En mars, les forces militaires russes ont bombardé un théâtre dans la ville ukrainienne de Marioupol. À la suite de ces bombardements, le président Joe Biden a accusé Vladimir Poutine d’être un criminel de guerre. Toutefois, la condamnation internationale des attaques de la Russie contre l’Ukraine ne fait pas automatiquement de ces actes des crimes de guerre.
C’est peut-être une question de sémantique juridique, mais pour qu’une attaque soit officiellement reconnue comme crime de guerre, il faut qu’il y ait des preuves manifestes que les lois internationales de la guerre ont été violées. Cela implique la collecte minutieuse de preuves, dont la compilation et la présentation peuvent prendre des années.
The Guardian rapporte qu’Iryna Venediktova, procureure générale d’Ukraine, porte actuellement devant les tribunaux ukrainiens et la Cour pénale internationale près de 2 000 cas de crimes de guerre potentiels commis par les forces d’occupation russes. Les rapports de Venediktova, et donc la probabilité que ces actes soient officiellement considérés comme des crimes de guerre, seront en partie soutenus par les preuves recueillies et analysées par des groupes comme Human Rights Watch, ONG basée à New York.
Le 3 avril 2022, Human Rights Watch a publié un rapport sur les crimes de guerre qui auraient été commis par des soldats russes dans les territoires ukrainiens occupés de Tchernihiv, Kharkiv et Kiev. Ces crimes auraient eu lieu entre le 27 février et le 14 mars.
« Le droit de la guerre fait partie du droit international et définit les règles pour toutes les parties impliquées dans un conflit militaire. Si ces lois sont violées, il faut le documenter. » – Hugh Williamson
Parmi les crimes de guerre présumés détaillés dans ce rapport figurent le viol répétitif d’une femme dans la région de Kharkiv et l’exécution d’un civil à Boutcha. Le dossier met également en lumière le meurtre d’une mère et de son enfant de 14 ans dans le village de Vorzel. Ces derniers ont été contraints de fuir une cave après le lancement d’une grenade fumigène et ont ensuite été abattus. L’enfant de 14 ans est mort sur le coup, la mère quelques jours plus tard.
Alors que la situation en Ukraine continue de s’aggraver, les experts craignent que ces incidents ne soient que la partie émergée d’un iceberg qui fait plus que froid dans le dos. Afin de mieux comprendre la notion de « crime de guerre » et examiner les éventuelles conséquences auxquelles la Russie pourrait être confrontée, nous nous sommes entretenus avec Hugh Williamson, ancien correspondant du Financial Times et directeur actuel de Human Rights Watch en Europe et en Asie centrale.
VICE : Qu’est-ce qu’un crime de guerre ?
Hugh Williamson : Le droit de la guerre fait partie du droit international et définit les règles pour toutes les parties impliquées dans un conflit militaire. Les biens civils ou les infrastructures utilisées par les civils, comme les écoles et les hôpitaux, ne peuvent pas être visés. Les prisonniers de guerre doivent être protégés et les soldats doivent traiter les civils avec humanité. Si ces lois sont violées, il faut le documenter. Il s’agit par exemple des cas de viol ou des exécutions. Lorsque ces violations peuvent être démontrées par des preuves claires et factuelles, elles peuvent alors être qualifiées de crimes de guerre.
Comment avez-vous enquêté sur les allégations contenues dans le rapport ?
Human Rights Watch travaille en Ukraine depuis 30 ans, nous sommes donc en lien avec de nombreux spécialistes : des personnes expertes dans le domaine des conflits, mais également des spécialistes des données open source, qui vérifient les vidéos et les photographies accessibles au public. Sur place, nous avons discuté avec les civils et référencé les informations obtenues via différentes sources.
Qui avez-vous interrogé ?
Nous avons inclus les récits de dix individus dans notre rapport. Mais sur le terrain, nous avons discuté avec beaucoup plus de personnes. Comme nous n’avons pas été en mesure de recouper et de vérifier pleinement les informations sur ces autres cas, ils ne figurent pas dans le rapport. Il s’agissait notamment de trois autres cas de violences sexuelles. Ce n’est donc que le premier résultat d’un processus d’entretiens en cours avec des personnes dans les zones ukrainiennes touchées.
Pensez-vous que les crimes de guerre présumés révélés par le rapport pourraient faire partie d’une stratégie russe bien plus large ?
Nous ne pouvons que supposer qu’il s’agit de cas individuels. Nous ne parlons pas encore d’un schéma. Toutefois, il est possible que ces cas soient plus répandus. Les responsables gouvernementaux de Boutcha ont fait état de 200 à 300 cadavres dans la ville. Nous ne savons pas comment ces personnes ont été tuées. En tant qu’organisation, nous ne voulons pas tirer de conclusions hâtives. Nous voulons présenter des preuves authentiques.
Il n’y a actuellement plus aucun journaliste sur le terrain à Marioupol. La situation là-bas pourrait-elle être plus grave qu’il n’y paraît ?
Nous craignons effectivement que des crimes similaires aient pu avoir lieu dans des villes plus grandes contrôlées par la Russie, comme Marioupol. Mais nous ne pourrons les découvrir que lorsque nous aurons accès à cette région.
La Russie affirme que ces crimes de guerre ont été mis en scène. Que pensez-vous de la réponse russe face à ces allégations ?
À mes yeux, cela souligne l’importance pour des organisations comme la nôtre de briser la désinformation que la Russie mène à propos de la guerre. Notre travail consiste à fournir des faits.
Il est essentiel de rassembler des preuves contraignantes qui pourront ensuite être présentées aux responsables ukrainiens enquêtant sur les crimes de guerre ou à la Cour pénale internationale.
Qui est responsable de punir ces crimes de guerre ?
Le gouvernement dont les soldats ont commis les crimes a la responsabilité d’enquêter et, si nécessaire, de poursuivre les soldats et leurs supérieurs. Malheureusement, nous ne pouvons pas compter sur la Russie pour le faire. Au moment où nous parlons, l’Ukraine enquête activement et rassemble des preuves. Comme la Cour pénale internationale peut également prendre les mesures nécessaires, il est essentiel de les préserver. À Boutcha, par exemple, les corps doivent être conservés en bon état afin que les enquêteurs de la police scientifique puissent avoir accès aux preuves.
Quelle est la probabilité que les responsables soient condamnés ?
C’est difficile à dire. Le plus important, c’est de continuer à rassembler des preuves afin de constituer un dossier solide. Du côté de la Cour pénale internationale, ces preuves sont considérées comme imprescriptibles, c’est-à-dire qu’un événement ou une infraction peuvent être examinés et poursuivis par un tribunal qu’importe le temps écoulé après leur découverte. Cela pourrait prendre cinq ou dix ans, mais j’espère que ça ne prendra pas autant de temps.
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