Depuis plusieurs jours, le film catastrophe suscite dans de nombreux pays plus de réactions politiques, d’articles et de cris d’alarme que lors des dernières catastrophes climatiques, des records de chaleur en Alaska et au Groenland ou des plus grands documentaires scientifiques déjà disponibles sur le dérèglement climatique.
Comment expliquer un tel phénomène planétaire? Le casting 5 étoiles (Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Cate Blanchett…) a attiré les premiers spectateurs, mais c’est la morale de l’histoire, les milliers de réactions politiques et citoyennes à travers le monde qui l’ont propulsé de la catégorie de superproduction hollywoodienne à celui de film engagé et sociopolitique.
Car au-delà de la parodie et de la caricature, Don’t Look up donne à une partie de la population (éveillée ou inquiète du dérèglement climatique) des impressions de déjà-vu, où chacun peut trouver confirmation de ses préoccupations climatiques.
De la fiction à la réalité
Et elles sont légion tout au long du film: des politiques qui ignorent ou remettent à plus tard l’alerte des scientifiques, trop occupés par d’autres urgences ou polémiques; des grandes fortunes industrielles, incarnation de l’optimisme à toute épreuve et du génie de l’Homme, qui voient une solution technologique (et une opportunité économique) à toute menace; ou encore de grands journaux et des shows télévisés plus inquiets de leur audience et de leur volonté de divertir que par le fond du sujet et leur rôle de lanceurs d’alerte…
Les parallèles ou les raccourcis avec les crises actuelles, du dérèglement climatique jusqu’à la gestion de la pandémie coronavirus, n’ont donc pas manqué de fleurir sur les réseaux sociaux, du simple citoyen, aux militants écologistes, jusqu’aux plus grands scientifiques qui ont retrouvé dans la bataille des deux astrophysiciens, à l’origine de la découverte la “comète Diabiasky” fonçant vers la Terre, des souvenirs familiers et semblables à la réalité.
Interrogé par Le HuffPost, le climatologue Jean Jouzel, membre de l’Académie des Sciences et ancien vice-président du Giec (2002-2015), s’est ainsi “reconnu” dans son long combat contre les climatosceptiques. “Quand nous, scientifiques, disions dans les années 1980 que si on continuait à émettre davantage de gaz à effets de serre, on irait vers un réchauffement irrémédiable (…) nous n’étions pas écoutés”, confie-t-il.
Même impression pour l’actuelle co-présidente du groupe d’experts intergouvernemental du Giec sur l’évolution du climat, Valérie Masson-Delmotte, selon qui ses enfants ont fait le parallèle avec le changement climatique après avoir regardé le film en famille. Selon elle, “le film montre le décalage entre le mode de fonctionnement des scientifiques et celui du monde des médias et du pouvoir politique”.
“Il m’est arrivé d’avoir par exemple 3 minutes (3 questions) pour présenter les points clés d’un rapport du GIEC à un chef d’État ou de gouvernement, un ou une ministre, un élu ou une élue. C’est court”, se rappelle-t-elle, confiant également avoir “souffert de cette dissonance lors d’interventions dans les médias, avec la question de la manière d’aborder des enjeux graves dans un monde médiatique qui cherche la distraction, les aspects simplistes, la dispute, le tout entre deux publicités”.
(Sur la pancarte du manifestant: “Chaque film catastrophe commence avec le gouvernement ignorant un scientifique”)
Depuis la sortie du film, les appels à la prise de conscience de tous et à l’action concrète se multiplient. Chez certains, le visionnage du film est autant une source de colère supplémentaire contre les thématiques au centre du débat politique, qu’une source de motivation et d’engagement pour faire bouger les choses.
C’est d’ailleurs un climatologue américain, Michael E. Mann, qui a inspiré à Adam McKay, le rôle du Docteur Randall Mindy, incarné dans le film par Leonardo DiCaprio. Comme il l’a expliqué à nos confrères du Monde, il fustige depuis des années les politiques et industriels qui “résistent aux messages et aux réalités qu’ils ne veulent pas entendre”, soulignant à la fois “l’urgence” mais aussi “la capacité à agir”. Car selon lui, “la conviction qu’il est trop tard pour agir nous conduit potentiellement sur la même voie de l’inaction et du désengagement que le déni pur et simple”.
Le reflet de la peur du présent et du futur
En plus des appels au sursaut et au sens de priorités, le film renforce chez certains le sentiment d’impuissance et ce que les spécialistes appellent “l’éco-anxiété”. Cette angoisse (ou cette crise existentielle face à la réalité et à l’anticipation des effets de la crise écologique) touche une part de plus en plus importante de la jeunesse, selon les derniers sondages publiés en France et dans le monde.
En septembre 2021, une étude mondiale réalisée auprès de 10.000 jeunes de dix pays du Nord comme du Sud, révélait que 45% des 16-25 ans interrogés se disaient ”éco-anxieux” dans leur vie quotidienne. Selon ce sondage publié dans le journal scientifiqueThe Lancet Planetary Health, 75% des jeunes interrogés, jugent le futur “effrayant” et pas moins de 56% jugent que “l’humanité est condamnée”.
“On savait que l’écoanxiété progressait, notamment parmi les jeunes, qui représentent la population la plus concernée, mais on ignorait que cette souffrance psychologique était si étendue et ce mal-être était si profond”, avait alors réagi la psychologue Caroline Hickman, professeure à l’université de Bath (Royaume-Uni) et première autrice de l’étude.
Dans un sondage YouGov pour Le HuffPost en octobre 2019, 51% des Français affirmaient déjà que le réchauffement climatique était pour eux “une source d’angoisse”. Un chiffre qui s’élevait à 72% pour les 18-24 ans. Chez les personnes concernées, cette angoisse se manifestait par de la colère (39% des personnes interrogées), mais aussi par de la peur (34%) ou encore par la déprime (14%). Depuis, la COP26 a accouché d’un accord international aux ambitions, une nouvelle fois, très limitées et qui ne répond pas aux demandes et attentes des ONG et des scientifiques.
L’écoanxiété appelle une réponse sociale
“L’écoanxiété est une réaction naturelle et légitime à la crise écologique. Il ne s’agit pas d’une maladie”, explique au Monde, la pédopsychiatre Laelia Benoit, qui mène une vaste étude sur l’impact du changement climatique sur le bien-être et la santé mentale des enfants et adolescents à l’Université de Yale aux États-Unis.
“Ce n’est pas une nouvelle forme de dépression, et elle n’appelle pas un traitement médical: l’écoanxiété appelle une réponse sociale. De plus en plus de jeunes vont souffrir d’écoanxiété. Mais ne nous trompons pas de problème: c’est leur solitude face à une société qui ignore le changement climatique qui les fait souffrir”, ajoute-t-elle, expliquant que “l’inaction écologique est une forme d’abus contre la jeunesse”.
Si vous souhaitez aller plus loin, voici une série d’articles de notre rubrique LIFE pour mieux comprendre, appréhender ou faire face à l’éco-anxiété:
À voir également sur Le HuffPost: La collapsologie expliquée en moins de 2 minutes