PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP)
La défense de l’environnement dans la Constitution, ça changerait quoi? (photo d’illustration prise le 7 mai 2017)

POLITIQUE – Les Français ne se sont pas prononcés par référendum depuis 2005. Vont-ils être appelés aux urnes pour dire s’ils souhaitent, oui ou non, inscrire la défense de l’environnement dans le premier article de la Constitution? C’est en tout cas ce que propose Emmanuel Macron.

Le chef de l’État a effectivement annoncé aux citoyens de la Convention pour le Climat, réunis lundi 14 décembre au Palais d’Iéna, qu’il allait reprendre leur proposition consistant à recourir au référendum pour “introduire les notions de biodiversité, d’environnement, de lutte contre le réchauffement climatique” dans l’article 1er du texte de 1958. 

Une victoire pour les 150 qui ont accompagné l’annonce d’Emmanuel Macron d’une petite ovation, après avoir exprimé leurs craintes de voir leur plan se faire détricoter par le gouvernement.

Mais quelles seraient les conséquences concrètes d’un tel ajout? Les défenseurs du climat sont rares à déborder d’enthousiasme. Interrogé par Le HuffPost, Arnaud Gossement ne cache pas ses nombreux doutes sur la proposition formulée la veille par le chef de l’État. Selon l’avocat, spécialiste des questions environnementales, une telle modification de la Constitution -déjà proposée par la majorité à plusieurs reprises, non seulement “n’apporte rien”, mais constitue “un net recul” par rapport à d’autres textes.

Le HuffPost: Partagez-vous la satisfaction exprimée par les citoyens de la Convention climat lors de l’annonce d’Emmanuel Macron sur le possible référendum? 

Arnaud Gossement: Non, pas du tout. D’ailleurs, c’est une proposition d’Emmanuel Macron reprise par la Convention climat et pas l’inverse. Ils ont obtenu du président qu’il respecte sa propre proposition, défendue sans succès en 2018 (avec le projet de loi constitutionnelle “pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace”) et en 2019 (avec le projet de loi “pour un renouveau de la vie démocratique”). L’idée d’introduire le climat dans la Constitution ne date pas d’hier, c’est très vieux. On la retrouve dès 2016 avec Cécile Duflot

Cette nouvelle tentative a-t-elle une chance de vraiment aboutir?

Non, le président de la République ne peut pas décider seul, il ne peut que proposer au Parlement. Et il a déjà dû reculer en 2019. Connaissant l’hostilité du Sénat aux révisions de la Constitution, le gouvernement avait abandonné.  Mêmes causes, mêmes effets, mais il pourra présenter cet échec en disant que c’est à cause de la position du Sénat.

Si jamais le processus aboutissait, quelles seraient les conséquences et l’utilité concrète de la révision de l’article 1er? 

Cela n’apporterait rien, pour plusieurs raisons. La première est que le fait d’écrire dans l’article 1er de la Constitution n’a pas plus de valeur que d’écrire dans la charte de l’environnement, qui a valeur de constitutionnalité. La deuxième raison tient dans la rédaction. L’article 2 de la charte de l’environnement nous dit que toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement.  

Pendant ce temps-là, on procrastine, on fait du débat, de la concertation, alors qu’on a déjà fait le Grenelle, la Convention citoyenne… et on ne décide rien.”Arnaud Gossement, avocat spécialiste en droit de l’environnement

Les citoyens proposent d’écrire “la République garantit la préservation de la biodiversité etc…” Mais la République n’est pas un sujet de droit: vous ne lui mettez pas les menottes, vous n’engagez pas sa responsabilité contrairement à ce qu’écrit la charte, qui parle de ‘toute personne’, c’est à dire vous, moi, ou encore une entreprise. Autre différence: ‘l’amélioration de l’environnement’ est écrit dans la charte mais pas dans la proposition de la révision de la Constitution. C’est un net recul… le but c’est de dépolluer, de faire en en sorte que les gens respirent un air amélioré, c’est le fondement du progrès du droit de l’environnement.

Malgré ces griefs, organiser un référendum n’entraînerait-il pas un débat intéressant au sein de la société, des familles sur les questions environnementales?

Je ne le crois pas. Ce qui pourrait avoir comme effet d’introduire l’environnement dans les foyers, ce n’est pas le fait de modifier la Constitution, c’est de changer la fiscalité, de leur permettre de s’alimenter avec des produits de qualités, c’est leur quotidien etc. Les vraies questions ne sont pas l’article 1er. 

Pendant ce temps-là, on procrastine, on fait du débat, de la concertation, comme sur la rénovation thermique, alors qu’on a déjà fait le Grenelle, la Convention citoyenne… et on ne décide rien. Appliquons la charte actuelle, appliquons le droit, recrutons, donnons les moyens d’appliquer les lois et on fera déjà de gros progrès. 

Emmanuel Macron a dit qu’il reprendrait leurs propositions sans filtre, mais le ‘sans filtre’, c’est un mythe.”Arnaud Gossement, avocat spécialiste des questions environnementales

Plus globalement, comment analysez-vous les suites données par le gouvernement aux travaux de la Convention climat?

Il y a eu un malentendu dès le départ. Emmanuel Macron a dit qu’il reprendrait leurs propositions sans filtre, mais le ‘sans filtre’, c’est un mythe. Le président n’est pas un monarque et il ne peut pas décider seul, comme il l’a d’ailleurs expliqué sur Brut en citant un nombre incalculable de fois l’Union européenne.

Il faut saluer le travail exceptionnel des citoyens, et c’est d’ailleurs assez triste de voir ce qui est fait de leurs propositions. Mais la question posée était aussi celle de la taxe carbone, puisque cette Convention s’est installée à la suite des Gilets jaunes. Or il n’y a rien à ce propos, rien sur les moyens d’appliquer les objectifs déjà votés. Où allez-vous trouver l’argent pour former les ouvriers pour la rénovation des bâtiments par exemple? Si vous ne proposez pas de financement pour vos mesures, vous avez un président qui prend trois mois de plus de concertation. 

À voir également sur Le HuffPost: À la Convention sur le climat, le référendum sur l’article 1 a ému Barbara Pompili


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Comments

OneCommentaires

  • Mercury Reborn

    Il est essentiel d’évaluer attentivement les implications d’un référendum sur l’intégration de la défense de l’environnement dans notre Constitution. Bien que cela puisse sembler une avancée symbolique, comme l’indique Arnaud Gossement, les véritables changements nécessitent des actions concrètes plutôt qu’une simple modification juridique. La prise de conscience environnementale doit se traduire par des politiques tangibles et une application rigoureuse des lois existantes, plutôt que par des débats sans fin. Un véritable engagement pour le climat passe par des décisions efficaces et des ressources pour agir.