Et si le festival compte son lot d’artistes internationaux renversants (LSDXOXO, Eris Drew & Octo Octa, Jane Fitz, Shygirl, Lena Wilikens…) ou de poids lourds français qu’il ne sert presque plus à rien de présenter (Laurent Garnier, Jennifer Cardini, Manu Le Malin…), on a choisi de vous présenter cinq artistes du cru, pas forcément les plus exposés, pas forcément les plus inconnus au bataillon non plus. Juste cinq artistes de France qui représentent chacun une manière différente d’appréhender le dancefloor : tour à tour contemplative, turbulente, rassembleuse ou jusqu’au-boutiste, leurs différentes approches montrent que le festival en a décidément sous le capot pour faire varier les plaisirs et les désirs comme personne.
Aho Ssan
Au-delà de son sous-texte conceptuel, qui emprunte son titre au « Simulacre et Simulation » de Baudrillard, le premier album « Simulacrum » du Parisien Aho Ssan se distingue du tout-venant ambient « ligne dure » à passer dans les galeries par son intranquillité et son intransigeance formelles. Passé par l’IRCAM et le GRM, féru de mathématiques et prompt à bâtir ses propres instruments numériques, le Parisien Aho Ssan pourrait passer comme l’enfant illégitime d’Autechre et de Lee Gamble, s’il ne saupoudrait pas ses productions d’un sous-texte politique plus saillant que les autres. Abandonnant Sun Ra et les références afrofuturistes, son premier véritable disque raconte comment on grandit en tant que Noir en France, mais le raconte d’une manière inédite. Ayant tâté du logiciel Max/MSP, il a tenté de reproduire le son d’une trompette de son grand-père ghanéen, qu’il n’a jamais rencontré de sa vie. On a l’impression par moments que le son de l’instrument n’est tout simplement pas là, tellement distordu qu’on se demande si on l’a rêvé ou si la violence du monde nous l’aurait subtilisé. Un disque qui a été présenté sur les enceintes de Berlin Atonal, ce qui dit tout de son caractère grandiose, imposant – et quelque peu menaçant.
Aho Ssan jouera la nuit du vendredi à la Cité du Design.
Anetha
Pour celles et ceux qui considèrent le dancefloor comme le lieu exclusif de la bamboche déglinguée, Anetha est là pour vous. Architecte de formation, membre du crew Possession durant l’année 2020, la DJ et productrice fait partie de cette génération qui, en augmentant les BPM tout en gardant le cap sur le même tempo (relevé), envisage la danse sans temps mort ni utilisation du frein dans les virages. Surtout, elle fait partie de ces DJ qui ont permis de se débarrasser (en partie) des longs tunnels de techno caverneuse qui peuplaient depuis un moment les clubs de France et de Navarre. Toujours sur une ligne techno dure, les teintes acid, EBM, hardcore ou trance de ses sets permettent à la fois de faire rentrer un peu de lumière à travers les rideaux de la techno qui tabasse, tout en gardant un œil sur le rétroviseur 90’s et la fonctionnalité de la dance music. Impossible de ne pas danser cul par-dessus tête, les pieds sur la piste, la tête dans les acides quand on se retrouve plongé dans le vortex d’un set d’Anetha. Et puis elle a aussi des projets comme mama told ya ou son label Blocaus Series, qui aident à renouveler la jeune garde électronique française, ce qui en fait une DJ à la fois de 2021 et atemporelle : dans le partage et la transmission, l’important c’est de faire croquer tout le monde.
Anetha jouera la nuit du vendredi à la Cité du Design.
Les Fils de Jacob (et leur amis)
S’il ne faudra pas manquer les Fils de Jacob au Positive Education, c’est avant tout pour ce qu’ils représentent – mais aussi pour leurs sets indus frappés-ralentis comme il faut. Ses deux membres Antoine Hernandez et Charles Di Falco sont les fondateurs du festival, lequel constitue l’une des ancres les plus visibles de la scène musicale stéphanoise actuelle. A ce titre, on pourrait également citer Bassbenderz, A Strange Wedding, ou encore Jacques Satre, Jonnnah, Super180 ou Tamburi Neri. Tous présents également cette année, ces artistes font partie du roster de du label stéphanois Worst Records (également monté par les deux acolytes précités) ou du crew Positive. Que ce soit par leur label ou par leur festival, ils montrent en quoi Positive Education est devenu une référence dans le domaine des festivals techno qui tabassent (mais pas que) – il y a aussi des ambiances et des tempéraments beaucoup plus expérimentaux, ambient, dark techno ou même bass music cosmique chez eux – tout en ne quittant pas du coin de l’oeil les résurgences de certaines tendances breakcore/post-dub de ces dernières années. Ils représentent également un lien avec Marseille, Lyon, ou encore Clermont Ferrand (avec le club 101), carrefour de toutes les influences et de tous les sensibilités qui comptent aujourd’hui, et qui nous font dire que la découverte, le défrichage et l’envie d’ailleurs sont encore possibles au niveau de la musique électronique de notre pays.
Les Fils de Jacob joueront le samedi en after du festival.
Emma DJ
Si vous voulez vous faire violenter par le son d’un marteau-piqueur ou bénéficier de la douce sensation de liquéfaction sur une piste de danse en rêvant de lendemains qui chantent, vous ne serez pas forcément dépaysés en écoutant un set d’Emma DJ. On exagère sans doute pour ceux dont les textures sonores râpeuses, âpres et acre en bouche leur restent en travers de la gorge, mais il y a quelque chose de quasi psychédélique à s’abandonner aux sons concrets, turbulents et pullulants de sa musique. Après avoir sorti 3 cassettes en quelques années sur des labels de musique électronique de qualité forts recommandables (comme Collpasing Market, L.I.E.S ou encore BFDM), Emma DJ ramène l’expérience du dancefloor vers des terres inconnues, car toujours mouvantes et violentes. Il faut aussi signaler que le jeune homme est à la tête du collectif Fusion Mes Couilles depuis 3 ans, lequel a apposé une pierre étonnante sur la club culture parisienne en permettant (avec d’autres) de décloisonner les pratiques et de faire tomber les postures pontifiantes. Rien à voir, mais LSDXOXO, présent également cette année au Positive Education, est également passé par Fusion Mes Couilles. Les grands esprits, tout ça.
Emma DJ jouera le samedi de 19h à 20h au Musée d’Art Moderne et Contemporain de St Etienne.
Crystallmess
Des artistes comme Crystallmess (ou Coucou Chloé qu’il faudrait également signaler, dans un tout autre genre néanmoins) sont toujours un excellent contre-exemple à balancer à la tête des pisse-froid qui essaient de nous expliquer doctement qu’il ne se produit plus rien de nouveau en matière de musique électronique. Membre de l’écurie Nadsat, qui regroupe sans doute ce qui se fait de plus novateur et rafraichissant en la matière en ce moment, ses productions s’aventurent vers des teintes afrofuturistes, ambient, afro transe, ou encore du côté du dancehall le plus abrasif. Assez déréglés (dans le bon sens du terme) et foisonnants d’idées, ses sets sont à l’image de sa musique : protéiformes, qui peuvent aussi bien s’écouter à la Tate Gallery qu’en after à la Concrete – ce qui a d’ailleurs été le cas. Encore une fois, on n’est pas dans une sur-intellectualisation de la musique quand on a affaire à un set de Crystallmess, mais cette dernière est assez maligne pour infuser sa musique d’une pensée politique construite et puissante, tout en évitant le piège des poncifs en vogue qui voudraient faire de la figure du DJ une sorte d’artiste sonore nouvelle génération ou la version new age d’un chamane moderne. Crystallmess, au contraire, échappe à tous les poncifs, tous les écueils, et n’oublie pas ce qui fait le sel du dancefloor : l’oubli de soi, la danse jusqu’à plus-soif, et pourquoi pas la réinvention du monde et de l’espace autour de soi. Ces préceptes sont connus de tous depuis toujours, Crystallmess les pousse juste dans leurs derniers retranchements.
Crystallmess jouera la nuit du mercredi à la Cité du Design.
VICE est partenaire du festival Positive Education qui se déroulera du 9 au 13 novembre à la Cité du Design. Les infos sont disponibles ici.
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