Georgis GRIGORAKIS – Grèce 2020 1h50mn VOSTF – avec Vangelis Mourikis, Argyris Pandazaras, Sofia Kokkali, Theo Alexander… Scénario de Georgis Grigorakis et Vangelis Mourikis.
Du 18/08/21 au 31/08/21
« Digger » : mineur, terrassier, excavatrice, traduit mon dictionnaire anglo-français. Un titre percutant, qui sonne comme le premier coup de pioche d’une tombe que l’on creuse, et qui pourtant démarre en Grèce sous le ramage séculaire d’une magnifique forêt. Les rituels sans âge du premier homme que l’on aperçoit à l’écran l’ancrent définitivement dans cette immensité intemporelle. Nous appartenons à la nature et non l’inverse, n’en déplaise à la race inconséquente qui s’ankylose dans l’immédiateté du profit. Nikitas sait bien, lui, que l’humanité paiera un lourd tribu pour l’avoir oublié. Quand on le rencontre, il est en train de hurler aux loups, au sens propre, au sommet d’une colline qui surplombe une mer de nuages et de feuillages… La vision quasi-mystique de cet être solitaire, fragile mais bien campé face aux éléments, est d’emblée émouvante, intrigante. Nous voilà plongés dans la dualité d’un monde entre tragédie grecque contemporaine, western sans calumet de la paix, et mondialisation sauvage. De films en films, d’un bout à l’autre de la planète, vous l’aurez remarqué, on n’y échappe plus ! Les cinéastes de tous horizons s’en sont emparés. Chaque œuvre pousse son cri d’alarme aux puissants, apportant quelques gouttes d’eau au moulin de rébellions infimes, celles des sans-grade, des classes laborieuses ; les causes paysanne, forestière, ouvrière devenant capables de marcher main dans la main.
Autour de Nikitas, cet homme au dos aussi busqué que son nez, la société évolue et ses exigences se font pressantes… Le combat, à armes inégales, est-il perdu d’avance ? Rien ne semblera pouvoir faire dévier ce personnage droit dans ses bottes, aux gestes rudes, de sa route, de sa détermination puissante. Mais tout cela, au début, on ne le sait pas, on ne l’imagine même pas. Alors nous n’en dirons pas plus sur le contexte, vous le laissant découvrir ainsi que le « monstre » bien réel qui rôde dans la région, comme dans les contes de jadis ou dans les mauvais cauchemars.
Avec ses gestes rudes, ses airs revêches d’ermite des bois malappris, on est loin d’imaginer la sensibilité de cet être, son humour tour à tour noir ou bienveillant. Et quand un inconnu s’approche de sa cabane sommaire… c’est en pointant sur lui son fusil qu’il l’accueille, tel un homme aux abois. On ne donnerait pas cher d’une relation qui débute dans de telles circonstances. Pas cher non plus de la communication entre ces deux taiseux qui ne semblent avoir rien pour s’entendre et qui portent en eux un passé plombant. Le jeune gars à la moto qui se tanque là, ne cillant pas malgré la lumière aveuglante de la lampe torche qui darde sur lui un regard accusateur, est le fils prodigue, que Nikita n’a pas vu grandir. Il s’appelle Jonny, prénom qui résonne comme le reniement de ses racines helléniques, le symbole de la modernité face au passé. Deux approches irréconciliables… Deux êtres anguleux à la recherche d’une impossible réparation tandis que la roue aveugle de la modernité tourne, broyant sur son passage ce qu’il a fallu des millénaires à bâtir…
Tourné en seulement 26 jours avec des moyens exsangues, ce premier film malmené par les éléments, battu par les vents et la pluie, est pourtant d’une beauté à couper le souffle, et il est à l’image de ce qui s’y trame : âpre, profond, urgent, plein de vitalité. Il appartient à cette humanité rude qui ne renie pas son sang, ses racines. Il prend chair grâce à l’interprétation magistrale des acteurs, sans fioriture, vibrante, animale.