« C’est presque pour la beauté du geste : militant, féministe, politique. » Ainsi résume Lucile, 29 ans, dont le compagnon envisage une vasectomie. La jeune femme a pris la pilule, comme une majorité de Françaises, dès le début de sa vie sexuelle. « Je me suis toujours dit qu’il y a un moment où j’arrêterais. »

Périodes de déprime, petite libido… Elle la stoppe parfois, opte pour le préservatif ou le retrait, stresse un peu des risques. « Alors je me laissais convaincre par une gynéco de reprendre une pilule. Pas de remarques désagréables, hein, chez les gynécos rencontrées, mais un consensus évident sur le moyen de contraception à prendre. » Lucile arrête finalement sa contraception hormonale il y a 4 ans pour se tourner vers le stérilet, « au début pour moi, une vraie révolution ». Pendant 3 ans, elle s’accommode des rares fois où des douleurs surgissent, « des crampes douloureuses » après un rapport sexuel ou le sport.

Lucile se sépare de son partenaire, fait enlever son stérilet, prend rendez-vous plus tard pour une nouvelle pose. Et n’y va pas. Aujourd’hui en couple depuis 8 mois, elle a choisi d’en parler à son compagnon. « Je me suis dit que c’était aussi sa responsabilité. En tant qu’homme, personne ne lui a jamais parlé contraception, personne ne lui a jamais posé la question, de toute sa vie ! C’est choquant que ce soit uniquement la responsabilité des femmes. » Le dialogue s’instaure, le couple ne veut pas d’enfant, parle vasectomie. Lui a « un peu peur » mais donne son accord. En attendant, Lucile et son conjoint pratiquent une méthode vieille comme le monde, le retrait. « On le fait très sérieusement, à part genre 1 fois par mois, où l’on sait que c’est bon par rapport à mon cycle. On n’est pas stressés, peut-être à tort, mais pour nous il n’y a pas d’urgence à changer. » 

Comme Lucile, de plus en plus de femmes choisissent d’arrêter la pilule. Et le désamour pour le petit comprimé quotidien ne date pas d’hier. Sabrina Debusquat, journaliste spécialiste de la santé des femmes et autrice du livre « J’arrête la pilule » rappelle qu’entre 2000 et 2016 le recours à la pilule a diminué de 20% en France. « Quand tu es jeune, tu fais ce que te disent les médecins, tes parents, la société. Le regard critique sur les hormones arrive plus tard. Le choix du naturel est aussi plus tranquille lorsque tu as passé ton pic de fécondité. »

« Des affaires médiatisées, comme celle de Marion Larat, victime d’un AVC attribué à une pilule de troisième génération ont contribué à une remise en question des contraceptions chimiques. »

Une observation partagée par la gynécologue Bérangère Arnal, qui officie depuis 36 ans : « Dans mes consultations, nombreuses sont les patientes de 38-40 ans à vouloir arrêter la pilule. Mais depuis une dizaine d’années, je vois aussi des femmes plus jeunes qui se mobilisent pour ça, et se sont renseignées sur les dangers des hormones ». Des affaires médiatisées, comme celle de Marion Larat, victime d’un AVC attribué à une pilule de troisième génération, à l’âge de 18 ans, en 2006, ont contribué à une remise en question des contraceptions chimiques.

En soumettant à ses patientes un questionnaire, la docteure Arnal remarque que certaines adolescentes prennent la pilule dès leur 14 ans. Parfois pour des questions d’acné. Ce fut le cas d’Isabelle, qui, à 17 ans, se voit affubler d’un traitement pour l’acné, Roaccutane, qui doit être couplé à une contraception efficace. Alors que sa mère développe un cancer du sein à 40 ans, puis une récidive des années plus tard, une gynécologue lui conseille de stopper sa pilule vu son « patrimoine génétique ». Une autre gynéco lui dresse un « tableau épouvantable du stérilet ». Isabelle et son compagnon réfléchissent, optent d’abord pour le préservatif, puis pour le retrait. « Ça fait maintenant 5 ans, ça ne nous pose aucun souci. J’ai dû prendre la pilule du lendemain 4 fois par contre, ça c’est moins top. » Pour autant, la trentenaire, qui « n’a pas de désir d’enfant », souhaite conserver cette contraception naturelle. « Je ne me pose plus la question. Je perçois les changements de mon corps de manière plus fine, le moment où j’ovule aussi… Mon corps s’exprime librement, j’ai la sensation d’une réappropriation de celui-ci. » 

« Plus jamais je ne m’occuperai de contraception, ça m’a pourri 15 ans de ma vie. »

La sensation de reprendre possession de son corps, Marine, 30 ans, l’a vécu également. La pilule à 16 ans, 10 kilos de plus et une perte de libido incitent la jeune femme à tenter le stérilet à 25 ans. « Au bout de 5-6 mois, j’avais des crampes horribles pendant mes règles et un dérèglement intestinal. Je savais qu’il y avait un truc anormal, je connais mon corps. » L’échographie montre un rejet du stérilet et une grosse inflammation. Son médecin veut à nouveau lui prescrire une pilule. « Mais c’était non. Plus jamais je ne m’occuperai de contraception, ça m’a pourri 15 ans de ma vie. »

Marine utilise aujourd’hui une application mobile pour surveiller son cycle. Avec son mari, ils font parfois des détours par le préservatif en période d’ovulation, mais en règle générale « quand j’estime que c’est bon, on ne fait pas trop attention ». Le couple est conscient des risques, « mais si un enfant arrive, ce ne sera pas du tout un drame pour nous ». Avec le temps, son médecin généraliste a fini par s’incliner. « C’est votre corps, votre choix », a-t-il dit à sa patiente. « J’ai repris conscience de mon corps. Tu ressens tout ton cycle, tu le comprends mieux. Ça a vraiment changé la perception de mon corps. On a aussi découvert une autre sexualité, davantage sans pénétration. » À terme, après des enfants, le mari de Marine envisage la vasectomie. Pour dégager sa femme du fardeau de la contraception

L’autrice Sabrina Debusquat tend à défendre les méthodes naturelles, jugées peu fiables dans l’imaginaire collectif. « Quand c’est bien pratiqué, c’est très efficace. » Elle parle dans son ouvrage de sa propre expérience avec la symptothermie, une observation scrupuleuse du cycle et des signaux corporels, doublée d’une prise de température qui permet de connaître ses moments d’ovulation. « Je cherchais un moyen de ne pas avoir de diaphragme ou de préservatif tout le temps. Cette méthode me permet d’utiliser une protection uniquement pendant les périodes fertiles. »

La journaliste santé est cependant déçue d’avoir dû chercher cette solution par elle-même, sans qu’un ou une gynécologue ne fasse ce travail d’information. « L’écoute des patientes reste le plus gros du travail à faire. Le paradigme du tout-pilule prend l’eau. C’est un choix conscient de la part des femmes d’arrêter de prendre un médicament. Certaines m’écrivent qu’elles sortent carrément du parcours gynécologique car on ne les écoute pas. Or on sait que la compliance, le fait que la patiente choisisse et adhère à son traitement ou contraception, maximise son efficacité. »

« Ces femmes qui ont fini à l’hôpital à cause d’une pilule, c’est une violence dont on ne parle pas. C’était juste des femmes qui voulaient faire l’amour. »

Ses recherches et rencontres l’ont aussi amené à penser que les applications destinées aux femmes ne leur redonnaient pas suffisamment de pouvoir. « Un algorithme ne peut pas saisir toutes les subtilités du corps humain. » Sabrina Debusquat a fait du choix des femmes son combat : « Ces femmes qui ont fini à l’hôpital à cause d’une pilule, c’est une violence dont on ne parle pas. C’était juste des femmes qui voulaient faire l’amour. Je suis devenue militante féministe sur ce sujet grâce à mes enquêtes, car j’en ai marre de la solitude de toutes ces femmes, qui a aussi été la mienne. » 

Envisager une contraception naturelle semble aussi pour ces femmes un moyen de s’extraire d’une solitude contraceptive ne reposant que sur leurs ovaires. Partager une sexualité sans chimie induit la responsabilité du partenaire et la nécessité du dialogue. Amandine, 35 ans, qui voulait « reposer son corps de la pilule après avoir connu une collègue qui a fait un infarctus à 25 ans à cause de ça », a cédé face à un homme qui lui enjoignait de « prendre ses responsabilités ». Agacé par la méthode du retrait qu’il voyait comme « une forme de sadisme », elle a cédé, et repris la pilule contre son gré. « Au moment de l’arrêter, je culpabilisais déjà toute seule, je me disais que ce n’était pas normal de ne pas avoir de contraception. »

La relation est devenue houleuse, jusqu’à la séparation. « J’ai très mal vécu cette reprise de pilule. Je me suis ré-interrogée sur les rapports homme-femme, sur ma façon de pratiquer le sexe. » Aujourd’hui, Amandine est en couple depuis plus de trois ans avec un homme qui accepte pleinement la contraception naturelle. « On a conscience qu’un accident peut arriver, mais je le vis de manière plus légère avec une relation stable. C’est vraiment intéressant d’avoir des discussions sur le sujet, et mon compagnon a aussi découvert mon cycle, les conséquences sur le moral, tout. L’homme prend sa part, c’est plus égalitaire. » La jeune femme pense que dans ce choix se jouait pour elle « quelque chose à affirmer qui allait au-delà des enjeux de santé. Ça a un peu réinventé mes normes de sexualité ». 

« Edwige est tombée enceinte avec une méthode naturelle 3 ans après l’arrêt de sa contraception hormonale. »

Les risques, les femmes, comme leurs partenaires, en sont conscientes. Depuis 20 ans avec le même homme, Edwige est tombée enceinte avec une méthode naturelle 3 ans après l’arrêt de sa contraception hormonale. « C’était plus ou moins un accident, mais on a fait le choix de le garder, sans aucun regret. » Les contraintes liées à la pilule ont eu raison de sa ténacité. « J’oubliais parfois de la prendre, et ça me saoulait d’être la seule responsable de la contraception. En faisant des recherches, j’ai aussi compris que je prenais des hormones qui pouvaient être dangereuses, je me suis dit ‘je m’empoisonne’. En plus je fume beaucoup, je bois, alors à choisir j’ai préféré arrêter la pilule que le reste », sourit-elle. Depuis plus de dix ans, avec son compagnon, ils pratiquent la méthode du retrait. Edwige utilise aussi une application mobile.

« On était un peu flippés au début il faut avouer. Mais en fait je trouve ça super de pouvoir être consciente de mon ovulation, de me rendre compte de toute cette mécanique du corps que je peux écouter à présent… Même mes douleurs de règles, je veux les garder ! » Aujourd’hui âgée de 44 ans, Edwige est dans une démarche de consommer autrement, de prendre le moins de médicaments possible, et se souvient qu’avec son conjoint, cet arrêt de la contraception a permis « de se toucher différemment. On s’est dit plus de choses aussi, le corps est devenu un sujet de conversation. Il a compris mon point de vue, m’a accompagné là-dedans. C’est notre corps de femme, notre choix. Le plus épanouissant dans tout ça au final, c’est bien se connaître avec son compagnon ». Pourtant, si sa gynécologues de l’époque ne l’a jamais jugée, les médecins croisés au fil des années « haussaient les sourcils. Ils ne comprenaient pas ». 

La gynécologue Bérangère Arnal, qui prépare un livre sur la santé de la femme au naturel, déconseille cependant à ses plus jeunes patientes de commencer leur vie sexuelle par les méthodes naturelles, et leur suggère plutôt le préservatif, ou une pilule microprogestative (qui ne contient pas d’oestrogène). « Il faut d’abord bien connaître son corps avant d’envisager une contraception naturelle. Mais les professionnels n’en parleront pas spontanément aux femmes. Les gynécologues ne voient que par les hormones, ils ne savent pas faire autrement. C’est le poids des laboratoires… Sans hormone, point de salut ! C’est de là que vient la pensée unique des gynécos ».

Cependant, la docteure constate que nombre de femmes optent pour le stérilet à l’arrêt de leur pilule. Peu ont le courage de se lancer dans la symptothermie, « méthode naturelle la plus sûre. Elles recherchent une méthode fiable, avec un impact minimum sur leur santé. C’est ça qui devrait préoccuper tout le monde, et pas seulement les femmes. Les hommes n’ont jamais été responsabilisés, alors que la contraception est aussi une affaire d’homme ! » 

« L’amélioration de la sexualité, du dialogue, la (re)découverte du corps et des pratiques non pénétratives… Les bénéfices des méthodes naturelles sont telles que les femmes qui font ce choix ne reviennent quasiment jamais en arrière, assure Sabrina Debusquat. Éviter de risquer la mort pour sa contraception, ne pas la porter seule, ne pas avoir d’effets secondaires à en prendre, ça aussi c’est un combat féministe ». Et quitte à le mener sur le long terme, autant que ce soit avec une sexualité épanouie. 

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