Un quasar radio-fort. Image : ESO/M. Kornmesser
Ces signaux proviennent d’un « quasar » extrêmement puissant, un type particulier de noyau galactique qui émet d’énormes quantités de lumière et d’énergie. Les scientifiques ont observé ce quasar particulier, connu sous le nom de P172+18, tel qu’il était lorsque l’univers n’avait que 780 millions d’années, soit environ cinq pour cent de son âge actuel.
Une équipe co-dirigée par Eduardo Bañados, astronome à l’Institut Max-Planck d’astronomie en Allemagne, et Chiara Mazzucchelli, chargée de recherche à l’Observatoire européen austral (ESO) au Chili, a passé des années à traquer ces émissions radio extrêmement rares, dans l’espoir de confirmer qu’il s’agissait bien des plus lointaines jamais mesurées.
Le moment est enfin arrivé dans la nuit du 12 janvier 2019 : les chercheurs ont fait des observations claires du quasar lointain à l’aide d’un spectrographe sur le télescope Magellan Baade de l’observatoire Las Campanas au Chili, selon une étude publiée lundi dans l’Astrophysical Journal.
« C’était très excitant, dit Bañados. Nous étions extrêmement heureux. Quelques minutes après avoir reçu les données du télescope, nous savions que nous avions fait une découverte importante : nous étions les premiers êtres humains à reconnaître cet objet comme étant un quasar ainsi que la source la plus lointaine de forte émission radio connue à ce jour. »
En plus des observations effectuées cette nuit-là, l’équipe a confirmé ses résultats à l’aide de divers télescopes, comme le Very Large Telescope de l’ESO, le Very Large Array du National Radio Astronomy Observatory et le télescope Keck. La somme totale de ces observations a révélé que P172+18 contient en son centre un trou noir supermassif, environ 300 millions de fois plus gros que le Soleil, qui engloutit la matière à l’un des taux les plus élevés jamais observés à de telles distances.
P172+18 fait partie d’un groupe extrêmement rare de quasars radio-forts qui existent à la limite de l’espace-temps. Bien qu’il ne soit pas le quasar le plus éloigné jamais observé – cet honneur revient à J0313-1806, qui apparaît environ 100 millions d’années plus tôt dans le temps –, il est le plus éloigné à émettre un signal radio puissant.
« Trouver des quasars à des époques si anciennes, cela équivaut déjà à trouver une aiguille dans une botte de foin, explique Bañados. Mais seulement 10 % des quasars montrent une forte émission radio, donc ces objets sont encore plus rares. »
Les quasars sont des noyaux de galaxie extrêmement puissants et lumineux qui abondaient dans les premiers milliards d’années de l’univers. Malgré l’éloignement de ces objets dans l’espace-temps, ils sont souvent observables grâce aux disques gazeux en surchauffe qui entourent les trous noirs supermassifs au cœur des galaxies, ainsi qu’aux jets jumeaux de matière qui jaillissent de leurs pôles à des vitesses relativistes. Ces caractéristiques sont le résultat des interactions extrêmes entre les forces gravitationnelles des énormes trous noirs et la matière gazeuse qui y tombe.
Les scientifiques n’arrivent toujours pas à expliquer l’apparition de ces objets gargantuesques si tôt dans l’univers, car les modèles suggèrent qu’ils devraient mettre beaucoup plus de temps à évoluer.
L’une des théories avancées est que les jets des quasars radio, comme ceux de P172+18, agitent le disque gazeux dans le noyau galactique, accélérant ainsi la vitesse à laquelle le trou noir dévore la matière et se développe. Les quasars radio-forts pourraient fournir un modèle d’observation unique de ce processus énigmatique en action.
La raison pour laquelle ces quasars radio-forts sont si inhabituels n’est pas encore totalement comprise, mais elle pourrait être liée à l’environnement exotique qui caractérisait le jeune univers.
Les jets radio observés à des époques ultérieures sont générés par les interactions des électrons à l’intérieur des jets avec le fort champ magnétique du quasar : les électrons se refroidissent au contact de ce champ, un processus qui émet des ondes radio.
Mais dans l’univers primitif, l’environnement était plus chaud en raison de la proximité des photons du fond diffus cosmologique (CMB), la plus ancienne lumière détectable dans l’univers. Bañados note que les électrons des jets de quasars dans un tel environnement peuvent avoir interagi davantage avec les photons du CMB qu’avec les champs magnétiques.
Dans ce cas, les modèles suggèrent que le rayonnement de ces interactions se manifeste par des rayons X et non par des émissions radio, une possibilité que Bañados et Mazzucchelli exploreront dans une prochaine étude.
Entre-temps, l’équipe espère trouver davantage de ces quasars radio-forts dans les régions éloignées de l’univers, d’autant plus qu’ils pourraient combler certaines des pièces manquantes dans notre compréhension de cette période étrange du cosmos, lorsque les premières galaxies massives sont apparues.
« Nous partons maintenant à la chasse d’autres objets similaires, conclut Bañados. Il s’agit d’un quasar radio-fort assez normal, à ceci près qu’il est très distant, donc nous pensons qu’il peut y en avoir d’autres, même à des distances cosmologiques plus grandes. Nous essayons également de comprendre pourquoi certains quasars présentent une forte émission radio alors que d’autres non, ainsi que leur lien avec l’émission CMB/rayons X. »
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