CINÉMA UTOPIA et LE DOMAINE D’O:
Séance unique le lundi 23 octobre a 20h, suivie d’un échange en présence de membres de l’équipe du théâtre.
Et pour prolonger l’expérience, découvrez Terces de Johann Le Guillerm du 10 au 22 octobre. Plus d’informations ici : www.domainedo.fr/spectacles/tous-les-spectacles/terces
Écrit et réalisé par Leos CARAX – France 2012 1h55mn – avec Denis Lavant, Edith Scob, Kylie Minogue, Eva Mendes, Elise Lhomeau, Michel Piccoli…
Du 23/10/23 au 23/10/23
Holy Motors a illuminé le Festival de Cannes – d’où il est reparti bredouille, pas le moindre prix, au grand désappointement de ses multiples fans – de sa bizarrerie, de son humour noir, de sa mélancolie. C’est l’histoire d’un voyage en limousine. À son bord, deux personnages : la conductrice, Céline, à la beauté étrange et surannée (Edith Scob), très attentionnée à l’égard de son passager, Monsieur Oscar (Denis Lavant), qui a d’abord l’allure d’un homme d’affaires, avant de changer dix fois d’identité et d’apparence pour honorer les rendez-vous notés sur son agenda. L’intérieur de la limousine ressemble à une loge où M. Oscar se change en fonction des rôles qu’il doit endosser : tueur à gages, mendiante, vieillard, père de famille, créature virtuelle…
À chaque rendez-vous correspond un épisode halluciné, radicalement différent du précédent, où Denis Lavant, transformiste de génie, comédien à l’énergie primitive et tellurique, investit un univers visuel et émotionnel singulier. Le plus effrayant est celui où, sous les traits d’un clochard monstrueux, il hante les égouts et les cimetières, et mange les cheveux d’une mannequin voilée jouée par Eva Mendes. Le plus sidérant : quand M. Oscar se métamorphose en créature virtuelle et fluo et s’adonne à un ballet érotique. Le plus émouvant: la séquence où, dans La Samaritaine intérieurement démolie, il retrouve un amour ancien en la personne de Kylie Minogue, sosie de Jean Seberg, qui interprète une chanson déchirante avant de monter sur le toit dont la vue domine Paris, et notamment le Pont-Neuf.
À chaque rendez-vous, M. Oscar accomplit son « travail ». Mais à son impresario (Michel Piccoli, dans une apparition courte mais marquante), qui note qu’il semble « ne plus y croire comme avant », M. Oscar répond que désormais les caméras sont miniaturisées au point d’être invisibles et donc partout. L’idée n’est pas neuve, mais Holy Motors en tire toutes les conséquences quant au cinéma : si le monde est condamné à être en perpétuelle représentation, la frontière entre le réel et la fiction est abolie. Les « rendez-vous » pour passer d’un état à un autre ont désormais quelque chose de vain. Là où tout se montre, où tout s’auto-promeut (même sur les tombes, les défunts appellent les vivants à visiter leur site !), comment M. Oscar pourrait-il y croire comme avant ? Cet « avant » qui peuple Holy Motors.
Le voyage en limousine est également une épopée à travers l’histoire du cinéma : le muet est très présent, Lang et Lynch ne sont pas loin, Godard encore moins, le Pont Neuf renvoie bien sûr aux propres films de Carax, et Edith Scob clôt Holy Motors avec le masque qu’elle portait dans Les Yeux sans visage de Georges Franju…
La mélancolie crépusculaire du film est démentie par sa splendeur hypnotisante qui, en elle-même, est un hymne à la persistance du cinéma. Leos Carax, qui n’avait pas réalisé de long-métrage depuis treize ans (Pola X), apparaît en personne dans les premières images. Par un passage forcément secret, il rejoint une salle de cinéma où les spectateurs sont endormis. Holy Motors est le plus beau rêve qu’ils pourront faire. Ils n’en croiront tellement pas leurs yeux qu’il les rouvriront. Et alors, ils verront…
(C. Kantcheff, Politis)