Le lac avant juin 2019 et après, sous forme de doline. Image : Warner et al, Geophysical Research Letters, 2021
Cette curieuse disparition pourra certainement nous en apprendre davantage sur la dynamique en jeu à la surface des plateformes glaciaires de l’Antarctique et nous permettre de savoir si les instabilités de la région sont liées au changement climatique.
Roland Warner, glaciologue de l’Australian Antarctic Program Partnership à l’université de Tasmanie, a remarqué en premier la disparition du lac en examinant des images satellites capturées en janvier 2020. « Il y avait une surface de la barrière d’Amery qui s’était effondrée de manière frappante », dit-il.
En fait, Warner surveillait surtout les observations satellites de l’Australie, qui était à l’époque ravagée par des feux de forêt. C’est donc par pure chance qu’il a fait cette découverte en Antarctique. « J’ai décidé de jeter un œil à l’Antarctique pour faire une pause, explique-t-il. Sur la barrière d’Amery, il y avait une série de journées dégagées et j’ai voulu vérifier comment se passait la saison de fonte. Les signes d’effondrement à la surface ont immédiatement attiré mon attention. »
Warner a pensé qu’il pouvait s’agir d’une doline – un gouffre – pouvant indiquer qu’une énorme quantité d’eau avait disparu. Grâce à d’autres images capturées par des satellites de pointe comme WorldView de la NASA et la constellation Sentinel de l’Agence spatiale européenne (ESA), il a pu remonter dans le temps et déterminer à quel moment le lac a pu se vider. Selon lui, le phénomène s’était produit parce que des passages s’étaient formés dans la glace en dessous. Warner a demandé à des scientifiques qui étudient les caractéristiques des eaux de fonte de surface de vérifier ses conclusions, après quoi ils sont devenus coauteurs de l’étude. « Sans les données satellitaires que nous avons rassemblées, nous n’aurions pas pu réaliser une telle évaluation quantitative de l’ampleur et de la taille de la perturbation causée par la disparition du lac », dit Warner.
Le 9 juin 2019, les données capturées par l’ICESat-2 de la NASA pendant l’hiver austral ont révélé la présence d’un énorme lac intact constitué d’eau de fonte à l’emplacement de la doline. Il contenait une quantité d’eau colossale, estimée entre 600 et 750 millions de mètres cubes, soit l’équivalent de deux fois le volume de la baie de San Diego. Le 11 juin, le lac avait disparu.
Warner et ses collègues pensent que le poids de l’eau accumulée dans le lac profond était trop lourd et a ouvert une fissure dans la plateforme de glace située sous le lac, ce qui a provoqué une « hydrofracture », laissant l’eau s’écouler dans l’océan situé en-dessous. Le niveau de l’eau a rapidement baissé, et la couche de glace qui recouvrait le lac s’est également effondrée sur une distance de 80 mètres, avant de remonter avec la pression exercée par l’océan, créant la structure en doline observée par Warner.
Les hydrofractures sont souvent responsables de l’effondrement des couches de glace vulnérables. Mais c’est la première fois qu’une telle quantité d’eau disparaît à un rythme aussi rapide. Ce phénomène est d’autant plus remarquable si l’on considère que ce lac, visible sur les images satellites dès 1973, était soutenu par une couche de glace relativement solide, d’une épaisseur d’environ 1 400 mètres. « Il s’agit d’une occasion sans précédent d’observer la formation des doline et les caractéristiques des eaux de fonte associées », indique l’étude.
La doline semble recueillir une petite quantité d’eau de fonte chaque saison, ce qui en fait un endroit intéressant à surveiller. Il est particulièrement important d’étudier ce site car les effets potentiels de la fonte sur la stabilité des plateformes de glace ne sont « pas suffisamment compris », selon les chercheurs.
Nous savons encore peu de choses sur la contribution des eaux de fonte à l’élévation du niveau des mers, par exemple, et dans quelle mesure ces événements sont liés au changement climatique. Les modèles climatiques prévoient une augmentation de la fonte des glaces sur les plateaux de glace de l’Antarctique en raison de la hausse des températures, mais Warner souligne qu’il faut davantage de données pour que les modèles puissent faire de meilleures prédictions.
« Ce que nous savons pour l’instant, principalement sur la base de données limitées, c’est que la saison de fonte en été est très variable d’une année à l’autre, dit-il. Il n’y a pas assez de données pour être en mesure de voir une tendance dans le passé récent. »
Warner précise que ses collègues et lui continueront à surveiller la doline dans les années à venir. Dans le même temps, ils veulent reconstituer l’évolution du lac à l’aide d’images spatiales prises au cours du dernier demi-siècle. « Comment une couche de glace aussi épaisse s’est-elle formée et comment a-t-elle pu stocker autant d’eau ? » Telle est la question à laquelle les chercheurs veulent maintenant répondre.
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