Alors que le cubi a fait son chemin dans les habitudes de consommations des Français, l’idée du vin en canette a longtemps été considérée comme une hérésie (au pire) ou un truc qui n’allait pas plaire à tout le monde (au mieux). À l’annonce de prototypes, les Torquemada du picrate s’insurgeaient quand d’autres y voyaient une vile opportunité de marché. Boostée par la pandémie et une décennie de lobbying intensif, la canette s’avère être aujourd’hui acceptée par le public. Plus qu’une révolution culturelle, c’est la hausse de la vente à emporter ainsi qu’une forme de résignation chez les autochtones – toujours partant pour boire mais moins pinailleur sur la nature du flacon – qui semblent avoir stimulé la croissance du produit.
Comme si les atouts de la canette, servis ad nauseam par ceux qui la vendent, faisaient finalement mouche. Évidemment, elle est beaucoup moins casse-couilles à ouvrir qu’une bouteille classique (même avec une godasse à la place du tire-bouchon), épouse un mode de consommation dit « nomadique » (terme inventé par un anonyme service marketing pour désigner les pique-niques dans des parcs, les barbecues familiaux ou les concerts de Villette Sonique). Elle ne correspond qu’à deux verres (un collègue soulignant avec à-propos qu’il existe déjà des formats de bouteille à la contenance similaire) permettant de ne pas dépasser le taux d’alcool autorisé pour conduire et de ne pas finir en GAV. Surtout, elle pollue moins : le taux de recyclage de l’aluminium est supérieur à celui du verre.
Côté buveur, plusieurs inquiétudes subsistent néanmoins et une interrogation centrale : quel goût ça a ? Celui du pinard qu’on y met, rétorque les concepteurs qui présentent la canette comme le « conditionnement idéal pour protéger le vin de l’air et de la lumière » avec son « emballage complètement hermétique ». Sur le site de La Robe du vin, on peut lire que la canette dispose d’un revêtement interne capable de conserver la qualité pendant douze mois et d’éviter l’oxydation. Sa créatrice, Brigitte Desprès abondait sur France Info : « C’est une canette qui est brevetée car à l’intérieur il y a un revêtement qui permet de ne pas avoir de contact entre le vin et l’alu, ce qui fait que le vin n’a pas du tout le goût de l’aluminium et conserve toutes ses qualités organoleptiques. » Même son de cloche du côté d’Uchronic, qui sert des vins du pays d’Oc de producteurs de l’Hérault et du Gard en canette. « C’est tout simplement une mini-cuve, comme celles en inox que l’on retrouve dans les caves », confiait à 20 Minutes Benjamin Furlan, le fondateur de la marque.
Pas de pinard bouchonné mais peu de chance de s’envoyer un grand cru dans le gosier non plus. La canette ne serait qu’un véhicule qui amènerait les jeunes consommateurs vers les vins dits supérieurs. 85 % des moins de 25 ans interrogés par Opinion Way dans l’enquête susmentionnée se disent prêts pour la canette. Un chiffre qui vient confirmer une étude réalisée en 2021 par la société Norstat décrivant ce nouveau mode de consommation comme plébiscité par la gen Z. « C’est un moyen de faire redécouvrir le vin à une jeune population qui s’en est un peu désintéressée », justifiait Christian Maviel, PDG de Cacolac qui y croit dur comme fer et a récemment investi dans une usine dédiée à l’emballage en canettes pour les alcools. « Nous y mettons des vins de qualité, c’est indispensable sinon on perd le consommateur, mais ce sont essentiellement des vins nouveaux, rosé ou blanc, plus adaptés à ce concept qui va chercher de la fraîcheur. »
En France, l’attirance pour la canette ne date pas d’hier. En 2006, alors que le voisin transalpin, sous la pression des producteurs locaux de prosecco, tentait d’extrader Paris Hilton venue faire la promo d’un vin pétillant en canette, six coopératives en partenariat avec des étudiants de feu l’École nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires de Montpellier se lançaient dans le projet « Comédie », une canette de vin « moderne, branché et fruité » qui permettait d’écouler les stocks de certains vignerons. En 2013, c’est au tour de Winestar de se lancer dans le grand bain. Les avantages de la canette cités par l’entreprise ne sont pas si différents que ceux invoqués dix ans après : ne pas être obligé d’ouvrir une bouteille pour boire juste un verre, pouvoir transporter et ouvrir facilement son pinard ou encore le stocker plus aisément dans sa cuisine. Son fondateur, Cédric Segal se targuait dans Le Figaro de vouloir « devenir le Nespresso du vin » justifiant son existence par une forme de démocratisation. « Il n’y a pas aujourd’hui d’offre de qualité en petits formats », ajoutait-il.
On peut même remonter en 1964, dans un reportage des Actualités françaises exhumé par l’INA, des vignerons du Beaujolais « emboîtaient » déjà du gamay à la place de l’habituelle mise en bouteille. Une innovation bien pratique pour que « le campeur, voire l’alpiniste », picole au flanc de la montagne sans en foutre partout, soulignait le journaliste, voire pour expédier sans trop de dégâts des caisses de ces grosses canettes de pif vers Long Island City, NY, comme l’indiquent les cartons visibles à la fin de la vidéo. La canette de vin était alors presque uniquement réservée à l’exportation – elle est toujours un succès outre-Atlantique où le nombre de références a explosé (on comptait 900 marques à la fin de l’année 2020 dont les vins du domaine de Francis Ford Coppola vendus en pack de quatre).
Les pérégrinations de la canette de vin en France rappelle étrangement celles de la canette de bière en France. Quand Kronenbourg présente sa première version dans l’Hexagone en 1955, « Il y a eu une certaine résistance de l’industrie brassicole, ce n’était pas dans les traditions ici », racontait Annette Freidinger, spécialiste en emballages et maître de conférences à l’École nationale supérieure des industries alimentaires dans Le Parisien. Aujourd’hui, déguster une canette de Maximator paraît un loisir si commun qu’on ne peut qu’espérer une banalisation analogue pour une canette de chablis ou de Château Pétrus dans les années qui viennent.
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