Une station essence à Strasbourg, le 25 octobre 2010. Photo Antoine/ABACAPRESS.COM
Les utilisateurs de Twitter n’ont pas échappé aux nombreuses publications autour de la grève dans les raffineries et les difficultés à faire son plein ces derniers jours. Un hashtag en est même né : #penuriecarburant qui, en quelques heures, a été propulsé en Top Trend sur le réseau social, alimenté par des centaines de milliers de messages.
Si de nombreux comptes derrière ces tweets étaient authentiques, d’autres venaient de bots, des faux comptes créés spécifiquement dans le but de mettre encore plus en avant de mot-clé. Florent Lefebvre, analystes des données sur les réseaux sociaux a vite décelé la supercherie et a étudié un échantillon de ces publications.
Résultat : sur un total de 2 744 tweets publiés, 61% provenaient très probablement de bots. Il en fait une cartographie (ci-desous) où tous les points blancs représentent ces faux comptes. Le spécialiste a accepté de répondre à VICE France des ficelles des bots qui prennent de plus en plus de place dans nos interactions sur les réseaux sociaux.
VICE France : Comment avez-vous décelez ces faux comptes ?
Florent Lefebvre : Les plus faciles à repérer c’est quand ils ne font pas d’efforts et là c’est le cas. Ils ont tous été créés le même jour, tweeté une seule et unique fois. Ils ont aussi zéro follow et zéro follower. Ne pas avoir de followers ça s’explique, avoir zéro follow, c’est étrange. C’est le niveau zéro du bot. Un bot plus compliqué à repérer, c’est quand on veut le faire passer pour quelqu’un.
On va le créer bien à l’avance, généralement on copie le profil déjà existant de quelqu’un, pour prendre son avatar, sa description, et même reprendre les vrais tweets de la personne pour que quand on aille sur son compte, ça n’éveille pas de soupçons et que des gens finissent même par les suivre. Quand on passera rapidement dessus avec des outils d’analyse, on dira ce compte a l’air d’être une vraie personne.
Est-ce que des sociétés s’occupent de créer manuellement des bots ou est-ce automatisé ?
Tout dépend combien vous avez payé, soit vous avez de la main d’oeuvre très bas coût, soit ça se fait automatiquement. Ou alors vous payez très cher des gens pour entretenir des comptes, c’est ce qu’a fait le PSG avec la société qui était en charge de faux comptes Twitter mais c’était vraiment de la prestation de haute qualité afin de créer une vraie communauté avec des leaders d’opinions et derrière c’est carrément des community managers.
Quel est l’intérêt d’avoir des bots dans le cas de la pénurie des carburants ?
Difficile de connaître l’intention d’une campagne qui publie des bots en sachant que ça se verra. L’idée c’était tout simplement de faire du bruit avec le hashtag et qu’il se voit massivement. Twitter ne met pas en tendance n’importe quoi, le tweet d’un inconnu et celui d’une star politique n’auront pas le même poids pour passer le hashtag en tendance. Avec les bot on avait un tweet toutes les deux secondes et ça a fait grossir le chiffre de tweets du hashtag.
Est-ce que grâce à ces faux comptes une trend peut durer plus longtemps ?
Normalement oui, ça aide et là vu que les bots étaient tellement mal faits, tout le monde l’a vu et en a parlé et ça a encore plus fait gonfler le mot-clé « pénuriecarburant ». On en parle au départ parce qu’il existe et ensuite parce qu’il y a des bots, mais dans tous les cas on en parle.
Qui se cache derrière tout ça ?
Ce sont des comptes qui ne sont reliés à rien, seul Twitter ou la justice ont la capacité de connaître l’adresse IP et de les retracer. Il y a quelques théories. On sait que des gros comptes américains ont repris le hashtag “pénuriecarburant” en disant que ça avait été causé par la guerre en Ukraine alors que ce n’est pas du tout le cas. Tout un tas d’enjeux politiques viennent s’ajouter aux bots juste pour pousser un récit. C’est possible d’enquêter sur l’origine de bots en cherchant les sociétés capables de ce genre de chose et ceux qui ont intérêt à le faire.
Est-ce qu’il y avait plus de comptes que la normale dans le cas de #penuriecarburant ?
Oui c’était énorme et c’est rare. Mais c’est aussi beaucoup plus dur de le comparer à d’autres hashtags si les bots sont mieux faits et donc plus difficiles à détecter. Un rapport de l’ONU a étudié les réseaux sociaux et Twitter reste l’une des plateformes les plus actives pour traquer et désactiver les bots.
C’est régulier en France ce genre d’attaques massives de bots ?
Pas tant que ça car on n’a pas besoin de ça sur Twitter. Si vous avez des militants très engagés, il n’y a pas besoin de bots quand vous pouvez juste convaincre la population pour que ce sujet soit poussé en avant et c’est pour ça que les campagnes d’influence sont plus utiles parce que les gens croient en ce qu’elles disent. Sur Twitter, l’information va se répandre comme une tache d’encre par les recommandations, les trends, les commentaires, chose qui se fait beaucoup moins sur Facebook parce que la plupart des comptes sont privés.
Est-ce un moyen de manipuler l’opinion publique ?
Que ce soit le PSG qui paye pour des faux comptes ou quelqu’un qui veut mettre en avant la grève, le but est de faire croire qu’il y a une grande communauté derrière une plus petite pour manipuler l’opinion publique. Pour pénuriecarburant il y avait 10 et 15 000 de vrais comptes mais beaucoup plus de faux comptes, pour faire passer ça pour plus important que ça ne l’est. Selon les moyens et les outils qu’on utilise ça marche plus ou moins bien. Les campagnes d’influenceurs ou la publicités sont plus efficaces par exemple.
Y a-t-il une solution possible pour lutter contre ces faux comptes ?
Une seule personne peut tweeter mille fois, elle ne pourra faire passer pour autant en tendance un hashtag. Il faut que d’autres gens en parlent et surtout des gros comptes. Dans ce cas, le problème est qu’il n’y a pas de filtres au niveau du nombre de tweet indiqué sous une trend par Twitter. On pourrait utiliser le système de shadow ban pour limiter les bots. C’est-à-dire lorsqu’un compte est créé dans la journée, qu’il a 0 follow et 0 follower, il ne peut pas être comptabilisé dans les tendances. Mais encore faut-il détecter correctement un bot et là c’est une autre histoire.
Justine est sur Twitter.
VICE France est sur TikTok, Twitter, Insta, Facebook et Flipboard.
VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.