Il y a quelques mois, alors qu’il pose la tête sur l’épaule de son compagnon dans le métro, deux hommes en face d’eux les regardent avec insistance. Une fois sorti de la gare, le couple comprend rapidement qu’il est suivi. Le duo poursuit sans relâche les deux amoureux et n’hésite pas à attendre lorsqu’ils s’arrêtent pour vérifier s’ils sont toujours derrière eux. Baptiste comprend qu’on veut probablement les tabasser. Avec son copain, ils décident de rester dans une rue passagère, sans bouger, pour éviter toute altercation. Au bout de longues minutes à se fixer et se jauger, le duo repart en riant. « On a attendu un moment après qu’ils soient partis et ensuite on a couru pour qu’ils ne voient pas où on allait au cas où ils nous observaient encore de loin ».
S’il est difficile de considérer cela comme de la chance, Baptiste a évité une altercation homophobe et craint de ne pas toujours avoir une solution de repli comme pour cette fois. La seule issue pour lui : répliquer. « Je veux prendre cours d’autodéfense parce que je sais que si ça m’arrive en l’état, je suis incapable de me défendre. » En attendant de se sentir plus serein grâce à ces leçons, il pense même à accrocher un badge, avec un logo d’une salle de boxe, sur son sac pour faire fuir ceux qui voudraient en venir aux mains.
Ces derniers temps, les agressions homophobes augmentent progressivement tous les ans (hormis en 2020 dû au confinement). Même sur cette unique année en baisse, les services de police enregistrent 1 590 crimes et délits anti LGBTQ. En comparaison en 2016, 1 084 avaient été dénombrés. En seulement quatre ans, les actes homophobes ont augmenté de 50%.
« Pour les gays, tu ne peux pas vivre ton amour comme n’importe quel couple le ferait »
Baptiste, de son côté, s’est fait à l’idée qu’il sera un jour pris pour cible d’une agression homophobe et il espère pouvoir se défendre. « Quand je vois des couples hétéros dans le métro qui s’embrassent, je me dis qu’ils ont tellement de chance de ne pas se faire emmerder. Pour les gays, tu ne peux pas vivre ton amour comme n’importe quel couple le ferait. » Pire encore, pour éviter les agressions, Baptiste change son comportement selon les villes où il se trouve.
Son métier veut qu’il change régulièrement de lieux de travail. « Dans certaines villes, surtout les petites, je ne prendrais même pas le risque de prendre la main d’un mec. » Pour chaque nouvelle ville, son compagnon et lui discutent avant toute première sortie sur le fait de se prendre la main en public ou non. « Ça peut aussi dépendre des quartiers, à Paris, par exemple, tu te dis que c’est bon et en fait non. On sait que ça peut arriver alors autant prendre les devants. Quand je vois les visages complètement tuméfiés de mecs qui se sont fait agresser juste parce qu’ils sont gays, ça me dégoûte ».
Sur les réseaux sociaux, de plus en plus de personnes agressées publient des photos de leurs blessures suite à des agressions homophobes. Un moyen de condamner ces violences qui est à double tranchant. Selon Lucile Jomat, présidente de l’association SOS Homophobie, ces clichés cultivent aussi la peur ambiante dans la communauté LGBTQ. « Ça crée un climat de mal être. S’il y a des agressions physiques, il faut aussi partir du principe qu’il y a aussi des gens qui vivent parfaitement leur vie sans être agressé. » L’association propose tous les jours une ligne d’écoute anonyme et remarque une similitude avec les comportements de femmes dans la rue. « Toutes personnes discriminées va adapter son comportement en fonction du milieu et de l’espace. Ce sont des comportements typiques des femmes qui ne vont pas aller dans certains lieux pour éviter le danger et on observe la même chose dans nos témoignages. »
« Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la médiatisation d’agressions homophobes n’a pas tendance à les faire diminuer »
La présidente encourage chacun à se défendre, que cela passe d’un simple évitement d’un lieu dangereux à une réplique physique, dans le but de se défendre. Même si, pour elle, il faut toujours éviter le conflit : « Quand on a une agression verbale et que la personne réplique verbalement, il y a plus de chances d’avoir une agression physique derrière. C’est quelque chose qu’on note très souvent, la personne qui agresse va se sentir légitime de continuer l’agression », affirme Lucile Jomat.
L’association note une évolution des agressions homophobes selon certaines actualités. Durant le débat autour du mariage pour tous et l’ouverture de la PMA, les discriminations dans les espaces publics et les réseaux sociaux ont augmenté en France. Le débat ambiant attise et permet de justifier l’homophobie de certains. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, la médiatisation d’agressions homophobes n’a pas tendance à les faire diminuer.
À 21 ans, Adil a justement été pris pour cible dans la rue alors qu’il avait vu de nombreuses photos quelques semaines auparavant de personnes aux visages ensanglantés sur les réseaux sociaux. Finalement, ça n’arrive pas qu’aux autres s’est-il dit. Un soir alors qu’il rentre de soirée avec un ami dans un bus, un groupe l’interpèle. Il est maquillé, ça n’a pas l’air d’être à leur goût. Des noms d’oiseaux volent et la tension montent. Lorsqu’ils descendent du bus et pensent les semer grâce au nombre de passagers qui bloquent la sortie, le groupe se fraie un chemin pour les suivre.
La suite, tout le monde s’en doute. Les deux amis sont rattrapés et passés à tabac. Adil décide de poster une photo de son visage sur Twitter pour rendre compte de la violence qu’il a subie. « Je voulais que les gens voient que ça existe. » Avant son agression, il y avait forcément pensé et savait que cela pouvait y arriver. Si cet événement l’a traumatisé pendant longtemps, il lui a aussi permis d’avancer et d’exorciser cette peur de se faire agresser.
Pendant plusieurs semaines, Adil ne va plus en soirée et ne se maquille plus. « J’ai mis beaucoup de temps avant de reprendre confiance et ressortir de chez moi. » Petit à petit, il se force à sortir et applique de véritables tactiques pour se détendre en public. « Je me sens aujourd’hui encore plus à l’aise qu’avant mais je fais toujours attention. Si je sors maquillé, c’est en groupe ou en taxi. J’ai adopté plein de petites méthodes qui m’ont permis de ressortir, ce qui n’était pas gagné du tout. » Une solution tout sauf parfaite qu’Adil regrette, il se rêve parfois à New York « où tout est plus facile et où il n’a jamais senti une quelconque hostilité vis-à-vis de son homosexualité. »
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