Parmi elles, des incontournables qui malgré les difficultés ont su gravir les échelons pour vivre à fond leur passion. Pour beaucoup de femmes, le manque de représentation féminine en esport est vécu comme un frein à leur engagement. Beaucoup subissent toxicité, harcèlement et sexisme, de quoi en décourager plus d’une à s’investir dans le milieu. D’autres cependant, n’hésitent pas à faire front à ces difficultés pour vivre de leur passion.
Jennifer Gomes, plus connue sous son pseudo Amelitha est une joueuse compétitive sur Street Fighter V. Au sein d’Helios Gaming, elle est d’ailleurs la seule femme. « Je suis assez contente, mais j’espère qu’il y aura d’autres joueuses qui intégreront l’équipe. » Comme beaucoup, elle se questionne concernant le peu de présence féminine dans le milieu : « A mon avis, le plus gros obstacle c’est la légitimité. […] Je pense qu’on en attendra plus d’une femme. C’est plus difficile pour elles. Ça s’est vu et ça se sait. »
« Elles ont envie d’éviter au maximum les situations gênantes avec la majorité masculine qu’on a dans les jeux vidéo » – Nemari
Par des engagements associatifs, Amelitha souhaite aider celles qui voudraient se lancer en compétition. En tant que membre active d’Afrogameuses, une association qui lutte pour une juste représentation des femmes afrodescendantes dans l’industrie, elle encourage les femmes à se lancer. « Pense à toi en premier parce que personne ne le fera à ta place. Pense aussi que tu n’es pas forcément seule, même si les gens ne jouent pas au même jeu, vous avez des bases communes. Tu vas forcément rencontrer des gens qui vivent ce que tu vies. »
En réponse à ce manque de représentation sur le circuit traditionnel, Nemari, streameuse, a fondé la Ligue Féminine qui créée des tournois mixtes et exclusivement féminin. « Je pense qu’il y a un moment où les filles ont envie de se retrouver. Il y a beaucoup de filles qui sont harcelées, embêtées tous les jours avec des joueurs un peu lourds. Elles ont envie d’éviter au maximum les situations gênantes avec la majorité masculine qu’on a dans les jeux vidéo. » Ces espaces sont pour elle un besoin, une réelle nécessité.
Mais, les avis divergent concernant ces tournois féminins. Beaucoup considèrent que l’esport étant mixte, il devrait se passer de ce cloisonnement genré. « Je sais que des fois on est remise en question, puisqu’on fait un tournois exclusivement féminin. Les filles qui participent le voient presque comme une manifestation. Si leur première approche de la compétition c’est celle-ci, c’est déjà une approche, et on peut pas leur en vouloir. »
« Il y a des structures sexistes, mais c’est très rare. J’en ai même connu une qui m’a ouvertement dit « non, on ne veut pas de fille » – Meili “Andryale” Chen
Par cette démarche, elle souhaite faire comprendre aux femmes qu’elles ont leur place en esport. « Le fait que les filles veulent rester entre elles, ce n’est que le résultat du manque d’ouverture de certains garçons. On peut pas en vouloir aux filles pour ça. »
Nemari déplore surtout le comportement de certaines structures. « Des équipes, des structures avec des membres sexistes il y en a. Il y a pas mal de personne là-dedans qui ne veulent pas recruter des filles parce qu’elles sont des filles. Qui vont avoir des préjugés. Et tu en as d’autres qui sont beaucoup trop avenants. Ils vont leur parler, les coller, leur demander leur numéro, voir même leur proposer un rencard. Il y a pas de comportement raisonnable envers les filles ! »
Évoluer dans un environnement majoritairement masculin semble alors être un parcours difficile pour certaines femmes. Toutes n’ont pas subis de comportements sexistes, mais elles connaissent toutes une ou plusieurs femmes qui ont été ciblées par ce type d’attaques.
Meili « Andryale » Chen, quant à elle, est coach et joueuse compétitive sur League of Legends depuis la saison une. Elle n’a pas toujours été reçue à bras ouverts « Dans ce milieu, il y a beaucoup d’ego, de personnes immatures. J’ai été confrontée à ça, au fait qu’ils avaient du mal à intégrer une femme dans un poste à responsabilité pour gérer une équipe qui a un objectif à enjeu. »
Selon elle, ces comportements restent minoritaires. « Il y a des structures sexistes, mais c’est très rare. J’en ai même connu une qui m’a ouvertement dit « non, on ne veut pas de fille. » Pourtant, et pour rappel, l’esport est une discipline reconnue mixte, où aucun critère physique n’entre en compte dans la sélection des participants.
« Arriver sur un plateau, ça c’était pas trop dur, mais le problème c’est de rester » – Laure Valée
Laure Valée, journaliste et présentatrice esport se considère chanceuse, tout en étant bien consciente de la situation pour beaucoup de femmes. « De ce côté là, j’estime que j’ai de la chance, et c’est terrible de se dire que t’as de la chance quand tu dis que tu t’es pas faites harcelée, vraiment ! […] Des retours d’expériences que j’ai pu avoir oui effectivement, il y a des collègues à moi qui ont subis du harcèlement. J’ai pas du tout envie de fermer les yeux sur tout ce qui a pu se passer chez Blizzard récemment, ou chez Riot il y a quelques années, mais ce sont des choses dont je n’ai pas vraiment de proximité. Mais par les retours que j’ai eu, oui c’est des choses qui sont arrivées et c’est des choses qui sont dégueulasses. »
Malgré tout, ces femmes se sont faites une place et compte bien continuer en ce sens. Elles encouragent même d’autres femmes à les rejoindre. Pour Amelitha « Il ne faut surtout pas s’empêcher de faire ce qu’on a envie de faire. »
Pour Laure, le plus compliqué a été de faire valoir sa légitimité. « Arriver sur un plateau, ça c’était pas trop dur, mais le problème c’est de rester. Montrer que tu es légitime, et montrer que quand on t’a donné la première opportunité on avait pas eu tort de le faire. » Convaincre lui a pris du temps, plus de temps que pour ses collègues masculins : « J’ai l’impression qu’il m’a fallut vraiment longtemps, ça se compte en plusieurs années je pense, peut-être au moins une ou deux année de streaming et de présentation pour que les gens soient enfin habitués à moi et commencent à me faire confiance. »
Sujette à des remarques déplacées sur son apparence, à la télévision et sur internet, elle se demande souvent « Est-ce qu’on s’intéresse à moi parce que je suis une femme ou on s’intéresse à moi parce que ce que je dis est intéressant ? ».
« Il y a encore cette réputation que l’esport, et le jeu vidéo en général, est un milieu machiste, sexiste, et pas du tout accueillant. C’est à nous de montrer que c’est pas le cas » – Laure Valée
Lors de son premier plateau diffusé sur Twitch son entourage l’alerte « Ne regarde pas le chat ». La curiosité l’habitant, elle se confronte alors à la dure réalité d’internet. « J’étais pas prête au fait que les gens puissent parler avec autant de liberté, et aussi cruellement des personnes qui sont là juste pour leur faire passer un bon moment. C’est très difficile de faire abstraction, et c’est vrai que les gens sont vraiment méchants. » La toxicité sur internet ne date pas d’hier, mais elle est parfois si violente qu’elle change un rêve en calvaire. « Il y a quelques moments dans mes années au LCS et au LEC maintenant, où j’ai pensé à arrêter. Parce que c’était trop dur psychologiquement. Je voyais que ça me bouffait quoi. »
Finalement, et grâce à l’aide de son entourage proche, Laure se convainc de continuer. « Au final je pense que l’important c’est de se dire que ce que tu fais, tu le fais pour toi et tu le fais parce que tu kiffes et tu le fais aussi pour les milliers de personnes qui sont contentes de t’entendre. Pas pour les 20 bruyants qui vont te faire savoir qu’ils sont pas contents. »
Cette minorité violente et bruyante ne saurait cependant briser ces femmes qui ont décidé de s’investir en esport. Il est important de signaler ces dérives, et de ne pas les ignorer. Pour Laure, et pour d’autres femmes, l’industrie doit se renouveler et changer. « Il y a encore cette réputation que l’esport, et le jeu vidéo en général, est un milieu machiste, sexiste, et pas du tout accueillant. C’est à nous de montrer que c’est pas le cas. Ou en tout cas de montrer qu’on ne veut plus que ça soit le cas. »
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