Le texte stipule que, « lorsque la configuration du local de restauration ne permet pas de garantir le respect des règles de distanciation physique, l’employeur peut prévoir un ou plusieurs autres emplacements ». Ces emplacements peuvent, le cas échéant, être situés à l’intérieur des locaux affectés au travail – sauf si ces locaux servent au stockage de substances ou de mélanges dangereux. Il est précisé que le décret est un aménagement temporaire qui durera aussi longtemps que l’état d’urgence sanitaire.
Cette réflexion menée sur la pause déjeuner est en partie motivée par les nouveaux protocoles sanitaires mis en place dans les entreprises pour endiguer la propagation du coronavirus ; la distanciation entre deux salariés est notamment passée à deux mètres lorsque le masque ne peut être porté. Protocoles qui s’inspirent des résultats de l’étude ComCor menée par Santé publique France, l’Institut Pasteur et le Conservatoire National des Arts et Métiers (Cnam), publiée en décembre dernier, qui révélait que 29 % des contaminations avaient lieu dans le milieu professionnel : « Les open space et les lieux de restauration sont associés aux contaminations quand il a été possible d’identifier la personne source. »
Plutôt que d’imposer le travail à domicile, qui représenterait un coût faramineux pour les entreprises, le gouvernement a décidé qu’il était plus simple d’expliquer aux Français comment manger pendant la pandémie, soit seul et à son poste. Ce décret signera-t-il la mort du midi « à la française », ce repas qui fait fantasmer les médias anglo-saxons, persuadés que la majorité des salariés de l’Hexagone claque l’équivalent d’un carnet de ticket restaurants sur une côte de bœuf et un litre de Brouilly tout en taillant le bout de gras pendant des heures ?
Même si Borne ne vise que l’article R4228-19 interdisant aux entreprises de « laisser les travailleurs prendre leur repas dans les locaux affectés au travail » et pas les suivants qui obligent l’employeur à mettre à disposition un local de restauration « pourvu de sièges et de tables en nombre suffisant, comportant un robinet d’eau potable, fraîche et chaude, pour dix usagers, doté d’un moyen de conservation ou de réfrigération des aliments et des boissons et d’une installation permettant de réchauffer les plats », le signal n’est pas particulièrement positif. Ces dernières années, les observateurs ont mesuré un net recul du temps que les salariés français consacrent à ce repas – Le Figaro notait déjà en 2011 qu’on était passé de plus d’une heure et demie de pause déjeuner à 22 minutes en deux décennies. Même le New York Times, toujours prompt à pointer du doigt les particularités de l’« art de vivre » local, semble incapable de voir dans ce décret autre chose qu’une mise à jour d’un code du travail « rédigé à une époque où tous les patrons étaient considérés comme d’infâmes capitalistes ».
C’est aussi oublier que laisser le salarié manger devant son écran est une bien mauvaise idée pour sa santé. Comme le soulignait dans Le Monde Francis Kessler, spécialiste en droit social ; « des études de nutritionnistes et de psychologues révèlent que la prise de repas au poste de travail génère absence de satiété et grignotage en milieu d’après-midi, voire des maux de ventre et une diminution des facultés cognitives. » Sans compter le nid à germes que représentent le poste de travail susmentionné : une étude de 2016 montrait que les bactéries étaient plusieurs milliers de fois plus nombreuses sur un clavier ou une souris d’ordinateur qu’une cuvette de chiottes.
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