MATERNITÉ – Un soir de décembre, je rencontre mon futur mari autour d’un verre. Un feeling, des rires, de la tendresse, beaucoup de complicité. Une évidence. 6 ans plus tard, nous commençons les essais bébé. 2 mois après, le test de grossesse est positif. Nous souhaitons garder le secret, mais Noël arrive, donc nous l’annonçons à nos familles (qu’ils comprennent pourquoi je boude le champagne et le foie gras). 9 SA (NDLR: Quand on parle en semaines d’aménorrhée (SA), on part du dernier jour des dernières règles. On ajoute 2 semaines.), première écho. Face à moi, l’écran et sur mon ventre, la sonde. La sage-femme me montre la poche, l’embryon, mais… m’explique qu’il n’y a pas de rythme cardiaque. Un ascenseur émotionnel, je ravale mes larmes en croisant les mamans au ventre rond.

Je dois attendre une semaine pour être certaine que l’embryon est sans vie.

Un comprimé de mifépristone pour évacuer l’embryon. Des saignements, des douleurs physiques et morales, mais cela ne suffit pas. Un deuxième, 2 jours après. Toujours pas. Une programmation pour un curetage. L’anesthésiste me demande d’aller voir un cardiologue, car mon cœur s’est emballé pendant l’opération. Un test d’effort: hyper excitabilité ventriculaire.

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Je dois attendre mon retour de règles pour reprendre les essais. 4 longs et interminables mois… Un nouveau test positif: plus de peur, moins d’emballement, sait-on jamais.

6 semaines après, une nuit de douleurs, de contractions. Peur d’aller aux toilettes… du sang. “Emmène-moi aux urgences.”

En effet, 2e fausse couche.

Une tuméfaction dans l’utérus (on apprendra qu’il s’agira d’une cicatrice due au curetage), une hystéroscopie programmée et des analyses génétiques pour les 2 fausses couches.

Attendre, encore.

Des remarques: “Le corps fait bien les choses, vaut mieux ça que d’avoir un enfant mal formé”, ”Ça arrive à beaucoup de femmes, t’inquiète pas”, “Il va peut-être falloir passer à autre chose”, “Au moins, ça fonctionne”, “C’était pas un bébé encore”, “Une fausse couche c’est rien, si ça arrive c’est que c’était pas le bon moment”…

Très peu de: “Je comprends”, ”Ça doit être dur à vivre”. J’aurais même préféré un silence.

Dans notre tête: la perte de 2 bébés et une jalousie qui monte pour ces femmes enceintes

3e test positif, des pertes marrons… Peu d’espoir. Alors on essaye de vivre normalement, on part en voyage en Jordanie. Échographie, la peur au ventre, le palpitant.

Et cette fois, on l’entend, ce cœur qui bat.

Les mois passent, tout va bien, je suis aux anges, j’aime me sentir enceinte.

2e échographie, un silence: votre bébé n’a qu’un rein… À nouveau des larmes.

Une semaine après, mal au dos. Très mal. Nuits blanches, pointe dans la poitrine, difficultés à respirer. “C’est ça la grossesse, tu n’as pas fini, tu n’es qu’à 5mois de grossesse!” Alors, serrer les dents.

Du sang dans les urines, peur d’une infection rénale. Le futur papa médecin me force la main. Direction les urgences.

Consultation longue, très longue. Écho, prise de sang, aller-retour dans la chambre, sage-femme, interne puis chef. Une masse sur le foie.

“Madame, rappelez-nous pourquoi vous êtes là et votre terme?”

_ 24SA+6, je suis venue parce que j’ai mal au dos et j’ai eu un peu de sang dans les urines.”

_ Vous faites un hellp syndrome. Vous n’avez plus de plaquettes, vous êtes en train de perdre votre rein et votre foie. Nous devons sortir votre bébé.”

OURAGAN qui emporte tout sur son passage.

Je vois mon mari, son regard, son visage pâle, ses larmes… lui comprend!

En quelques minutes, je suis branchée de partout, en blouse et dans le bloc.

Les médecins doivent faire des injections de corticoïdes pour maturer les poumons de bébé au plus vite et injection de magnésium pour son cerveau. Je dois attendre que cela agisse et si possible, avoir une seconde dose.

Je ne comprends plus ce qu’il se passe, je suis sortie de mon corps et observatrice de la scène.

Ma famille vient à tour de rôle, comme pour me dire au revoir.

Prise de sang toutes les heures pour contrôler les taux, prise de tension toutes les 10 minutes. Contrôle des urines.

Ma main est dans celle d’Alex (mon conjoint, NDLR), il est exemplaire. Je fais des crises d’angoisse, j’ai peur de perdre bébé et de mourir.

On voit à peine mon ventre, et pourtant on m’annonce que bébé sera peut-être là demain.

Des pédiatres viennent nous expliquer la prise en charge d’un bébé né à 24 semaines.

Quelques heures auparavant, je créais une liste d’envie d’achat sur Ikea et je faisais cours à mes élèves.

Mon état se stabilise… enfin, reste acceptable. Entre eux, les gynécologues se mettent d’accord: un jeu d’équilibriste va se faire entre bébé et moi. On surveille mon état pour garder bébé au chaud le plus longtemps afin que ses organes maturent.

“On vous a rattrapée par les cheveux”

Je suis finalement montée en chambre le lendemain (enfin je crois, j’ai perdu toute notion du temps) à la SIG: surveillance intensive de grossesse. Prises de sang toutes les heures, puis 3 fois par jour puis 2 puis 1 fois tous les 2 jours. Analyse de toutes les maladies possible, car les médecins n’ont jamais vu un hellp qui “stagne”. Contrôle des urines maintenu.

3 monitorings par jour (qui seront de plus en plus longs car le cœur de bébé fatigue), 2 échographies doppler par semaine, car quoiqu’il arrive bébé sera un “petit poids”, mon placenta ne l’alimente pas correctement. Alors on le laisse au chaud pour ses organes, tant pis pour le poids. Nous n’aurons pas les deux.

Alex a son lit d’appoint, ensemble nous arrivons à garder le sourire, à relativiser. Ensemble, nous sommes plus forts. Il est ma bouée de secours sur laquelle j’arrive à faire surface. Mais le covid s’en mêle, il doit partir, plus aucune visite. Je suis seule, je lave mon linge sale dans la douche, je ne sors plus de ces 7 m2. Mes journées sont rythmées par les prises de sang, les monitorings et les plateaux-repas…

52 jours, à attendre, à espérer et désespérer. À voir externes, internes, chefs, sage-femme, infirmiers, psychologue, aides-soignantes.

Nous n’irons pas après 32 SA, car trop risqué pour bébé.

“Nous n’aurions pas parié sur vous en vous voyant arriver dans le service”

La gynécologue vient me voir pour programmer la césarienne (vu son poids, bébé ne supporterait pas les contractions par voie basse). “Au staff, on s’interrogeait, est-ce que le 1er avril ça vous convient?”. Une sacrée blague, un joli pied de nez.

Papa peut venir pendant la césarienne, je le vois à peine, car la rachianesthésie fait chuter ma tension, je m’évanouis, je vomis, je me sens secouée sur la table. Mais je l’entends. J’entends mon fils de 930 grammes pleurer. Marceau. Ce prénom, son prénom: relatif au dieu de la guerre, notre combattant et Mars, le mois durant lequel il aura tenu.

Je pars en salle de réveil. Les heures avant de le rencontrer sont interminables, surtout avec le contexte, ils hésitent à m’emmener en néonat. Et puis finalement, après 4heures je retrouve papa et bébé. Dans sa couveuse, branché, je ne distingue que très peu son visage avec son masque à oxygène. J’ouvre la couveuse pour glisser ma main. Sentir sa peau, chaude et fine. Pas une épaisseur de graisse. Si petit, si maigre, si fragile.

Je rentre dans ma chambre pour les soins, manger et tirer mon lait. Ce que je ferais toutes les 2 h, réveils la nuit, en me hissant du lit malgré ma cicatrice. J’arrive à tirer des quantités importantes, alors que Marceau mange peu. Je donnerai au lactarium.

Le lendemain, attendre le brancardier (car les pères ne peuvent pas venir dans le service de maternité) pour retourner voir mon fils et mon mari, des longues heures. Décider d’y aller seule en marchant comme une mamie tant bien que mal.

3 jours après, je peux enfin prendre mon fils dans les bras, en peau à peau. Je sens ses os, son crâne encore mou sous mes doigts. Je sens aussi ces électrodes, ces fils, cette sonde qui tire sur ses lèvres. Je peux l’embrasser.

Lumière bleue, cathéter, prise de sang, échographie rénale, échographie du cerveau. Chaque examen est un enfer, nous avons peur d’avoir encore de mauvaises nouvelles, car nous nous y sommes habitués. Triste habitude…

Chaque jour, pendant 1mois et demi, nous irons voir notre fils de 8 h à 20 h, chaque jour pendant 12 h nous le prendrons en peau à peau. Chaque jour, nous pousserons la seringue de lait pour le nourrir. Chaque jour, nous pousserons les portes de la néonat, cette autre planète dans l’obscurité, silencieuse et en même temps si agressive avec ses alarmes. Chaque jour, nous aurons les yeux rivés sur les courbes des machines, nous aurons peur à chaque apnée, chaque désaturation, chaque bradycardie. Nous stimulerons Marceau qui oublie de respirer. Nous le redresserons, car il s’étouffe en régurgitant, l’estomac gavé. Nous apprendrons à nous en occuper comme d’une poupée de porcelaine.

Puis arrive le jour du retour à la maison, en hospitalisation à domicile. Nous avons fait les achats essentiels sur internet comme nous avons pu, car avec le covid tout était fermé et à 5 mois de grossesse, rien n’était acheté. Une infirmière vient tous les jours.

Les nuits sont compliquées, Marceau fait des bradycardies, le scope sonne, il mange peu et hurle la nuit. Un bébé RGO? Des coliques? Pour dormir, nous le prenons sur nous. Seule manière de le calmer. Avant de le mettre au sein, nous devons le peser à jeun. Puis le mettre au sein. Le repeser pour compenser le manque de lait avec la seringue par la sonde. Nous devons attendre qu’il digère en le gardant debout pour ne pas qu’il régurgite et risque la bradycardie. Puis je dois tirer mon lait. Nettoyer, mettre au frais. Je dors 3 h par nuit.

Nous décidons d’enlever la sonde et d’essayer de nourrir Marceau qu’au sein. L’alimentation est très compliquée. Il ne grossit pas. Je décide d’arrêter l’allaitement, cela me brise le cœur. Décidément, rien ne ressemblera à ce que j’avais imaginé…

Consultation pédiatre, Marceau a deux hernies inguinales, d’où ses hurlements. Il sera opéré. Retour à l’hôpital… des flashs de ces mauvais souvenirs.

Consultation pédiatre de ville, pédiatre de néonat, néphrologue pour son rein unique, kiné, ophtalmo pour les fonds d’œil, orthoptiste.

Les jours, les mois passent et Marceau grandit tel un champion

Aujourd’hui, il a 1an, je le vois dormir à travers la caméra du visiophone et je suis tellement fière de lui. Il arrive sur la courbe de poids, avec 8 kg 840 et rentre dans celle de la taille. L’alimentation est encore laborieuse. Le sommeil compliqué. Mais quel chemin!

Je suis toujours jalouse des femmes enceintes, surtout celles qui se plaignent des petits maux du quotidien. Je hais les personnes qui me disent que leur bébé est préma d’une semaine. Je ressasse les phrases blessantes entendues pendant ce parcours du combattant:

“Au moins, tu as pu profiter de lui avant”, “Tu as de la chance de l’avoir eu plus tôt parce que le dernier trimestre de grossesse est très dur”, “Ne te plains pas, tu as moins de kilos à perdre”, “Contente de ne pas l’avoir vu en couveuse, un bébé préma c’est pas très beau”, “Regarde c’était pas la peine de s’inquiéter, il va bien maintenant!”, “Bah moi aussi c’était un petit poids, 2 kg 600″

J’aime encore plus qu’avant mon mari qui m’a soutenu et nous a permis d’être là aujourd’hui. Et pour qui, ce chemin a été aussi très compliqué en tant que père et médecin, savoir ce qui se passait, comprendre tous ces termes, envisager les pires suites.

J’ai appris à reconnaître les personnes sur qui je peux compter, vraiment.

Je suis éternellement reconnaissante du travail des soignants, qui ont su jouer avec la balance Marceau/moi pour nous garder tous les deux en vie et en bonne santé.

J’aurai toujours peur pour Marceau, que des difficultés liées à la prématurité apparaissent.

Je m’en voudrai toujours de lui avoir fait subir tout cela.

Je le verrai toujours en train de faire des apnées en couveuse et devoir le stimuler pour qu’il reparte, et attendre de longues secondes que ses courbes remontent.

J’espère un jour connaître une grossesse à terme, me plaindre de mes kilos en trop, être détestée à mon tour par ces femmes qui n’y arrivent pas, perdre les eaux, broyer la main d’Alex pendant l’accouchement et tout cela sans le covid.

“La grossesse n’est pas une maladie”… Parfois SI.

A voir également sur Le HuffPost : Illana Weizman raconte son post-partum et le tabou qui l’entoure

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