Personne n’a revendiqué la propriété des produits chimiques, qui comprennent de l’acide chlorhydrique, de l’acétone, du peroxyde d’hydrogène et de l’acide fluorhydrique, et qui se trouvent toujours dans le port. La société allemande Combi Lift a été engagée par le gouvernement libanais pour expédier les déchets en Allemagne afin qu’ils y soient éliminés en toute sécurité, mais elle attend toujours d’être payée.
« Le Liban et sa folie me surprendront toujours », confie Fouad Hamdan, qui a travaillé comme militant de l’environnement pour Greenpeace au Liban dans les années 1980 et 1990. La vérité est qu’en matière de produits chimiques toxiques, le Liban est un désastre complet depuis des décennies, qu’il s’agisse du déversement de déchets européens aux nombreux polluants et déchets civils du pays. Pendant et après la guerre civile qui a duré 15 ans au Liban, Hamdan a été à l’avant-garde des efforts visant à mettre fin aux décharges illégales dans le pays. Pendant la guerre, la milice des Forces libanaises (FL) contrôlait le port de Beyrouth et cherchait à gagner de l’argent en important des déchets toxiques de l’étranger pour les déverser dans les décharges et les carrières libanaises.
« La mafia italienne a gagné des milliards de dollars en prenant des déchets toxiques de toute l’Europe pour les déverser dans la Méditerranée et les exporter dans le monde entier, explique Hamdan. Dans les années 80, Samir Geagea [un seigneur de guerre libanais chrétien] a importé ces déchets et ne s’est jamais excusé pour les ravages qu’il a causés. Comme tous les autres seigneurs de guerre. »
Geagea reste une figure majeure de la politique libanaise et nourrit l’ambition de devenir président.
« Le temps que les Italiens reviennent et prennent ce qui était là, les FL en avaient déjà vendu une partie aux gens. Ils ont vendu ces matières hautement cancérigènes à des mécaniciens qui s’en servaient pour se laver les mains. Ils ont brûlé des déchets dans certaines zones et ils en ont déversé une partie à Bourj Hammoud ; eux-mêmes ne savent pas combien », explique Hamdan, faisant référence au centre de la communauté arménienne du pays, dans la banlieue nord de Beyrouth, qui abrite une série de décharges en bord de mer, vieille de plusieurs décennies.
Le scandale qui en a résulté a contraint le gouvernement italien à récupérer une partie des déchets restants, mais ceux-ci n’ont jamais atteint l’Italie, explique Hamdan, se référant à un rapport de Greenpeace sur la Méditerranée datant du milieu des années 90. « Les Italiens sont venus, ont pris les déchets et les ont jetés à la mer », poursuit Hamdan.
Alors que la reconstruction d’après-guerre se poursuivait, les dirigeants libanais n’ont pas construit ni entretenu les infrastructures de traitement des eaux usées, ni mis en œuvre une véritable gestion des eaux usées ou des déchets solides. La plupart des déchets libanais ne sont pas triés avant d’arriver dans une décharge ou un dépotoir, et les lois contre les décharges illégales sont rarement appliquées.
Il existe près de 1 000 décharges à ciel ouvert dans le pays. Elles sont mal gérées et dépassent largement leur capacité prévue. À Tripoli, la deuxième plus grande ville du pays, la construction la plus haute est la décharge municipale située en Méditerranée.
« En fait, il n’y a pas de gestion des déchets dangereux au Liban. La plupart sont mélangés aux déchets municipaux et finissent dans des décharges à ciel ouvert. Seule une petite quantité est exportée pour être traitée à l’étranger », explique Samar Khalil, expert en gestion des déchets pour la Waste Management Coalition.
Plus de 90 % des eaux usées du Liban sont déversées sans traitement dans les rivières, le sol ou la mer. Ces eaux, ainsi que les déchets municipaux, sont mélangées aux ruissellements des usines, des hôpitaux et des fermes. Certains des conduits d’égouts qui aboutissent en Méditerranée sont si grands qu’ils sont visibles sur Google Maps.
Étant donné que la population libanaise de six millions d’habitants comprend désormais près d’un million de réfugiés de la guerre civile syrienne, les centaines de milliers de personnes qui vivent dans des camps utilisent souvent les cours d’eau locaux comme des égouts à ciel ouvert. Ce problème a entraîné la destruction du plus long fleuve du pays, le Litani.
« La plupart des villages, des camps de réfugiés syriens, des usines et des abattoirs déversent leurs eaux usées non traitées directement dans la rivière », explique Abbas Baalbaki, chercheur en environnement spécialisé dans la gestion des eaux usées et membre de Green Southerners, une ONG environnementale qui opère dans le sud du Liban. « Vous pouvez même voir que l’eau, dans certaines parties du fleuve, est complètement noire. Et si vous jetez quoi que ce soit, du méthane commencera à s’échapper, ce qui témoigne de graves conditions anaérobies qui ne sont pas adaptées à la vie aquatique et terrestre. »
Si elle est un jour payée, Combi Lift éliminera tous les déchets dangereux du Liban. En mars, la société a annoncé qu’elle avait trouvé des matières radioactives stockées de manière inappropriée sur une plateforme pétrolière offshore au sud de Beyrouth. Le responsable de l’installation s’est défendu à la télévision locale en affirmant qu’il s’agissait d’à peine 16 kilogrammes d’uranium appauvri qui se trouvaient là depuis les années 1950, mais n’a pas donné plus de détails. L’Agence libanaise de l’énergie atomique, qui a pris possession du matériel, n’a pas souhaité répondre à notre demande de commentaires.
Ce n’est pas un cas isolé. Il y a quelques années, un conteneur étiqueté « matériel radioactif » s’est échoué sur une plage de Beyrouth, avec les autres déchets que la mer rejette après presque chaque tempête.
L’année dernière, le Liban a été frappé par une crise économique qui a entraîné une hyperinflation et une dévaluation de 90 % de la monnaie locale. Il est peu probable que l’argent nécessaire pour résoudre ces problèmes soit réuni prochainement. « Tant que les systèmes et les politiques ne seront pas révisés, et tant que l’économie sera dans cet état, la mauvaise gestion et les déversements continueront », déplore Baalbaki.
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