BASSORA, Irak — Dans une salle de la taille d’un court de tennis, des dizaines de jeunes hommes remuent au rythme d’un chantre chiite. Ni l’éclairage rouge et bleu qui baigne leurs torses nus, ni les fresques violettes de l’Imam Hussain qui les entourent, ni les ventilateurs de plafond ne parviennent à endiguer la chaleur de la nuit. À l’intérieur, il fait quelque chose comme 45 °C et l’atmosphère y est suffocante.

Sous Saddam Hussein, ce rituel communautaire de deuil chiite était interdit. Mais ces séances d’autoflagellation de plusieurs heures durant lesquelles les musulmans chiites se frappent le dos, la poitrine et la tête dans un état de transe font désormais partie du quotidien nocturne de Bassora. Cette pratique (qui ressemblerait presque à une rave) commémore le petit-fils du prophète Mahomet, Hussain, dont la mort a galvanisé l’émergence de l’islam chiite.

Ceux qui assistent à cette Hussainiya sont totalement sobres, mais tous les habitants de Bassora ne peuvent pas se dire aussi pieux. Pour Ibrahim, le rituel sacré est une façon d’échapper à l’écrasante réalité de cette ville étouffante et dangereuse, tout en restant éloigné de la méthamphétamine, son ancien moyen d’émancipation.

Ibrahim travaillait sur un chantier de construction lorsque son calvaire avec la méthamphétamine a commencé. Un périple de cinq ans au cours duquel il a constaté par lui-même comment le commerce de la drogue avait saccagé sa ville natale. VICE ne divulgue pas le nom complet d’Ibrahim par crainte de représailles.

« Il y avait un type qui tirait une bouffée sur sa pipe et travaillait toute la journée sans se plaindre de la chaleur », nous a-t-il raconté assis en tailleur sur le sol de son salon, dans l’un des quartiers les plus défavorisés de la ville portuaire.

« Il nous faudrait un ministère entier pour s’occuper des problèmes liés à la drogue. Un département au sein des forces de police ne suffit pas »

En été, les températures y sont insupportables, dépassant souvent 50 °C et faisant de Bassora l’une des villes les plus chaudes de la planète. Sous ce soleil implacable, les journées sur les chantiers sont épuisantes. « Alors, avec deux de mes amis, j’ai acheté un sachet et on a essayé aussi », raconte-t-il.

Il y a dix ans, le crystal meth n’était pas encore un problème en Irak. Si la drogue transitait par Bassora, c’était dans le cadre d’une route commerciale illégale depuis l’Iran, où elle était fabriquée pour être vendue en Arabie saoudite, au Koweït et dans le golfe Persique.

Mais au cours des dernières années, ce stimulant hautement addictif a trouvé un nouveau foyer dans cette ville agitée où sévissent des milices armées soutenues par l’Iran, un gouvernement affaibli, une corruption endémique ainsi qu’un taux de chômage actuellement à 21 % et toujours en hausse.

« Il y a énormément d’argent en jeu dans cette affaire, et tout le monde y est mouillé. »

Ayant peu d’expérience en matière de stupéfiants, la méthamphétamine et les autres drogues constituent un vrai défi pour les autorités irakiennes. On assiste donc à un nouveau conflit entre l’État irakien et les trafiquants de drogue, ces derniers ayant des liens avec un vaste réseau de milices soutenues par l’Iran, elles-mêmes soutenues par de puissantes tribus qui se disputent le territoire et les routes de contrebande dans les zones frontalières.

« Il nous faudrait un ministère entier pour s’occuper des problèmes liés à la drogue. Un département au sein des forces de police ne suffit pas », nous a déclaré Abdul Amir Shannta, dont le neveu, un major de police, a été tué lors d’une fusillade avec un présumé caïd local de la méthamphétamine.

« Il y a énormément d’argent en jeu dans cette affaire, et tout le monde y est mouillé. »

La province de Bassora, qui tire son nom de sa capitale et abrite plus de 70 % de la richesse pétrolière de l’Irak, constitue la seule porte d’accès aux eaux internationales du pays. Pendant l’âge d’or islamique, la ville de Bassora, fondée au VIIe siècle, faisait office de centre littéraire — dans Les Mille et une Nuits, Bassora est la ville que Sinbad laisse derrière lui pour entreprendre son voyage épique.

Mais son passé récent est entaché par la guerre Iran-Irak et les rébellions contre l’ancien dictateur Saddam Hussein. Après l’invasion de 2003 menée par les États-Unis, la ville est devenue un bastion pour les militants chiites, tandis que des groupes armés et des factions tribales luttaient pour le contrôle des terres et des routes de contrebande. Elle a été le théâtre de l’un des affrontements les plus sanglants de la guerre, lorsque les milices ont combattu les forces d’invasion britanniques.

Les milices armées soutenues par l’Iran maintiennent toujours une présence et une influence importantes dans cette ville de près de deux millions d’habitants. Au cours des dix dernières années, elles ont transformé Shalamcheh, le poste-frontière avec l’Iran, en une plaque tournante du trafic de stupéfiants. Les gens baissent la voix dès que le nom des groupes est mentionné, les désignant par euphémisme comme des « partis politiques » ou parlant de « résistance ».

« Parfois, les consommateurs de méthamphétamine cassent les feux arrière des voitures ou des motos pour en retirer l’ampoule afin d’en faire une pipe »

Les habitants, fiers de la grandeur passée de leur ville, s’insurgent aujourd’hui contre la corruption chronique et le fanatisme religieux qui étouffent désormais la vie quotidienne.

Cette ambiance pesante a poussé certaines personnes vers l’engrenage de la toxicomanie. Le crystal meth, principalement consommé par des jeunes coincés dans la pauvreté, et la montée en puissance de sa consommation ont confronté la ville, déjà en prise à de fort troubles, à ses propres limites.

Et cela impacte négativement des habitants issus de tous horizons, comme Abbas, le propriétaire d’un magasin d’électronique. Les consommateurs fabriquent des pipes en dévissant la tête des ampoules électriques pour y attacher une paille. « L’autre jour, un type est venu quémander un paquet d’ampoules et s’est énervé quand je lui ai dit non », nous a raconté Abbas en choisissant de ne nous donner que son prénom.

« Parfois, les consommateurs de méthamphétamine cassent les feux arrière des voitures ou des motos pour en retirer l’ampoule afin d’en faire une pipe », a-t-il ajouté.

Les Basraouis n’associaient auparavant la drogue qu’à Uday, le fils aîné de Saddam. Alors que son père était au pouvoir, ce dernier a mené un style de vie festif et débridé pendant plus de trente ans, aux yeux et au su de tous. Depuis 2014, Bassora avait, contrairement à d’autres parties de l’Irak, réussi à éviter la plupart des violences de l’État islamique, son relatif climat de paix la désignant comme principal centre économique de l’Irak. Cependant, il est toujours difficile d’y trouver un bon travail. Aujourd’hui, le ministère de l’Intérieur irakien affirme que chaque mois, ce sont des centaines de kilos de méthamphétamine et des millions de pilules d’opioïdes qui sont saisis par la police de Bassora. 

Pour le gouvernement basé à Bagdad et les forces armées irakiennes, tous fatigués par la guerre civile sectaire et la lutte contre les groupes djihadistes, notamment Daech, faire régner l’ordre dans une Bassora anarchique semble une tâche sisyphéenne.

La ville est dirigée par des coalitions de partis chiites conservateurs liés à des groupes armés qui, ces dernières années, ont pris des mesures contre les bars, les clubs et d’autres activités non islamiques, mettant en place des points de contrôle nocturnes pour garder les habitants dans le « droit chemin ».

Suite à l’explosion des quantités de méthamphétamine locale et des produits acheminés en contrebande depuis l’Iran par les ports de Bassora, les autorités irakiennes ont été contraintes de s’aventurer dans le contrôle des stupéfiants, un domaine jusqu’alors inconnu des législateurs et des forces de sécurité.

« La frontière est notre principal problème, mais le gouvernement ne peut pas faire grand-chose. Au bout du compte, ce sont les groupes armés qui ont le dernier mot. »

Il n’existe pourtant aucune estimation fiable de la quantité réelle de drogue circulant actuellement sur le marché. Et ce malgré le fait que les responsables irakiens ont déclaré avoir arrêté plus de 20 000 personnes pour consommation et trafic de drogue au cours des deux dernières années, tout en saisissant des centaines de kilos de méthamphétamine et des millions de pilules. Les habitants eux-mêmes doutent de l’efficacité de cette branche récente des forces irakiennes à lutter contre les gangs de trafiquants.

« La frontière est notre principal problème, mais le gouvernement ne peut pas faire grand-chose. Au bout du compte, ce sont les groupes armés qui ont le dernier mot. Personne n’est prêt à risquer sa vie pour lutter contre des milices armées », a déclaré un agent des douanes irakiennes connaissant bien les itinéraires de contrebande à la frontière entre l’Iran et l’Irak. Il se confie sous couvert d’anonymat, car il n’était pas autorisé à parler aux médias.

Selon le ministère irakien de l’Intérieur, 5 300 personnes ont été arrêtées pour des délits liés à la drogue au cours du seul premier trimestre de cette année, trimestre pendant lequel des centaines de kilos de drogue ont été saisis.

La méthamphétamine est principalement vendue dans la partie nord-ouest de la ville, dans des endroits comme 5-Miles, un quartier ghettoïsé qui doit son nom à une route de huit kilomètres de long, parallèle aux voies ferrées et aux anciens canaux.

Autrefois, les gens se baignaient dans ces cours d’eau pour échapper à la chaleur accablante. Aujourd’hui, ce n’est plus possible : ils sont remplis d’ordures, et le soleil brûlant se reflète sur la surface huileuse de l’eau. 5-Miles est le quartier le plus perturbé de Bassora : l’électricité n’y est disponible que quelques heures par jour et le revenu mensuel moyen ne dépasse pas 200 euros

Les dealers de crystal meth et d’opioïdes utilisent des motos afin de naviguer dans les ruelles étroites de 5-Miles et disparaître rapidement dans la foule. Un gramme de crystal meth coûte entre 5 000 et 15 000 dinars irakiens (5 à 10 euros), soit moins cher que l’achat d’une tournée de bières, avec une marchandise qui peut être livrée à n’importe quelle adresse.

Ici, même l’alcool est désormais plus cher et plus difficile à trouver que la méthamphétamine. Au fil des ans, le gouvernement local a peu à peu annulé les licences d’alcool des commerçants et a pratiquement interdit les magasins d’alcool après 2017, affirmant que les propriétaires vendaient de l’alcool aux mineurs.

Aujourd’hui, les Basraouis en recherche d’un verre doivent se rendre dans la vieille ville, datant de l’époque ottomane, où des contrebandiers leur vendent de la bière et des spiritueux dans des sacs en plastique noirs, bien à l’abri des regards et calfeutrés dans quelques maisons spécifiques. Les clients passent généralement commande auprès d’un jeune type assis sur l’escalier devant la porte d’entrée, qui court ensuite à l’étage pour récupérer la marchandise.

La nuit, les ruelles étroites et sombres de l’artère principale de la vieille ville, la rue Bashar, se transforment en une plaque tournante pour tout ce qui est désapprouvé par les autorités locales chiites. Des sacs poubelles remplis de bouteilles d’alcool vides s’empilent à quelques mètres de bannières religieuses sur lesquelles on peut lire « Comment puis-je boire alors que mon frère, Hussain, a soif ? », en référence au principal imam chiite.

Malgré la prohibition, la jeunesse qui s’ennuie et cherche à échapper aux longues journées suffocantes fait appel à ces revendeurs ou se rend directement sur place afin de livrer des sacs en plastique noirs remplis d’alcool. À seulement 100 mètres d’un poste de police, vous pouvez vous procurer des bières fraîches et des spiritueux fabriqués localement pour trois fois le prix moyen du marché.

Le week-end, on peut voir des groupes traîner près de l’eau pour éviter la circulation dense et le bruit constant des travaux de construction, alors que la ville se prépare à accueillir la 25e édition de l’Arabian Gulf Cup, un tournoi de football, en janvier prochain. Un stade d’une valeur de 550 millions de dollars a été achevé en 2013, un projet majeur dont le gouvernement local est fier, malgré les critiques que génère cette énorme dépense.

Le « cimetière des bateaux », situé à l’extrémité sud-est de la ville où les eaux du Tigre et de l’Euphrate se jettent dans le golfe Persique, est un lieu de prédilection pour les buveurs. Les gens y sont assis à côté d’embarcations abandonnées, allant d’énormes navires de transport à de petits bateaux de pêche, et sortent des bières de leurs sacs en plastique.

Le célèbre whisky local est une boisson aigre au goût métallique, option favorite de ceux qui veulent se la coller rapidement. Appelé « Daesh », il doit son nom à ses origines (il est fabriqué à Kirkuk, une ancienne ville de l’État islamique), mais aussi à la gueule de bois explosive qu’il provoque.

« La vie est dure pour les enfants qui grandissent par ici. Les choses changent très vite, et il est plus que probable que ce qui nous attend soit encore pire. »

« Il y a quelque chose de pas normal à l’intérieur de cette canette. Ce n’est pas du whisky », explique un habitant de Karrar en buvant une bière fraîche. Lui aussi a refusé de donner son nom.

Les gens traînent ici jusqu’à minuit avant d’être renvoyés chez eux par la police, qui traque les motards et limite leurs déplacements dans les quartiers pauvres.

Les policiers s’en prennent aux conducteurs sous prétexte que les motos et les pousse-pousse nuisent à l’image de la ville et à la circulation, mais il s’agit en réalité de réprimer les trafiquants de drogue et d’alcool.

Les forces de sécurité s’enquièrent également de l’état civil des jeunes couples.

« La vie est dure pour les enfants qui grandissent par ici. Les choses changent très vite, et il est plus que probable que ce qui nous attend soit encore pire », nous a rapporté Ibrahim, l’ouvrier et ancien consommateur de meth qui s’est ensuite mis à dealer avec deux de ses amis.

« Le sentiment d’être invincible, l’énergie incroyable… ça, c’était vraiment bien. Mais les emmerdes ont rapidement suivi », nous a-t-il confié.

« On a commencé à gagner une somme d’argent décente. On a pu louer une maison, et s’acheter des armes. C’était peut-être l’effet de la drogue. Sans ça, aucun de nous trois n’aurait eu envie de participer aux petits jeux de la mafia. »

« Le business tournait de mieux en mieux, et notre fournisseur nous maintenait en activité même si on merdait pendant une semaine », a ajouté Ibrahim.

La seule clinique de désintoxication de Bassora a ouvert ses portes il y a deux ans pour répondre au nombre croissant de consommateurs. C’est un espace de 2 000 mètres carrés situé derrière le bâtiment principal de l’hôpital Fayha, entouré de hauts murs surmontés de barbelés. Environ 2 600 patients ont été traités ici depuis l’ouverture en 2018 de la clinique financée par le gouvernement.

Des policiers se tiennent derrière la grande porte métallique, ce qui lui donne plus l’air d’une prison que d’un centre de désintoxication, même si les personnes traitées ici viennent de leur plein gré ou sont envoyées par leur famille et prises en charge gratuitement. Les méthodes appliquées aux 30 patients actuels semblent tout droit sortir d’un asile moyenâgeux.

« On leur rase d’abord la tête », confie Kadhim Khayrallah, le directeur de la clinique, lors d’une interview dans le bureau principal du centre. « Grâce à ça, ils sont gênés de sortir pendant un certain temps. Je conseille d’ailleurs aux familles des patients de continuer à le faire, car leurs problèmes de drogue viennent souvent de leurs mauvaises fréquentations ».

« Notre système est strict, mais c’est le seul moyen pour développer une vraie volonté de sevrage. Ils se réveillent tôt le matin, font du sport, suivent une thérapie, prennent un petit-déjeuner. Ils rencontrent ensuite leurs familles, font à nouveau du sport, puis nous les enfermons pour la nuit », a déclaré Khayrallah.

« Je me plais tellement ici que je ne veux plus jamais rentrer chez moi », déclare un jeune patient admis 20 jours plus tôt et allongé sur un lit dans la salle principale de la clinique.

« Au moins, on a de l’électricité et l’air conditionné 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Je peux rêver pour avoir ça chez moi », ajoute-t-il, avant que cinq autres patients n’éclatent de rire.

Les toxicomanes arrêtés par la police ne se retrouvent pas à la clinique Fayha. Ils sont plutôt emmenés dans un centre de détention sordide du quartier de Qibla.

De nombreuses personnes y passent jusqu’à six mois en détention provisoire avant qu’un tribunal ne statue sur leur cas. Les trois salles de cellules surpeuplées ont acquis une certaine notoriété en raison de leurs conditions de vie épouvantables. Les détenus y dorment selon un système de roulement par tranches de trois heures, l’espace étant trop réduit pour que tout le monde puisse s’allonger.

Chaque samedi, des centaines d’hommes et de femmes font la queue devant le centre pour obtenir le laissez-passer qui leur permettra de rendre visite à leurs fils et frères pendant cinq minutes. Ils amènent les plats préférés de leurs proches, des fruits et des vêtements.

« J’ai préparé la soupe favorite de mon fils et un pain frais avec des graines de sésame grillées. Il a été condamné à dix ans pour trafic », raconte Um Abbas, une mère en colère. Elle est assise sur le trottoir, vêtue d’une abaya noire, ses joues brûlées par le soleil dépassent de son foulard serré.

« Je ne veux pas qu’il soit transféré dans la grande prison. Ils l’ont taxé de dealer, mais l’avocat était un fils de pute. Je lui ai donné dix millions de dinars irakiens (7 000 euros) et il ne s’est même pas présenté au tribunal. On a même essayé de trouver un accord tribal, mais ça n’a pas marché », dit-elle.

En l’absence de services de police et de réhabilitation appropriés, les chefs de tribus de Bassora sont entrés dans l’équation. Ils se taillent la part du lion dans le règlement des problèmes sociaux et criminels de la ville, comblant le vide laissé par les gouvernements nationaux et locaux irakiens, affaiblis par la corruption et l’impasse politique.

« L’Irak d’aujourd’hui est en proie à une triste réalité. Comme l’État joue au fantôme, il a fallu que nous intervenions. Afin d’éviter que le chaos total ne règne dans la société, nous avons utilisé les moyens traditionnels », a déclaré Ali al-Aliyawi, cheikh de la tribu Al Bu Ali, l’une des principales tribus de la ville. Il discutait avec nous depuis une pièce opulente de sa maison, ornée de meubles dorés.

« En tant que dirigeants de la communauté, nous nous sommes tous alignés concernant la question de la drogue : nous n’aiderons ni ne soutiendrons quiconque est troublé par un tel poison », a-t-il déclaré en agitant ses perles de prière argentées et en lissant sa longue robe blanche.

« Les réunions et la hiérarchie tribale suivent le même mode de fonctionnement que les tribunaux, et nous enquêtons sur chaque détail. Lorsqu’il s’agit de drogues, nous avons clairement fait savoir que toute personne troublée par ce poison sera reniée et ne recevra aucun soutien de la part de sa tribu. »

Selon Mustafa Hassan et Munis Abdulrazzaq, deux jeunes avocats qui tiennent un cabinet à quelques rues du centre de détention de Qibla, le recours à la force et à la torture est une pratique courante lorsque la police locale a affaire à des suspects impliqués dans des affaires de drogue.

« Les prisons sont surpeuplées et des personnes innocentes et vulnérables se retrouvent condamnées à de longues peines sur base d’aveux forcés. »

« Dix consommateurs de drogue sur dix sont menacés de torture et d’aveux forcés lorsqu’ils sont arrêtés, ce qui est, malheureusement, le moyen le plus facile pour les policiers d’obtenir plus d’informations sur les réseaux de distribution et de capturer des cibles plus importantes », dit Hassan.

« Les soins médicaux et les centres de désintoxication sont les solutions au problème de la méthamphétamine. Cependant, le manque d’expérience du système irakien face à ce type de crise fait que les prisons sont surpeuplées et que des personnes innocentes et vulnérables se retrouvent condamnées à de longues peines sur base d’aveux forcés. » 

« L’autre problème, c’est que dans notre société, les gens ignorent que les avocats peuvent leur venir en aide. Les officiers persuadent les suspects que nous ne servons à rien et que coopérer avec la police est leur seule porte de sortie », a ajouté Abdulrazzaq.

Ibrahim, l’ouvrier de construction qui a réussi à se sortir de la meth il y a 18 mois, a d’ailleurs choisi de passer directement à l’action lors de ses démêlés avec la police de Bassora.

« Je me suis déjà fait attraper avec plus de dix grammes de crystal, quelques pilules et un flingue », concède-t-il. « C’était les quinze minutes les plus longues de ma vie. J’attendais qu’ils me fassent un truc. Mais à la fin, j’ai simplement offert mon pistolet au policier et il m’a laissé partir. »

« Un jour, j’ai juste décidé d’arrêter. Je savais que la seule façon de m’en sortir était de m’enfermer, et je n’ai pas quitté ma maison pendant huit mois. Lorsque je suis sorti pour la première fois, la pandémie avait commencé, et je ne pigeais pas pourquoi tout le monde portait un masque », raconte Ibrahim.

Musulman chiite convaincu, Ibrahim est à une Hussainiya, la même que celle à laquelle il assiste chaque soir dans un endroit du quartier avec des dizaines de ses amis.

« L’un de mes potes s’est fait attraper pour possession de drogue quelques mois après le début de mon isolement. Il a passé un an en prison. Quand je l’ai vu pour la dernière fois, il était encore traumatisé par cette expérience. L’autre gars a continué dans le business et a ensuite passé dix ans en prison », précise Ibrahim. « J’ai trouvé ma voie, et j’ai repris le chemin de l’Imam Hussein ».

Autour de lui, de jeunes hommes se balancent et transpirent en scandant le nom de l’imam, avant de repartir dans la nuit chaude et sombre.

Tant que les milices continueront à transporter des produits en toute impunité dans le no man’s land entre l’Iran et l’Irak, et que les efforts irakiens en matière de maintien de l’ordre et de réhabilitation resteront insuffisants pour faire face à l’ampleur du problème, la crise de la méthamphétamine à Bassora risque bien de s’aggraver.

Pour les jeunes de la ville, il semble qu’il n’y a malheureusement pas beaucoup d’options — ils n’ont le choix qu’entre ouvrir un Coran, prendre une arme à feu ou tirer sur une pipe.

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