COUPLE – Mon
métier de
psychologue clinicien, auteur d’un essai sur l’amour, m’a fait constater qu’il existait de
nouvelles manières de
vivre la
rencontre et la
sexualité depuis l’apparition du
Covid et les mesures de
confinement qui l’accompagnent. Tant de
patients ont réappris la définition des mots “suspens”, “manque”, “attente”, et bien que cela soit contraint et forcé, ils en tirent souvent une
forme de soulagement, comme s’ils réapprenaient l’amour.
Tel le personnage du nouveau roman de Flavie Flament
L’étreinte (
Éditions Jean-Claude Lattès), mes
patients ont en effet,
été nombreux à
vivre des
amours à distance lors du
confinement du
printemps dernier. De nombreuses
études vont dans ce
sens. Les
applications de
rencontre ont enregistré une hausse générale et significative du nombre de messages envoyés via leur interface en
mars en juin de l’année en
cours. On se textote beaucoup plus lorsque l’on ne se voit pas. On s’envoie des mails longs comme le bras pour tenter de combler l’absence de
relations physiques.
Cela rappelle la bonne vieille époque des correspondances épistolaires avec lettres cachetées et timbres postaux, avec des cartes aux paysages divers et variés provenant du monde entier. Sans corps sur lequel se blottir, l’imaginaire flambe comme jamais! Et pour cause: plane sur les relations naissantes un sentiment de grande incertitude. Celles-ci tiendront-elles pendant tout le confinement ou s’interrompront-elles dans l’œuf, à l’état virtuel? Si on ne souffle pas sur les braises, quand il n’y a pas de présence charnelle, le feu sacré s’éteint bien plus rapidement… Alors, le Covid a créé un engouement manifeste pour un autre type de relations encore: celles par caméra interposée.
Le manque qui donne une autre dimension à l’amour
Alors que beaucoup d’utilisateurs privilégiaient la proximité et bannissaient purement simplement les profils trop loin de chez eux, il semble bien que le
confinement ait fait évoluer la donne, à l’exacte
image du télétravail! “
Tant qu’à être cloîtré chez soi, me disait un
patient,
pourquoi ne pas ouvrir le feu avec une Irlandaise désireuse d’apprendre le français par correspondance?” Un autre s’est mis à l’anglais pour entretenir une
Facetime story fiévreuse avec un Australien promettant de venir surfer sur la côte basque l’
été prochain…
Bien sûr, ces
relations brûlantes de
désir ont, pour la plupart, périclité en aussi peu de
temps qu’il faut pour le dire. Tient-on finalement davantage au
rêve et à l’irréalité dans ces instants de
solitude face à un écran? Pas toujours.
Mais ces instants ont un mérite: ils donnent une autre dimension à l’amour, plus évanescente, moins matérialisable dans un immédiat consumériste.
La psychanalyse met la notion de manque au centre des enjeux subjectifs. Tolérer le manque, bien le vivre, assumer le vide et le nourrir d’expériences sublimatoires, sans recours compulsif à des objets externes, est le terreau d’une vie harmonieuse, la plus libre possible.
Les joies du manque et de la frustration
Pendant le premier
confinement, à défaut de s’être
rencontrés immédiatement et d’avoir consommé des
relations ”à la sauvage”, beaucoup de
patients paraissaient avoir soudain découvert les joies du manque et de la frustration.
“
Je n’ai jamais autant attendu un café de ma vie. J’ai fait la connaissance de Gaétan sur Tinder en avril, un mois après le confinement. Nous avons peut-être échangé mille messages en un mois. Et quand je vous dis mille, je minimise! Nous étions fous d’attente!” me disait Valéria, vingt-neuf ans, qui avait l’habitude, jusque-là, de passer à l’action bien plus rapidement, en taxant les
relations virtuelles de “fake” et de “mythos”, comme la plupart des six millions d’utilisateurs de cette
application! Elle a révisé sa copie, et force est de constater qu’elle n’a jamais eu une telle ardeur à la
rencontre. “
J’en suis venue à l’évidence: je n’ai plus vraiment envie de vivre des histoires éphémères. Je ne suis plus avec Mathieu depuis longtemps. Cette romance s’est consumée comme un feu de paille. On avait beaucoup rêvé la rencontre. Trop sans doute. Mais depuis juillet, j’aime prendre mon temps avant de rencontrer les hommes. C’est autre chose. Je ne sais pas vraiment ce qui a changé…”
Vers la fin du “tout, tout de suite”
L’appétence pour le suspens, l’incertain, l’inachevé sans doute, vient faire un sacré
pied de nez au fugace, à l’éphémère, auquel elle se vouait avant à
corps et à cris. Comme s’il fallut un
blocage généralisé pour faire prendre conscience à certains que le
plaisir ne se trouvait pas forcément dans l’abondance et la compulsion. Le
confinement les a extirpés d’une évidence qu’ils se racontaient, selon laquelle il fallait “tout, tout de suite”.
Une chose est sûre, le
confinement a fait se remanier les habitudes d’utilisateurs zélés, “en manque de manque”, pourrait-on dire. Quand on en est privés, la chose, quelle qu’elle soit, prend des allures de
cadeau rêvé, à la lisière de l’imaginaire, toujours en latence, jamais acquise. “
C’est comme un coup de foudre qui durerait tout le printemps”, fait dire Flavie Flament à
son personnage féminin transi d’amour.
Les prénoms ont été modifiés.
Pour aller plus loin, vous pouvez visionner l’interview du podcast autour des addictions dans cette société de consommation où même le sentiment se consomme.
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