gabapentine

Illustration : Ceara Coleman 

À la fin de ma première semaine sous gabapentine, je me suis réveillée les fesses à l’air, face contre terre, un collier en diamants autour du cou. La veille, j’avais fêté l’anniversaire d’une amie dans un salon lounge secret situé au-dessus d’un club de strip-tease londonien, où des femmes étaient enveloppées dans des serpents vivants. « On dirait une fête où les Kennedy auraient pu être photographiés », ai-je écrit à mon copain.

Le plus étrange dans cette soirée, c’était ma présence. Tout au long de l’année écoulée, j’avais été à peine capable de fonctionner. J’étais sujette à des expériences extracorporelles et à des paralysies qui me provoquaient tant de douleur et de fatigue que j’avais dû abandonner l’université pour suivre un programme de rééducation physique. Le fait d’assister à une fête et de m’endormir tranquillement après, m’était étranger

On m’a prescrit de la gabapentine en 2013, alors que j’étais hospitalisée dans un centre de traitement des troubles du sommeil. Le médecin a observé que je me réveillais 17 fois par heure et a diagnostiqué des douleurs neuropathiques, un effet secondaire de mes nombreux autres troubles musculo-squelettiques. Apparemment, les hallucinations et les paralysies que je vivais étaient symptomatiques d’un manque de sommeil extrême. Le médicament, m’a expliqué le médecin, était habituellement prescrit pour traiter l’épilepsie. On me proposait donc un usage non conforme, en insistant sur le fait qu’il pouvait ne pas fonctionner, et que si c’était le cas, on ne saurait pas pourquoi.

Quelques semaines après avoir commencé le traitement, mes hallucinations et mes paralysies s’étaient calmées. Je n’avais plus besoin d’étirer excessivement mes jambes avant de me coucher, alors qu’avant, il me fallait entre une et trois heures de physiothérapie pour soulager les crampes. 

Fin 2013, mon énergie retrouvée m’a permis de retourner à l’université pour deux années supplémentaires. Mais j’ai aussi appris que la gabapentine n’était pas un médicament qu’il fallait prendre à la légère. La première fois que j’ai oublié une dose, je me suis réveillée à 4 heures du matin, en sueur et en proie à des hallucinations de petites araignées courant sur ma peau. Pour éviter le manque, je m’assurais d’avoir toujours plusieurs mois de réserves dans mon armoire. À la fac, quand j’ai constaté que ma fatigue augmentait, je me suis demandé si ce n’étaient pas mes jambes qui recommençaient à s’agiter. Un médecin m’a donné le feu vert pour augmenter ma dose de gabapentine de 600 mg à 900 mg. Après tout, on m’avait dit au départ que c’était inoffensif.

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Des comprimés de gabapentine. Photo : Victor de Schwanberg/Alamy Stock

L’article de Shayla Love paru dans VICE en 2019 sur le scandale des gabapentinoïdes a provoqué des ondes de choc dans la communauté des personnes malades ou handicapées. « LA GABAPENTINE EST UN PLACEBO ET C’EST DANGEREUX », a posté un de mes amis sur Facebook. « Faites attention à vous. » 

L’article décrit en détail la manière dont les gabapentinoïdes – des médicaments anticonvulsivants dont les principaux représentants sont la prégabaline et la gabapentine – ont été agressivement commercialisés en tant que traitement non indiqué pour de nombreuses maladies difficiles à traiter et peu étudiées, notamment la douleur chronique, l’anxiété et le membre fantôme. Dans la plupart des cas, il existait peu de preuves cliniques suggérant que les médicaments apportaient un quelconque avantage médical. Dans certains essais, ils étaient moins efficaces que le placebo. Pire encore, ils ont été associés à un risque plus élevé de décès, de suicide et d’abus d’opioïdes (les gabapentinoïdes se sont avérés populaires parmi les consommateurs d’héroïne, en raison de leur capacité à intensifier la défonce et à faciliter la descente). 

Entre-temps, les décès au Royaume-Uni attribués aux gabapentinoïdes avaient augmenté de façon spectaculaire, en particulier parmi les populations carcérales, passant de dizaines à des centaines en six ans, entre 2012 et 2018. Quelques mois seulement avant que je ne prenne conscience de tout dommage potentiel, ils avaient été reclassés d’urgence dans la catégorie des substances contrôlées de classe 3, ce qui impliquait des règles de prescription plus strictes. Les directives du NHS indiquaient en gras : « Il n’est pas utile ou approprié pour quiconque de stocker ces médicaments. »

En apprenant cette nouvelle, je me suis retrouvée à remettre en question ma propre consommation de gabapentine. Mon énergie initiale était-elle due au fait que je dormais enfin toute la nuit, ou était-ce simplement les effets secondaires euphorisants du médicament ? C’était possible, mais mes recherches tardives sur Internet ont également suggéré que les gabapentinoïdes pouvaient avoir un impact positif sur mon type particulier de douleur nerveuse, et que les options de traitement alternatives étaient limitées. Le traitement avait changé ma vie et je ne savais pas quoi faire d’autre.

La communauté médicale a également réagi à ce revirement. Une nouvelle généraliste a abordé mon ordonnance avec une hostilité inattendue. « Si vous voulez continuer à prendre ce médicament, vous feriez mieux de changer de cabinet », m’a-t-elle dit. Lorsque je lui ai expliqué les raisons pour lesquelles je prenais de la gabapentine, elle a levé les yeux au ciel. « C’est une drogue de prison. Qui me dit que vous ne la revendez pas là-bas ? » 

Plutôt que d’aborder le problème pour lequel j’étais venue, j’ai passé la majeure partie de ma consultation à essayer de la persuader que j’étais une patiente responsable, puis j’ai passé deux semaines à paniquer, sans savoir si je pourrais continuer à prendre mon traitement. Finalement, j’ai pu retourner au cabinet et discuter de ma situation avec un médecin plus empathique, qui a immédiatement honoré mon ordonnance et m’a aidée à envisager une stratégie de gestion de la douleur à plus long terme.

Un article paru en 2017 dans le New England Journal of Medicine suggère que l’augmentation de la prescription de gabapentinoïdes est une réponse directe à l’épidémie d’opioïdes, les praticiens recherchant une solution alternative rapide et efficace aux problèmes de douleur chronique, qui peuvent être complexes et dont la gestion demande du temps. On rappelle souvent aux patients souffrant de douleurs chroniques qu’il n’existe pas de pilule magique pour les guérir complètement, mais il ne semble pas que le système médical ait pris conscience de ce fait, ni qu’il se soit vraiment penché sur la manière dont il pourrait modifier ses procédures.

Récemment, le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) a publié de nouvelles lignes directrices pour encourager les médecins à ne plus proposer d’antidouleurs aux patients souffrant de douleurs chroniques, en conseillant plutôt des traitements comme l’exercice, la thérapie cognitivo-comportementale et l’acupuncture. Ces directives mettent l’accent sur le risque de dépendance, même avec des médicaments comme le paracétamol et l’aspirine. Bien que ces lignes directrices se concentrent principalement sur la douleur chronique sans « maladie sous-jacente », il convient de reconnaître le temps qu’il faut pour que la douleur soit prise au sérieux par un professionnel de la santé, le peu de financement ou de recherche sur la douleur chronique, et le manque d’équipement des services médicaux pour traiter les conditions permanentes. 

La gestion de la douleur devient un champ de mines de plus en plus traumatisant, les médecins « corrigeant » les choix de prescription de leurs confrères, souvent au détriment du patient. Aucun symptôme n’est amélioré par cette expérience de panique, de stress et de stigmatisation.

Ces directives en constante évolution entraînent une méfiance dans la relation patient/médecin qui nous pousse à prendre des décisions dangereuses par nous-mêmes, sans aucune forme de surveillance. Bien que les gabapentinoïdes nécessitent une ordonnance, les patients qui risquent le sevrage sont plus susceptibles de se tourner vers des versions contrefaites et illégales, facilement accessibles en ligne.

Pour ma part, je suis bien consciente que la gabapentine est loin d’être un médicament parfait. Mon esprit est souvent dans le brouillard, et je ne sais pas si c’est dû à mon corps étrange ou aux effets secondaires du médicament. Je suis mal à l’aise avec ma dépendance et terrifiée par les conséquences d’un potentiel arrêt. Surtout, je ne connais pas vraiment les autres options qui s’offrent à moi.

La réalité est que chaque interaction médicale que nous avons est à la merci des crimes qui nous ont précédés : un scandale de marketing, une prescription excessive, des pilules au lieu d’une thérapie adéquate, jusqu’à l’accusation encore trop courante selon laquelle la douleur est un symptôme d’hystérie. 

Si les médecins veulent aider leurs patients souffrant de maladies chroniques, ils doivent oublier leurs préjugés et offrir aux patients un espace où ils peuvent parler honnêtement de leurs besoins et expériences actuels, du temps pour examiner les médicaments, poser des questions et explorer des alternatives. Il est essentiel de mieux financer la recherche et les options de traitement à long terme, mais pour l’instant, la meilleure solution est la collaboration et le dialogue.

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