J’ai finalement réussi à trouver une place dans un bus après quelques coups de téléphone à des amis jusqu’à trouver le numéro du conducteur d’un mini car ukrainien. Ce sont ceux qui sont présents les week end sous le pont Bir Hakeim à Paris. Ils viennent chercher des gens, déposer des colis et vendent quelques produits locaux. Avec le début de la guerre et la suppression des vols, ils sont plus que jamais nécessaires aux familles divisés. J’ai pris le bus un dimanche vers midi. On était quatre passagers et deux conducteurs. Il n’y avait pas de fenêtre dans le car. J’ai dormi tout le long.
Après plus de vingt quatre heures de trajet, je suis enfin arrivée à Lviv. J’y ai retrouvé Malik, un ami que j’ai rencontré à Kyiv en 2021. Il est de Kharkiv, mais fuyant la guerre il est venu s’installer à Lviv au ReZavod. Il y vit depuis plus de six mois.
Le café donne sur une grande porte en verre au dessus de laquelle une affiche « все буде україна », « tout sera Ukraine »
Beaucoup se sont retrouvés par hasard dans le Rezavod. Certains y faisaient la fête avant, d’autres passaient juste dans le coin. Lui ne vit que de son art et en temps de guerre, les peintures et les expositions n’intéressent que peu de gens. Il n’a pas le choix, les logements sont devenus trop chers dans cette rare ville peu touchée par la guerre. Au départ, c’était un bon compromis entre un atelier et une maison.
Sur internet, le 31 rue Zavodska correspond à des espaces proposés à la location et à un club nommé “Ganok”. On peut y louer un atelier jusqu’à 120m2 pour moins cher qu’un appartement. Mais en réalité, ce sont plus des lieux de vie que de simple atelier. On ne sait pas vraiment à qui appartient l’endroit mais certains récoltent l’argent des locations. Avant c’était une usine de matériel médical. Aujourd’hui c’est un lieux où vie, travail, création, culture et refuge se confrontent. Je suis resté un peu plus de 10 jours.
L’espace se compose de deux bâtiments, le gris et le rouge qui relient un long chemin traversé de deux clubs et d’anciens points de vente. L’entrée se fait par le bâtiment gris qui donne sur une cafet’. Plein de gens différents y passent. Des mecs décoiffés aux cheveux longs qui viennent déposer leur vélos, des groupes de trois ou quatre filles apprêtées, toujours un mec seul avec son ordi et des passants qui viennent travailler. L’endroit ressemble plus ou moins à n’importe quel bâtiment soviétique qui accueille du monde (école, usine, université…) revisité façon hipster.
Le café donne sur une grande porte en verre au dessus de laquelle une affiche « все буде україна», « tout sera Ukraine » et une horloge qui ressemble à une gigantesque montre Casio. Il y a un escalier qui donne sur trois étages. Nous vivions au 2ème (pas de rez-de-chaussée pour les slaves) entre ateliers et studio en tout genre. C’est un long couloir sinistre digne des meilleurs films gores qu’il fallait traverser pour aller à la chambre. Le même qu’ils utilisent chaque jour pour les toilettes et le brossage de dents. Les chambres n’ont pas de point d’eau.
Chambre 102, c’est ici qu’habitent Malik et Varvara, sa copine. Les murs sont recouverts de polystyrène. Ça devait être un studio de musique avant. Maintenant il sert de rangement pour clefs ou pinceaux.
Je suis arrivé samedi soir et on entendait la musique de club juste en-dessous des fenêtres, c’est comme ça chaque week-end. Mais avec le couvre feu à 23 heures ce n’est jamais très contraignant. Ils m’avaient demandé de ramener du fromage de France. On n’avait pas pensé à ou le stocker, pas de frigo dans la chambre. Alors ils l’ont fabriqué. Avec un sot, de l’eau froide et un poids.
Le bâtiment rouge est aménagé pour le travail de matériaux lourds comme le métal ou le bois. Les studios sont plus grands et permettent de stocker des grosses pièces. L’endroit est plus vivant même si certains le considèrent comme plus sale. C’est ici que se situent les douches. C’est aussi là que tu rencontres des gens. Le 16 aout, dans la queue des douches, j’ai rencontré Assya une jeune femme de Kherson. Elle vivait dans la chambre des yogis. J’entends souvent parler d’eux mais j’en ai vu aucun. De ce que j’ai compris, c’est une bande un peu tournée sur la pratique de yogas. Assia cherche une chambre plus tranquille et m’a demandé comment étaient les toilettes dans le corpus blanc. J’ai dit que c’était pire. Pendant que nous parlions, un chiot du nom de Bibamboup attendait devant la porte des douches ses maîtres.
À mon tour. La douche était froide, il y a des horaires pour cela. Apparemment plus il est tard et plus il y a de chance d’avoir de l’eau chaude. En sortant il y avait deux mecs, l’un deux m’a dit qu’il y allait avoir une soirée jeux de table. Il m’a invité.
Au sous sol c’est la friperie où au début de la guerre des fourgons avec des bénévoles venaient pour distribuer des repas, fournir les personnes fuyant la guerre en vêtements. Désormais, il ne reste plus qu’un énorme tas de tissus en libre service et quelques boîtes de nourritures.
Il y a beaucoup de projets pour ce lieux, je n’ai pas tout compris mais il veut en faire un espace écologique. Il considère que tout est possible dans ce lieu.
C’est le soir que la vie s’anime dans le Rezavod, peut-être parce que les gens rentrent du travail, ou simplement parce que c’est le soir. Le 14 août à deux heures du mat’, j’ai rencontré Nazar pendant que je faisais cuir des nouilles dans la chambre. Il est rentré. C’est un ancien du bâtiment, maintenant il vit dans une tante quelque part dans un parc et passe de temps en temps se laver. Pendant qu’on discutait, Varvara rechargeait les cigarettes électroniques jetables. Elle a appris sur YouTube, ils appellent ça « les lifehack des pauvres ».
Un autre soir, Malik a ramené Dima, un ancien acrobate et danseur. Un mec très touchant et futé malgré son ivresse. Suite à une hospitalisation, il a perdu son travail dans le showbiz. Aujourd’hui il doit travailler 10 heures par jour dans un chantier pour un salaire misérable qui ne lui permet pas de financer son traitement, alors il fait sans. Mais plus les jours passent et plus le travail du chantier aggrave son état. Il n’a pas le choix. Pas étonnant que certains choisissent de ne pas travailler tout court. Finalement quelle différence.
Ce soir-là, j’ai dû partir de la chambre. Les voisins m’ont proposé un bout de sol chez eux. C’est comme ça que j’ai rencontré Art bobchik. En passant la porte de sa chambre, je me suis retrouvé dans un espace enduit de plaids, il ma montré des dizaines de casquettes bleus et de la peinture. « Fais ce que tu veux si tu veux », m’a-t-il dit. Un certain Vova passait constamment, il s’asseyait pour bosser sur l’ordi. Il y a beaucoup de projets pour ce lieux, je n’ai pas tout compris mais il veut en faire un espace écologique. Il considère que tout est possible dans ce lieu. Par terre, une peinture architecturale faite par ArtBobchik représentait un des étages de ce corpus d’après leurs projets.
Ils m’ont montré une autre facette de cet espace, celui d’un lieu à mille opportunités et surtout celui de la liberté totale. La seule façon d’y accéder c’est de venir poser ses pieds ici. Certains ont des projets pour ce lieux, d’autres attendent avec impatience de partir. Certains subissent et n’acceptent pas la situation, d’autres aménagent les quelques mètres carrés de sorte à ce qu’ils soient agréables à y vivre. Pour certains ce lieu est un choix, pour d’autres la seule option.
Sofiya est une photographe franco-ukrainienne. Vous pouvez suivre son travail sur son site internet ou sur Instagram.
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