Dans certaines régions, les seuils d’admissibilité sont tout bonnement catastrophiques. 5,5/20 à Créteil, 7/20 à Versailles ou encore 10,4/20 à Paris pour le concours de professeur des écoles. Et les moyennes d’admission ne remontent pas la pente avec des notes pouvant descendre jusqu’à 6/20. On pourrait croire que les épreuves sont trop difficiles, à la manière d’une prépa, mais les excellents résultats d’autres académies qui ont les mêmes sujets d’épreuve prouvent le contraire.
Aujourd’hui, pour enseigner dans une école, il faut réussir un concours de l’enseignement (différent selon le premier ou second degré) qui réunit plusieurs épreuves écrites et orales. Les moyennes et seuils d’admissibilité changent chaque année mais les académies en bas du classement restent toujours les mêmes. Alors pourquoi les notes des admis descendent-elles aussi bas dans ces académies ?
« Je sais que j’aurais dû plus travailler et que dans une autre académie, je n’aurais probablement pas été pris. »
Kilian, 26 ans, est enseignant en primaire à Drancy, dans l’académie de Créteil depuis l’année dernière. Après avoir échoué une première fois au concours, il a fini par être admis avec une moyenne générale de 8,7/20. « Ce qui a péché pour moi, c’était le français. Surtout un exercice intitulé “connaissance de la langue” où il faut donner la nature des mots soulignés dans des phrases. Je pense que je me suis pas mal trompé », raconte-t-il. Le jeune enseignant reste conscient de son niveau lors du concours, qu’il juge insuffisant. « Je sais que j’aurais dû plus travailler et que dans une autre académie, je n’aurais probablement pas été pris. Mais j’ai tout fait pour combler mes lacunes et pour être exemplaire face à mes élèves. »
En 2021, dans l’académie de Kilian (Créteil), 67,8% des candidats présents au concours ont été admis malgré des moyennes pouvant descendre jusqu’à 5/20. La note n’est pas décidée au préalable par le ministère de l’Éducation nationale mais tout simplement calculée, chaque année, selon la moyenne du dernier admissible. Cette dernière évolue tous les ans mais reste toujours très basse dans certains départements. Il est tout de même possible d’avoir une note éliminatoire lorsqu’elle est égale ou inférieure à 10/40, c’est-à-dire 5/20, sur une épreuve.
Contacté par nos soins, le ministère de l’Éducation Nationale n’a pas souhaité commenter ces seuils d’admissibilité et a affirmé essayer de maintenir les exigences demandées par le métier. Mais la raison de ces notes catastrophiques s’explique facilement par la difficulté à recruter de nouveaux enseignants. Les offres à pourvoir sont nombreuses et les candidats de moins en moins nombreux. Sur des milliers d’inscrits au concours, seules quelques centaines se rendent le jour J aux épreuves écrites. À Paris, en 2020, sur 2 268 inscrits, 597 étaient présents, ce qui permet d’augmenter le taux de réussite drastiquement chaque année mais oblige aussi les correcteurs à accepter des candidats qui n’avaient pas le niveau.
Pour Marc, 35 ans, enseignant dans une école élémentaire à Paris, ces moyennes si basses s’expliquent facilement par le peu d’attractivité du métier. « Tant que les salaires n’augmenteront pas, ça ne changera pas. Lorsqu’ils font des études et qu’ils passent des concours, les jeunes veulent gagner correctement leur vie. Le salaire démotive d’avance des personnes qui feraient d’excellents enseignants », raconte ce dernier. Il milite pour un alignement avec des salaires européens plus avantageux mais aussi une prime plus importante pour ceux qui travaillent dans les quartiers difficiles comme les REP (réseau d’éducation prioritaire). En effet, la France fait partie des pays où les enseignants font partie des moins bien rémunérés d’Europe. En moyenne, un professeur français 27 436 euros, en début de carrière, contre 56 243 euros en Allemagne.
Si Marc a choisi ce métier, en 2011, ce n’est pas sans peur : « Quand je préparais le concours, je me suis dit qu’il était encore temps de faire autre chose, de gagner un peu mieux ma vie. J’ai trouvé le concours relativement facile et j’ai eu une note très haute, bien plus haute que ce que j’espérais. Le CRPE n’est pas compliqué à obtenir et ce n’est pas nouveau, c’était déjà le cas à mon époque. » Même si son salaire a augmenté avec l’ancienneté, il lui est toujours impossible de vivre dans la capitale du fait des loyers trop élevés.
« Si la barre était à 10/20, nous ne pourrions recruter que quelques centaines de candidats. »
En 2013 déjà, le média L’Express pointait du doigt les moyennes désastreuses demandées par certains rectorats. Un recteur se confiait au média de manière anonyme « Si la barre était à 10/20, nous ne pourrions recruter que quelques centaines de candidats. » Le ministère explique à l’époque que cette baisse spectaculaire de moyenne est due à un important volume de recrutement prévu pour l’année. Problème : cette moyenne n’est jamais remontée depuis.
Régulièrement, les correcteurs alertent sur une baisse de niveau significative des candidats. Chaque année, le jury publie un rapport pour rendre son avis sur les copies corrigées. Le dernier en date est celui de 2019. Si certaines épreuves ont été réussies sans problème majeur, de grosses lacunes sont observées. « Si la calligraphie est globalement satisfaisante, le lexique, l’orthographe et la syntaxe sont souvent flous voire fautifs. Le niveau de langue utilisé ne convient pas toujours aux exigences d’un concours de recrutement de futurs professeurs des écoles, qui se doivent d’être exemplaires dans leur usage de la langue. »
Et ce faible niveau concerne également le CAPES, le concours pour devenir professeurs au collège et au lycée. Pour arriver à recruter, le jury a dû revoir à la baisse son exigence. Valérie Fasseur, membre du jury de 2008 à 2010, reproche un nivellement par le bas : « Les correcteurs doivent surévaluer tout ce qui est positif, la moindre petite connaissance subtile. Toutes les lacunes font, quant à elles, l’objet de la plus grande indulgence ».
Lorsque les membres de jury arrêtent de corriger des copies, les langues se délient. Annie Kuyumcuyan, membre du jury de 2012 à 2016, affirme avoir dû gonfler systématiquement toutes les notes, à l’écrit comme à l’oral pour obtenir une moyenne globale autour de 10/20 à chaque commission. Une consigne qui permet d’éviter des articles trop critiques ou une remise en question des concours et des salaires des métiers de l’enseignement. Et malgré cette baisse de moyenne, des postes sont toujours vacants dans de nombreux établissements à seulement quelques jours de la rentrée scolaire.
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