Les photojournalistes qui documentent cette horreur mettent des visages sur ces statistiques stupéfiantes. La représentation de la tragédie suscite de nombreux débats éthiques, mais ces photos choquantes prises en Inde poussent le monde à s’interroger. Et elles ont un impact personnel important pour ceux qui les prennent.
Nous nous sommes entretenus avec des photographes qui risquent leur vie et leur santé physique et mentale pour documenter l’évolution de la crise du coronavirus en Inde, afin d’essayer de comprendre comment se portent ces travailleurs de première ligne souvent invisibles.
Bhat Burhan, photojournaliste freelance
« Le 23 avril, j’étais à l’hôpital Guru Teg Bahadur de New Delhi lorsqu’un jeune homme s’est précipité vers moi pour demander des bouteilles d’oxygène pour son frère aîné. Je ne pouvais rien faire, alors je lui ai dit de demander aux médecins et aux infirmières. Le patient avait du mal à respirer et était allongé sur une civière. Quelques minutes plus tard, j’ai vu les médecins lui faire un massage cardiaque. Il était parti et tout le monde le savait. Je crois que j’ai pleuré un peu. Ce n’était pas la première fois que je voyais quelqu’un mourir devant moi, mais cette fois-ci, c’était particulièrement douloureux. J’ai hésité à prendre la photo du mort, mais je me suis dit que j’étais journaliste et que je devais faire mon travail. J’ai du mal à dormir depuis ce jour-là. J’ai des images de cadavres, de crématoriums et de cimetières qui tournent dans ma tête toute la journée. »
Money Sharma, photojournaliste pour l’AFP
« Je me suis rendu au crématorium Seemapuri à New Delhi le 26 avril. C’était ma première mission après m’être remis du Covid. J’étais encore un peu faible mais j’ai décidé d’y aller quand même. Ce que j’y ai vu m’a donné la chair de poule. J’avais déjà couvert des explosions de bombes et des actes de violence, mais rien n’est comparable à l’horreur actuelle. L’image des corps empilés les uns sur les autres est gravée dans ma mémoire.
Sur Twitter, plusieurs internautes ont affirmé que les photos montrant les crématoriums débordant de corps sont irrespectueuses de leur religion. Je comprends leur point de vue, mais les photojournalistes se doivent de documenter cet épisode sombre de notre histoire. J’ai fait plusieurs dépressions depuis ma visite au crématorium Seemapuri. Mais nous devons reconnaître l’importance des photojournalistes qui documentent ces cas, car les autorités peuvent clairement faire des déclarations erronées sur le nombre de victimes. »
Anindito Mukherjee, photojournaliste freelance
« L’image la plus difficile que j’ai eu à prendre était dans un crématorium à Delhi, où la chaleur était insupportable. J’étais vraiment très près des bûchers et, pendant une seconde, j’ai cru que j’étais infecté. En ce moment, la ville n’a pas de lits pour accueillir les patients. J’ai essayé de montrer l’ampleur des dégâts, tout en essayant de ne pas provoquer de panique chez les gens. Je pense que la plupart des photographes s’inquiètent de rester à flot plutôt que de leur santé mentale. »
Suprakash Majumdar, journaliste freelance
« C’était la première fois que je prenais des photos pour un reportage. Il est difficile d’aborder des personnes en deuil et visiblement secouées dans les crématoriums et les hôpitaux. Je les observais pendant au moins dix minutes avant de les approcher. Puis je suis tombé sur cet homme qui était sur le point d’allumer le bûcher funéraire de sa mère. Il pleurait avant même que le rituel ne commence, presque inconsolable. C’était dur à voir et j’ai craqué après avoir quitté le crématorium. De plus, les gens s’attendent à ce qu’en tant que journaliste, je puisse les aider à trouver des lits d’hôpital ou des bouteilles d’oxygène, alors que je ne peux pas vraiment le faire. J’ai aussi des ressources limitées. »
Danish Pandit, photojournaliste freelance
« La semaine dernière, j’étais à l’AIIMS (All India Institute of Medical Sciences) à New Delhi, et je me promenais dans les couloirs pour essayer de localiser l’endroit où ils conservent l’oxygène, sauf que je suis accidentellement entré dans leur centre de traumatologie. Je n’y suis resté que cinq minutes, mais j’ai vu au moins 30 personnes mortes dans cet espace. C’était absolument effrayant.
D’un côté, les gens souffrent et s’en prennent parfois aux journalistes parce qu’ils pensent que nous faisons du sensationnalisme dans une tragédie. D’un autre côté, si on ne prend pas de telles photos, les gens pensent que nous diffusons une sorte de propagande gouvernementale et que nous ne nous préoccupons pas de ceux qui souffrent vraiment.
Cela vous amène à remettre en question tout ce que vous mettez en avant. Personnellement, comme je suis aussi le ramadan et le jeûne, cela a été d’autant plus difficile pour moi. Ma famille, au Cachemire, s’inquiète constamment de ma sécurité. Elle me demande aussi pourquoi je partage de telles images, mais je crois qu’il est important de les publier. Pas pour le sensationnalisme, mais seulement parce que c’est la vérité. »
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