Selon le ministère de l’Intérieur, 357 affrontements entre bandes ont été recensés en 2020 contre 288 en 2019, soit une hausse de près de 25%. Trois personnes ont été tuées et 218 blessées lors de ces affrontements. À l’échelle nationale, le ministère recense 74 bandes, dont 46 sur le ressort de la préfecture de police de Paris, qui comprend aussi la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et les Hauts-de-Seine.
La semaine précédente, deux collégiens de 14 ans, une jeune fille et un garçon ont été poignardés au cours de rixes différentes, dans l’Essonne. “On pense tous à cet instant au sang de ces enfants tués pour rien au fond”, a déclaré le Garde des Sceaux à l’issue de cette visioconférence avec les préfets, procureurs et recteurs d’Île-de-France.
Des retours “très positifs” sur les interdictions de paraître
Pour éviter de nouveaux drames, il faut une généralisation “des bonnes pratiques”, a plaidé Éric Dupond-Moretti, évoquant une “meilleure collaboration entre les différents parquets généraux” et un recours décuplé aux “interdictions de paraître”. “Il faut développer” ces alternatives aux poursuites qui sont actuellement en expérimentation à Bobigny, Montpellier et Senlis et qui permettent “d’extraire” des jeunes “de la bande”.
Pour éviter un procès pénal, des mesures alternatives peuvent en effet être prises par le procureur de la République, dont des “interdictions de paraître”. Cette mesure consiste à éloigner l’auteur des faits du lieu de l’infraction ou de la victime. S’il s’agit d’un mineur, l’interdiction de paraître dans certains lieux ou de fréquenter certaines personnes peut s’étendre jusqu’à un an (trois ans si c’est un majeur). Les représentants légaux devront alors donner leur accord pour rendre la mesure effective.
Le procureur peut par exemple décider d’interdire la personne de se rendre dans un ou plusieurs lieux dans lesquels l’infraction a été commise (un bar, un marché, une salle de sport…). Il peut aussi interdire à l’auteur des faits de se rendre dans le lieu où réside la victime.
“Les retours de la Chancellerie” sur ces recours aux interdictions de paraître “sont très positifs et montrent que ce type d’alternatives aux poursuites est à encourager”, abonde auprès du HuffPost l’entourage du ministre qui précise que ces dites alternatives concernent avant tout “les primo-délinquants”. “On parle de personnes qui n’ont pas ou peu de passé judiciaire, ayant commis des infractions les moins graves”.
Le Garde des Sceaux entend ainsi “envoyer un message fort et rapide aux jeunes pour s’assurer qu’ils ne récidivent pas”. Car le phénomène semble majoritairement toucher les mineurs. En Île-de-France, 67% des mis en cause dans ces phénomènes de bande sont mineurs, avec un âge moyen de 17 ans, selon BFMTV qui cite la préfecture de police de Paris.
“Les alternatives aux poursuites, c’est bien (…) à condition que ça serve à ce pour quoi ça a été créé : des faits mineurs, relevant plus de l’incivilité que de la délinquance, qui nécessitent une réponse judiciaire n’allant pas jusqu’au jugement, estimait Me Eolas sur Twitter le 12 février dernier.
Les alternatives aux poursuites, c’est bien. Ça tue le métier, mais c’est bien. À condition que ça serve à ce pour quoi ça a été créé : des faits mineurs, relevant plus de l’incivilité que de la délinquance, qui nécessitent une réponse judiciaire n’allant pas jusqu’au jugement.
— Maitre Eolas (@Maitre_Eolas) February 12, 2021
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“Une justice qui peut être rendue vite”
Lors de la réunion de ce lundi, le Garde des Sceaux a également mis en avant le nouveau Code de justice pénale des mineurs, qui entrera en vigueur le 30 septembre 2021 et doit notamment permettre de réduire les délais de jugement.
“On va passer de délais extrêmement longs où on voit des gamins de 16 ans qui sont jugés quand ils en ont 22” à “une justice qui peut être rendue très très vite”, a-t-il assuré. “Si on laisse filer et qu’aucune réponse n’intervient, on a un risque de réitération”.
Le gouvernement entend ainsi accélérer les jugements, via une procédure en deux temps. Interrogé par le HuffPost, l’entourage du Garde des Sceaux précise qu’un jeune accusé devra désormais ”être jugé sur sa culpabilité dans les trois mois” à l’issue de l’enquête, contre 18 mois aujourd’hui.
Si le jeune mineur est jugé coupable, il fera l’objet d’une “mise à l’épreuve éducative adaptée aux faits reprochés”, indique cette même source. Elle pourra comporter des mesures éducatives, mises en oeuvre par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et des mesures de sûreté (contrôle judiciaire ou, à partir de 16 ans, assignation à résidence avec surveillance électronique).
Une deuxième audience, consacrée au prononcé de la sanction, devra se tenir dans les six à neuf mois suivant le premier jugement sur la culpabilité.
Une “audience unique” restera possible pour les faits les plus graves et pour des mineurs déjà connus de la justice.
“La justice des mineurs sera beaucoup plus efficace et rapide”, analyse-t-on dans l’entourage du ministre. Le but: réduire les délais de jugement et désengorger les maisons d’arrêt en minimisant le recours à la détention provisoire.
Confisquer des scooters ou du matériel sono
Le 27 décembre dernier, le ministre indiquait enfin vouloir “permettre la confiscation de biens comme les scooters ou encore l’indemnisation à une association”. C’est ce que devrait permettre la proposition de loi “améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale” adoptée en première lecture à l’Assemblée en novembre dernier, puis au Sénat fin février.
Outre la confiscation des deux roues, dans le cadre de rodéos urbains notamment, la saisie de matériel sono sera elle aussi facilitée.
Pour mettre en place ces différentes mesures, l’entourage du Garde des Sceaux assure que des moyens sont d’ores et déjà mis en oeuvre. “Le nombre de de délégués du procureur habilités à prononcer des alternatives aux poursuites va doubler, pour passer de 1.000 à 2.000″ et le même nombre de “juristes assistants et renforts pour les greffes ont été embauchés au 31 décembre dernier”.
Vers une “cartographie” des affrontements
En amont de la réunion de ce lundi, le ministre de l’Intérieur avait écrit jeudi 25 février à tous les préfets pour leur demander la “réactivation du plan de lutte contre les bandes”.
Dans sa note consultée par l’AFP, il leur demande de réaliser avant le 10 mars un “diagnostic départemental”, avec un “historique” et une “cartographie” des affrontements, l’âge des jeunes impliqués ou encore leur utilisation ou non d’armes et des réseaux sociaux.
À partir de ce diagnostic et “en fonction de l’importance du phénomène”, les préfets devront mettre en oeuvre un “plan départemental de repérage, d’accompagnement, d’information préventive et sensibilisation des publics fragiles” ainsi que des moyens “d’investigation et de lutte” contre les bandes.
Le ministre recommande aussi de recourir “selon le contexte” à des groupes locaux de traitement de la délinquance, associant police, mairie et services éducatifs, sous l’égide du parquet.