En janvier dernier, le ministère de la santé a annoncé établir des critères de sélection identiques pour tous les donneurs, quelle que soit leur orientation sexuelle. Le but : supprimer toute discrimination dans le domaine de la santé, un principe inscrit dans le droit depuis la promulgation de la loi bioéthique en août 2021. Le nouveau questionnaire, que devra remplir un donneur à présent, cible uniquement “les pratiques individuelles à risque” comme la consommation de drogue ou encore le multipartenariat.
Jusqu’à maintenant, les hommes homosexuels devaient justifier d’une période d’abstinence pour donner leur sang. En 1983, alors que l’épidémie de sida en France n’en est qu’à son début, les hommes ayant des relations homosexuelles sont totalement exclus des dons du sang. Il faudra attendre plus de trente ans, en 2016, pour que les hommes homosexuels puissent à nouveau donner leur sang., à condition de n’avoir aucune relation sexuelle pendant les douze mois précédant le don, y compris pour les couples. En 2020, la période a été réduite à quatre mois. Pour les personnes hétérosexuelles, cette période d’abstinence n’est demandée que dans le cas de relations sexuelles récentes avec plusieurs partenaires.
Une différence de traitement justifiée par un risque de contamination au VIH plus accru chez les hommes homosexuels lors du pic de l’épidémie de sida. Mais ces dernières années, la tendance est à la baisse, que cela soit pour les transmissions sexuelles ou par transfusion. En 1990, un don sur 310 000 pouvait être reconnu positif au VIH et non détecté. Aujourd’hui, cette probabilité est quarante fois moindre d’après le gouvernement.
« Je trouve ça positif qu’on puisse donner notre sang mais je ne suis pas du tout prêt aujourd’hui à le faire. J’ai toujours vécu avec cette idée que je ne pourrais pas » – Vincent, 28 ans
Durant la même période que l’épidémie de sida, l’affaire du sang contaminé a marqué les générations et encore plus stigmatisé l’homosexualité. Pour rappel, entre les années 1980 et 1990, la France est touchée par un scandale sanitaire. En raison d’un manque de mesures de sécurité lors des prélèvements sanguins, de nombreux hémophiles et patients hospitalisés sont contaminés par le VIH ou l’hépatite C à travers des transfusions sanguines. Beaucoup y laisseront leur vie à la suite de ces infections.
Jacques, 62 ans, a justement perdu un ami du VIH durant cette période. Particulièrement marqué par le début du VIH en France, l’homme ne peut se résoudre à donner son sang : « Je sais que le risque est faible mais je ne pourrais pas vivre avec l’idée d’avoir infecté quelqu’un ». Pourtant, aujourd’hui, les prélèvements sanguins sont obligatoirement testés. Lors d’un don, l’infirmier qui réalise le prélèvement recueille des tubes-échantillons qui sont envoyés en laboratoire pour subir toute une série de tests biologiques. Si les résultats des tubes-échantillons présentent la moindre anomalie, la poche de sang correspondante est écartée du circuit transfusionnel pour ne prendre aucun risque et le donneur est immédiatement averti. Le risque d’infection est donc très faible mais jamais nul. Si la charge virale est insuffisante, une poche infectée peut passée entre les mailles du filet même si cela est très rare.
« La période du sang contaminé a beaucoup marqué la communauté LGBT, il y a des tranches d’âge qui ont perdu plusieurs amis durant cette période et qui sont décédés du VIH » raconte la présidente de SOS Homophobie, Lucile Jomat. L’association voit dans ces rejets de don du sang, une peur qui pèse dans l’esprit de beaucoup d’hommes homosexuels. « Ils ont peur de se sentir coupable s’ils infectent quelqu’un. C’est quelque chose de très ancré qui ne disparaîtra qu’avec le temps et la communication suffisante autour du VIH ».
En plus de cette ouverture du don du sang aux hommes homosexuels, le gouvernement a décidé de lancer un nouveau critère de sélection. Les personnes prenant un traitement pré ou post-exposition au VIH, nommé la PrEP, devront attendre quatre mois après la dernière prise du médicament avant de pouvoir donner leur sang. En effet, le médicament peut fausser le dépistage dans les prélèvements. La prise de la PrEp est également considérée comme en lien à des pratiques à risque selon l’Etablissement français du sang. Un nouveau point jugé comme une discrimination par de nombreuses associations : « Sachant que la PrEP est majoritairement prise par des hommes sexuels, ça peut vite revenir au même et être stigmatisant » affirme SOS Homophobie.
Et même chez ceux qui n’ont pas vécu le pic du VIH en France, l’appréhension et la peur de contaminer les autres résistent. Vincent, 28 ans, est tout à fait conscient de l’irrationalité de sa peur. « Je trouve ça positif qu’on puisse donner notre sang mais je ne suis pas du tout prêt aujourd’hui à le faire. J’ai toujours vécu avec cette idée que je ne pourrais pas. Là ce n’est pas comme le mariage gay où c’était des questions de société, il y a des enjeux médicaux » dit-il.
S’il sait que les risques sont minimes et bien qu’il se fasse dépister régulièrement, Vincent n’en démord pas. « Je sais que c’est illogique, que j’ai le droit maintenant et qu’il y a peu de chance que je transmette le VIH, je me dirais toujours on ne sait jamais », déclare-t-il, conscient de cette peur irationnelle qu’il l’envahit. Pourtant, en 2020, 43% des personnes ayant découvert leur séropositivité sont des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, selon Santé publique France. Donc moins de la moitié des personnes testées positives au VIH sont des hommes homosexuels. De quoi battre les préjugés qui perdurent, même auprès de la communauté LGBTQI+.
L’ouverture des dons aux hommes homosexuels arrive à point nommé puisque les réserves de sang sont au plus bas depuis plusieurs mois. L’Établissement français du sang a publié, en février dernier, pour la première fois de son histoire un “bulletin d’urgence vitale”. Le stock de produits sanguins est en dessous du seuil de sécurité avec environ 30 000 poches en réserve en moins que ce qu’il faudrait pour maintenir une réserve de sang correcte. Un niveau particulièrement bas imputé à la crise sanitaire.
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