Fatiguée d’avoir affaire aux papiers négatifs de la presse internationale, la police russe a décidé de sévir contre les groupes de hooligans à l’approche de la Coupe du Monde de football 2018 qui se déroulait justement en Russie. À partir de ce moment, le simple fait d’allumer des feux d’artifice dans un stade lors d’un match de foot pouvait valoir une accusation relevant d’activités terroristes. Cela a eu pour effet de refroidir drastiquement l’élan hooligan russe, et le Mondial de foot 2018 n’a finalement été marqué que par quelques rares bagarres.
Le photographe russe Pavel Volkov a réussi à se faire une place dans le monde du hooliganisme russe pendant son apogée, au milieu des années 2000. C’est l’un des rares photographes à avoir pu prendre des photos d’un groupe depuis l’intérieur et à avoir développé ses photos en ayant gardé toutes ses dents. Il a accepté de raconter à VICE la manière dont il a pu intégrer ce groupe, ce qu’il a vu et ce qu’il imagine être l’avenir de la communauté.
VICE : Salut Pavel. Si j’ai bien compris, tu as commencé ce projet il y a sept ans. Tu peux nous replanter le contexte ? Il se passait quoi à l’époque ?
Pavel Volkov : On était vers 2012 et les hooligans dans le football russe étaient bien plus sérieux qu’aujourd’hui. Ils se battaient tout le temps entre eux. Les gens mettaient des vidéos de bastons sur le net – certains allaient même jusqu’à vendre des DVDs de compilations. On pouvait trouver des fanzines autour de cette sous-culture et certains de mes amis faisaient partie de ce monde. Je connaissais donc pas mal de gens impliqués là-dedans. À l’époque, c’était une part vraiment importante de la culture foot russe.
Comment as-tu réussi à entamer une relation avec les hooligans ?
J’y suis arrivé à travers des amis. Mais ça n’a pas été facile. J’ai dû leur prouver que je n’allais pas les balancer à la police. Au début, j’allais simplement voir des matches de foot avec eux. Puis je me suis retrouvé au milieu d’une baston, et là, j’ai commencé à faire des photos. Finalement, j’ai partagé ces photos avec tous les gars. Le temps a passé et ils ont commencé à me faire confiance. Je crois qu’ils ont compris que je ne voulais pas causer du tort à leur communauté. En fait, le plus important était de comprendre la hiérarchie du groupe. J’ai rencontré le chef parce que c’était le seul à pouvoir décider si j’avais le droit de traîner avec eux ou pas. Et il a accepté.
À quoi ils ressemblent ?
Eh bien, ce qui est intéressant, c’est que les hooligans du football russe ne sont pas nécessairement des mecs issus de la classe ouvrière. Bon nombre d’entre eux sont des mecs qui ont des emplois qualifiés et qui gagnent plutôt bien leur vie, mais leurs loisirs, si l’on peut dire, restent bien séparés de leur vie professionnelle. J’ai une photo en particulier que les gens trouvent toujours assez surprenante. C’est un type qui est dans son bureau, avec un drapeau de football. Après avoir pris cette photo, on est montés dans sa caisse, une berline haut de gamme, et on est allés voir un match. Pour être complet sur cette histoire, le gars m’a finalement demandé d’arrêter d’utiliser sa photo, mais tout ça pour dire que ces groupes sont composés de tous types de personnes.
Est-ce que tu t’es déjà senti menacé en traînant avec ces gens ?
Je ne peux pas dire que je n’ai jamais eu peur. Je comprenais très bien qu’on pouvait avoir de gros soucis, qu’on pouvait se faire latter la gueule ou être arrêtés par la police. Mais je connaissais les risques, et j’étais prêt à faire avec. Il y a un truc que vous ne pouvez pas négliger, c’est le délire absolu, le côté fun de traîner avec ces mecs. On vivait de véritables aventures. En prenant ces photos de bastons, j’ai commencé à développer une empathie tout à fait authentique envers eux. J’étais triste et affecté quand ils se faisaient battre ou qu’ils étaient blessés. J’étais contrarié quand leur équipe de foot préférée perdait un match. C’est devenu des amis, et je suis encore en contact avec certains.
Est-ce qu’il y a un souvenir particulier de cette période passée avec eux ? Un moment préféré ?
Ouais. Un jour, on arrivait dans une petite ville pour un match. Il était très tôt et le centre-ville était encore vide. Alors les gars ont décidé d’aller piquer une tête dans la fontaine. Certains passants n’ont pas trop apprécié mais personne n’est venu s’interposer ou nous demander d’arrêter. Finalement, quelqu’un a appelé la police. Mais même les flics n’ont rien fait. Ils nous ont juste dit de ne pas faire n’importe quoi.
Tu peux nous dire quelques mots de la plus grosse baston dont tu as été témoin ?
La plus grosse, je n’y ai pas assisté. J’ai vu des photos d’une bagarre qui s’est déroulée au beau milieu d’une très grande ville russe. Il y avait énormément de monde impliqué. Certains s’en sont sortis avec des blessures vraiment très moches, mais tout le monde a passé la nuit au poste de police. D’après les avocats, les mecs qui étaient blessés n’ont pas voulu dire à la police qui les avait amochés. Personne n’a balancé les adversaires, même ceux qui avaient bien dérouillé. Et je crois bien que c’était le plus beau jour de leur vie.
Le monde du hooliganisme russe a beaucoup changé aujourd’hui. Comment ça se fait ?
Je crois qu’aujourd’hui, plus de gens préfèrent regarder le match plutôt que de se taper dessus. Il est désormais possible de distinguer clairement le hooligan du fan de foot ordinaire. À l’époque, c’était un seul et même groupe. La sous-culture du hooliganisme dans le football qui existait il y a 7 ou 8 ans a simplement disparu, et cela est largement dû au travail de la police. La Coupe du Monde qui s’est déroulée en Russie a prouvé que le travail de la police porte ses fruits. Du début à la fin de la compétition, il n’y a pas eu une seule grosse baston impliquant des hooligans russes.
Mais les gens continuent de se castagner loin des matches de football
Non. Aujourd’hui, il est quasiment impossible de voir une bagarre en plein centre-ville. La police essaie d’éviter les bagarres, et les hooligans ne veulent pas aller en prison. Donc on ne voit plus ces moments magnifiques où une centaine de mecs se fracassent la gueule dans la bonne humeur. Cette époque est révolue, et c’est peut-être une bonne chose.
D’autres photos ci-dessous.
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