Plus tard, un membre du personnel a publié la photo sur la page Facebook du bar. C’est là que les problèmes ont commencé. Personne ne le savait, mais le compte était suivi par des journalistes pro-gouvernementaux qui se sont lancés dans une croisade contre le bar et Divine. La raison ? Deux semaines avant, le Parlement hongrois avait adopté une loi interdisant la « promotion » de l’homosexualité et du changement de sexe aux mineurs.
Depuis leur arrivée au pouvoir en 2010, le Premier ministre Viktor Orbán et son parti nationaliste Fidesz utilisent la presse comme outil de propagande. Un site pro-gouvernemental a déclaré que la photo montrait que les organisations LGBTQ cherchent à endoctriner des enfants. Un autre site est allé plus loin en affirmant que l’image prouvait que « l’adoption de la loi sur la protection de l’enfance par le gouvernement hongrois n’était pas nécessairement prématurée » – la nouvelle mesure anti-LGBTBQ était intégrée à un projet de loi qui prévoyait des peines plus lourdes pour les pédophiles, ce qui reflète les tentatives délibérées du gouvernement d’associer les gays et les lesbiennes à la maltraitance des enfants.
« Mes collègues m’ont dit de ne pas lire les commentaires parce qu’ils étaient trop méchants, raconte Divine. Je me suis toujours sentie en sécurité ici, en Hongrie, mais depuis que cette loi est entrée en vigueur, je me réveille et je m’endors en me demandant où aller. »
Valerie Divine, c’est aussi Szabolcs Farkas, qui a grandi dans la petite ville d’Ózd, près de la frontière avec la Slovaquie. Son enfance a été marquée par l’acceptation et la tolérance. « Pendant des années, j’ai demandé à des filles de sortir avec moi, mais elles ont toujours refusé. Je pense qu’elles savaient quelque chose que j’ignorais à l’époque », dit Farkas avec un rire nerveux. C’est sa mère qui a fini par aborder la question de sa sexualité et il a fait son coming-out à 19 ans.
Farkas a découvert la scène drag il y a cinq ans, lorsqu’il est arrivé à Budapest avec le rêve de devenir acteur. Tout a commencé lors de l’enterrement de vie de jeune fille de sa cousine, où il s’est produit avec un costume et une perruque confectionnés à la hâte, sous des applaudissements enthousiastes. Puis il a participé au concours Drag Queen Hungary 2020, qui a marqué un tournant dans sa vie.
« Je me suis lancé un an seulement avant le concours, j’avais donc beaucoup à apprendre, notamment sur le maquillage. C’était cool de réaliser que j’étais en fait très doué », raconte Farkas. C’est à cette époque que Valerie Divine est née.
Divine a fait une forte impression et a décroché la couronne nationale en août dernier. Sa mère et sa sœur étaient dans le public pour l’encourager. C’était libérateur pour Farkas de pouvoir s’exprimer ainsi après 29 ans à refouler un sentiment qui le hantait.
Bien que les personnes LGBTQ soient la cible du gouvernement depuis une dizaine d’années, la scène drag queen du pays est florissante. Chaque année, de nouvelles performeuses font leurs débuts à Budapest, déterminées à montrer que leurs talents peuvent rivaliser avec ceux des stars de RuPaul. Il s’agit d’une communauté très soudée, centrée sur l’art et le divertissement.
Le concours Drag Queen Hungary a débuté en 2019 au Kimberly Café & Bar avec une quarantaine de participants. En 2020, il s’est déplacé à Crush Budapest, où près de 150 personnes se sont réunies pour assister à la victoire de Divine. Plus tôt ce mois-ci, plus de 300 personnes se sont pressées au Bakelit Multi Art Centre, à la périphérie de la ville, où une drag queen appelée Sa’soon a hérité du titre de Divine. Dans le passé, la compétition n’accueillait que des amateurs, mais des professionnels y participent désormais.
Mais le parti Fidesz nourrit une animosité à l’encontre de la communauté, qui commence à se faire sentir. « Nous sommes tous stressés car nous ne savons pas ce qui va se passer ensuite et quels droits ils vont nous retirer », dit Gyula Antal Horvàth, directeur du concours Drag Queen Hungary.
Avant la mesure anti-LGTBQ de juin, le parlement hongrois avait adopté une loi interdisant aux couples de même sexe d’adopter des enfants, même si un seul partenaire en faisait la demande à titre individuel. Cette même loi définissait également la famille comme une institution « fondée sur le mariage et la relation parent-enfant », où « la mère est une femme et le père un homme ». En mai 2020, le Parlement a mis fin à la reconnaissance légale des personnes transgenres en les empêchant de modifier leur genre sur leurs documents d’identité.
Mais Farkas s’inquiète davantage de l’impact de ces mesures sur les jeunes LGBTQ en dehors de la capitale, dans les villages et les villes où les habitants se nourrissent de la propagande gouvernementale selon laquelle l’homosexualité est une menace pour les valeurs traditionnelles hongroises. « Il est beaucoup plus difficile d’assumer son orientation aujourd’hui qu’à mon époque. Dans de nombreux endroits, vous ne recevez aucun soutien et cela peut être effrayant », dit-il. Même à Budapest, les membres de la communauté sont de plus en plus prudents lorsqu’ils marchent dans la rue. Divine et ses collègues préfèrent se déplacer en groupe ou en taxi. Ils ne peuvent pas utiliser les transports publics parce qu’ils ont peur.
Chaque année, Farkas se rend religieusement à l’exposition World Press Photo pour voir les images les plus intéressantes de l’année. Il a été particulièrement touché par la photo de Mads Nissen, qui a remporté le concours en 2015. On y voit Jon et Alex, un jeune couple gay, dans leur appartement de Saint-Pétersbourg. Les deux hommes sont assis dans une pièce sombre aux rideaux tirés et semblent mal à l’aise. « Je n’arrête pas de me demander si nous allons finir comme la Russie. Devrai-je me cacher ? Rester enfermé chez moi ? Tirer les rideaux sur mon style de vie ? » dit-il. Ses yeux se remplissent de larmes, qu’il essuie d’un geste élégant. Le silence s’installe. Il n’y a rien d’autre à dire.
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