Malheureusement, il n’existe pas de photos de la communauté de Cesoni, mais cette interview est associée à des images d’Ovada – tirées du livre La comune hippy di Ovada – Un’utopia vissuta d’Ignazio Maria Gallino – qui brossent un tableau de la vie hippie italienne dans les années 1970, entre partage du travail, convivialité constante, amour libre et beaucoup, beaucoup de drogues.
VICE : Salut, Dinni. Pourquoi as-tu décidé de fonder une communauté ?
Dinni Cesoni : Honnêtement, c’était spontané. À la fin des années 60, les jeunes se sentaient étouffés par l’atmosphère d’autoritarisme et de conformité à la société en Italie. Par exemple, à l’Université de Milan, nous, les filles, ne pouvions pas porter de pantalons ; c’était totalement interdit. Même si mon père était libéral, je devais être rentrée à la maison à vingt heures, alors que j’avais déjà vingt ans.
À cette époque, les journaux ont commencé à parler de la « Beat Generation » et des « dirty hippies ». C’est dans cet esprit de rébellion que j’ai suivi mes premiers cours de yoga avec des amis du lycée et de l’université. Nous connaissions des communautés à Berlin et en Angleterre qui suivaient le modèle américain. C’est ainsi que nous avons eu l’idée. Nous étions six – trois hommes et trois femmes, dont deux couples – à nous installer à Via Vico [à Milan] en octobre 1968.
Comment avez-vous trouvé un logement et subvenu à vos besoins ?
Nous étions tous de jeunes étudiants sans le sou. Un ami architecte nous a aidés. Il travaillait à Milan et connaissait la ville bien mieux que nous. À l’époque, il y avait ces énormes appartements de luxe qui tombaient en ruine et dont personne ne voulait. Nous avons trouvé cet endroit incroyable avec quatre chambres, une cuisine et ce que nous appelions la « salle de fête ».
Notre ami architecte nous a d’abord dépannés un peu d’argent, mais peu à peu nous avons tous trouvé des petits boulots. Nous faisions des bijoux artisanaux que nous vendions le soir au club. L’un d’entre nous a commencé à travailler comme photographe. Je ne sais pas comment, mais j’ai décroché un emploi de journaliste de mode. Puis, un autre appartement au même étage s’est libéré, et soudain, nous étions onze.
À quoi ressemblait une journée typique ?
Disons simplement qu’on ne s’ennuyait jamais. En 1969, beaucoup de jeunes de la classe ouvrière se sont enfuis de chez eux et sont venus dans notre quartier, Brera, qui était rempli d’artistes et d’alternatives, avant de devenir l’endroit ennuyeux qu’il est aujourd’hui. N’importe qui était le bienvenu pour quelques jours ou quelques mois, même s’il n’avait qu’une guitare et un sac de couchage. Nous étions toujours plus de onze.
La nourriture nous importait peu, nous passions des heures à parler de livres – Siddhartha, Sur la route, Howl. Seuls quelques uns d’entre nous les avaient lus, mais nous les connaissions tous. La culture orale était fondamentale pour le mouvement. Nous étions également engagés dans la communauté. En plus d’écrire sur la mode, je collaborais avec des magazines alternatifs, je couvrais et j’organisais des manifestations.
As-tu déjà rencontré quelqu’un qui vivait à Ovada ?
Bien sûr, beaucoup de nos frères et sœurs allaient et venaient d’Ovada. C’était un point de référence important pour tout le mouvement. Ils ont créé une utopie avant que la police ne les élimine. Là-bas, les gens retournaient à leurs racines, cultivaient la terre, devenaient amis avec les fermiers et se baignaient à poil. Ils ont beaucoup de photos. Nous n’en avons aucune ; nous n’avons même jamais pensé à en prendre.
La communauté pratiquait-elle l’amour libre ?
Chaque fois que quelqu’un me pose une question à ce sujet, il pense immédiatement à des orgies. Nous étions en fait tous très timides. Nous venions d’une culture qui avait peur du sexe. Nous étions jeunes et nous voulions explorer la sexualité, parce que personne ne nous l’avait jamais vraiment expliquée. Mais l’acte physique ne nous intéressait pas, nous cherchions le lien émotionnel. C’est pourquoi nous sommes nombreux à être partis en Inde pour étudier le tantra.
Y avait-il de la jalousie ?
L’un des piliers du mouvement était de dire « non » à la jalousie, car nous la considérions comme contraire à la liberté. Mais la jalousie est une émotion humaine normale, il n’était donc pas toujours facile de l’éviter. Par exemple, deux couples ont rompu et ont fait un échange de partenaires. Nous en avons tous parlé ensemble, pour les aider à mieux gérer leurs émotions changeantes. Mais au final, un des couples n’a pas pu supporter cette situation et a quitté la communauté.
Preniez-vous beaucoup de drogues ?
Nous avons commencé à fumer de l’herbe en 1968. Pour être honnête, nous n’étions pas des drogués, mais quand l’occasion se présentait, c’était un grand moment de partage. C’est devenu plus courant par la suite. Puis, nous avons découvert le LSD.
Et comment était-ce ?
C’était fou ! La première fois que j’en ai vraiment entendu parler et que j’ai vu ses effets, c’est lorsque j’ai rejoint un rassemblement de hippies à Amsterdam avec quelques membres. À notre retour, nous en avons parlé dans la communauté et nous avons décidé d’en prendre tous ensemble. C’était une expérience unique, je ne peux même pas la décrire. Mais j’ai fini par arrêter, parce que quelques personnes ont commencé à faire des bad trips.
Qu’est-ce qui a mis fin à la communauté ?
Il y a eu plusieurs facteurs. L’un d’eux était l’héroïne, c’est pourquoi je travaille avec des toxicomanes depuis trente ans. Malheureusement, l’engagement politique de certaines personnes s’est tourné vers l’extrémisme – par exemple, beaucoup ont rejoint le mouvement de 1977 [movimento del 77, un mouvement de gauche qui a organisé des manifestations violentes] et les Brigades rouges [une organisation terroriste d’extrême gauche].
Certaines personnes ont fondé une famille, d’autres sont allées en Inde. Bref, nous avons grandi. Quand j’y repense, j’ai l’impression que c’était dans une autre vie. Mais je suis fière de nous. Peut-être qu’un jour, les jeunes continueront ce que nous avons commencé.
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