu’ils ont peur de la douleur alors s’ils se mettent à avoir peur d’avoir de la morve au nez c’est le drame.
Justement, est-ce que ça fait vraiment mal ?
Non et je ne comprends pas ceux qui disent le contraire. Il y a toujours un risque que cela soit mal fait et dans ce cas précis ça peut faire mais ça reste très rare, ce n’est vraiment pas compliqué de réaliser un test PCR correctement.
Mais dans ce cas pourquoi certains patient en parlent pendant des jours ? Soit ils sont mal tombés soit ils font du cinéma. Oui, ce n’est pas agréable et c’est logique. Le principe du test est de faire un frottis naso-pharyngé c’est-à-dire qu’on fait un prélèvement à la jonction entre le pharynx et le nez on n’a pas l’habitude d’être touché dans cette zone. Vu qu’on enfonce l’écouvillon très loin, on peut se mettre à pleurer et c’est une réaction normale. On ressent une gêne pendant les vingt minutes qui suivent le test et c’est terminé. Une fois un patient m’a dit après le prélèvement qu’il avait eu l’impression d’avoir été violé, j’avais honte pour lui d’oser dire ça.
« Il y en a au moins dix que l’on voit toutes les semaines »
Est-ce que vous voyez régulièrement les mêmes personnes ?
Oui, on voit souvent passer les mêmes personnes. Je connais même le prénom et la vie des plus réguliers. Il y en a au moins dix que l’on voit toutes les semaines. On essaye de les convaincre de ne pas venir, que ça ne sert à rien d’en faire aussi souvent surtout avec le temps d’attente pour avoir les résultats qui ne fait que se rallonger. Dans mon labo, il faut par exemple attendre 6 jours. J’ai déjà refusé des patients car ils n’avaient non seulement aucune raison de se faire tester mais surtout déjà fait un test quelques jours avant dont ils n’avaient pas eu le résultat. On a aussi le cas de ceux se font tester dans plusieurs laboratoires car ils estiment que le résultat n’est pas assez fiable pour se contenter d’en faire un seul.
Vous n’avez pas trop peur d’être contaminée ?
Non pas vraiment, je l’ai déjà eu et je pense l’avoir attrapé au travail. Alors oui, je pourrais être à nouveau contaminée, il y a de plus en plus de cas de recontamination mais ça reste rare et maintenant je sais à quoi m’attendre. C’est plus de l’agacement que de la peur. Presque tous les jours, j’ai affaire à des personnes qui ne respectent les règles sanitaires durant leurs tests. J’en ai qui retirent leur masque en entier (alors que pour le test PCR il faut juste dégager son nez) et qui se mettent à tousser près de moi. À croire qu’ils font exprès. On prend des risques pour eux et pour lutter contre la propagation du virus alors la moindre des choses est d’au moins écouter nos consignes quand on se fait tester.
Quel a été votre pire patient ?
Probablement celui qui après lui avoir retiré l’écouvillon de son nez m’a demandé mon numéro de portable et proposé un dîner avec lui le soir même parce qu’il me trouvait mignonne. J’ai trouvé ça culotté, il était à risque car cas contact et c’était surtout la pire technique de drague possible. Même en 2020 et en pleine crise sanitaire, on peut faire mieux.
Combien de tests faites-vous par jour ?
J’ai la chance d’être dans un laboratoire qui propose des tests PCR uniquement le matin. On commence à 7h et on s’arrête à 13h tous les jours sauf le dimanche. J’avoue ne pas compter mais je dirais que je fais un test PCR toutes les cinq minutes et nous sommes trois dans le labo à en faire autant. Ça fait beaucoup à la fin de la journée.
« J’ai un peu l’impression d’être un robot à la fin de la journée »
Qu’est-ce qui est le plus fatigant dans votre métier en ce moment ? Probablement la répétition. En temps normal, on a le temps de discuter avec les patients, de leur demander pourquoi ils sont là, surtout pour les tests sanguins. Mais depuis le début de la crise, il faut aller vite pour que la file d’attente à l’extérieur du laboratoire n’atteigne pas le bout de la rue. Pour faire un test PCR, nous sommes dans l’obligation de répéter le protocole et demander les symptômes du patient, ça devient fatiguant à la longue. J’ai un peu l’impression d’être un robot à la fin de la journée.
Un conseil à donner pour ceux qui vont se faire tester prochainement ?
La base c’est déjà de se faire tester uniquement si vous avez été un cas contact direct d’une personne confirmée positive à la Covid-19 ou si vous avez plusieurs symptômes. Ensuite, respectez les distances de sécurité, ça paraît logique mais tous les jours je vois des personnes qui se parlent dans la file d’attente et qui se parlent à moins d’un mètre voire se touchent alors que les deux viennent pour un test PCR. C’est un peu contreproductif non ? Respectez les préconisations des soignants et tout va bien se passer.
*Prénom modifié par souci d’anonymat.
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