Les agressions contre les Américains d’origine asiatique commençaient déjà à augmenter, mais ils ne retenaient pas vraiment l’attention du grand public. Parfois, je me demandais même si je ne réagissais pas de manière excessive. De toute façon, il y avait peu de risque que j’en sois victime.
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Presque un an jour pour jour après avoir écrit ceci dans mon journal, un Blanc est entré dans trois salons de massage de l’État de Géorgie et a tué huit personnes, dont six femmes d’origine asiatiques: Xiaojie Tan, Daoyou Feng, Soon C. Park, Hyun J. Grant, Suncha Kim et Yong A. Yue. Les deux autres victimes, Paul Andre Michels et une anonyme, étaient blanches.
Quelle est la probabilité pour moi d’être la cible d’une agression du fait de mes origines?
Il n’est pas surprenant que les femmes soient si souvent ciblées, surtout si l’on considère la manière dont les Asiatiques sont perçues en Amérique. On ne cesse de nous voir comme des étrangères. Quels que soient notre nationalité ou notre lieu de naissance, il y aura toujours des gens pour nous voir comme des spécimens venus d’Orient pour les satisfaire, des “Dragon Ladies” sexuellement voraces ou des poupées sexuelles avides de plaisir. Dans tous les cas, nous sommes sexualisées et réifiées, ce qui nous met en danger.
Des “Dragon Ladies sexuellement voraces
“Ah, ça explique tout. J’étais en poste aux Philippines quand j’étais plus jeune. Les plus belles femmes que j’ai jamais vues de ma vie.”
Et il n’a pas dit cela en me regardant droit dans les yeux mais en fixant mes seins, alors que sa femme était juste à côté de lui. La file d’attente était très longue et il se tenait très près de moi, alors j’ai décidé de partir et de revenir le lendemain.
Les hommes m’ont souvent fait part de leur “connaissance” de mon corps. Ils jurent par exemple que mon sexe est plus étroit que celui d’une Blanche et qu’ils adoreraient “l’élargir”. Ils me disent que je n’ai pas vraiment connu le plaisir car les Asiatiques ne sont pas de vrais hommes. Ils disent vouloir me goûter parce que les tétons marron sont plus sucrés que les tétons roses.
On m’a proposé de l’argent pour coucher parce que “les Philippines ne sont bonnes qu’à ça”. Des hommes ont essayé de soulever ma jupe pour “voir si [m]a chatte est aussi bridée que [m]es yeux”. On m’a asséné des insultes raciales et sexuelles jusqu’à me faire pleurer, et jusqu’à ce que je constate que la personne qui me harcelait prenait plaisir à voir couler mes larmes.
Beaucoup d’hommes sont agressifs, mais certains ont essayé de me séduire, au moins dans un premier temps, en me suppliant de leur murmurer des secrets chinois ancestraux à l’oreille, en jurant de me traiter comme une impératrice ou en me proposant de déposer des fleurs de cerisier à mes pieds. Mais quand je les repousse, le ton change: “De toute façon, les Asiatiques sont moches.”
L’hypersexualisation des femmes asiatiques joue un rôle majeur dans la violence à laquelle nous sommes confrontées
Je ne veux pas vivre dans la peur, mais je suis prise d’anxiété chaque fois que je dois sortir. Je porte des robes avec des poches pour pouvoir y mettre ma bombe lacrymogène. Des amies m’ont dit qu’elles envisageaient d’acheter une arme à feu, “au cas où”.
Nous ne voulons pas penser à l’inconcevable, mais chaque fois que nous entendons parler d’agression sur une Asiatique, nous avons peur d’être la prochaine. Il existe un fort esprit de solidarité entre les Américaines d’origine asiatique en ce moment, mais ce n’est pas le genre de solidarité dont je rêvais. Qui a envie d’être lié à quelqu’un par un traumatisme commun?
Pourtant, c’est la réalité quand on est une Asiatique en Amérique. Nous sommes liées par le traumatisme et le chagrin, mais aussi par la colère. Nous en avons assez d’être réduites au silence, assez que le racisme et la misogynie que nous avons connus toute notre vie retiennent si rarement l’attention, qu’il ait fallu que six femmes soient assassinées pour que les gens commencent enfin à parler de la montée du racisme avec lequel nous vivons depuis un an.
On me demande: “Comment expliquez-vous cette libération de la parole des Asiatiques?”
Ce blog, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Karine Degliame-O’Keeffe pour Fast ForWord.