Louis MALLE – France 1966 2h – avec Jean Paul Belmondo, Geneviève Bujold, Marie Dubois, Julien Guiomar, Charles Denner, Françoise Fabian, Marlène Jobert, Martine Sarcey, Paul le Person, Bernadette Lafont… Scénario de Jean-Claude Carrière et Louis Malle, d’après le roman de Georges Darien.
Du 07/12/22 au 27/12/22
Que le grand cric me croque, saperlipopette ! J’avais oublié que Belmondo avait été un aussi grand acteur : il est ici superbe d’intensité retenue, de douleur goguenarde, en malfrat sans dieu ni maître, en séducteur désabusé et dilettante dont l’amoralité n’a d’égale que son habileté à détrousser son propre clan : une bourgeoisie confite qui lui inspire un dégoût viscéral. J’avais oublié qu’elles étaient aussi belles : Geneviève Bujold, Marlène Jobert, Marie Dubois, Françoise Fabian, Bernadette Lafont… sublimes dans leurs atours valorisants de jeunes bourgeoises ou de femmes légères d’une fin de xixe siècle fabuleusement filmée par un Louis Malle à son meilleur. Par Belzebuth, qu’il était drôle Julien Guiomar en faux prélat reconverti dans la cambriole, qu’il était saisissant Charles Denner, dans son personnage fugace mais inoubliable de truand anarchiste qui vient défier un ordre qu’il vomit et une mort qu’il refuse de fuir ! Bref j’avais oublié que Le Voleur était un film magnifique. Si ça se trouve, vous aussi…
Une sombre nuit, Georges Randal entre par effraction dans une maison bourgeoise. Le geste est sûr, la routine a eu raison de l’excitation des premières fois et dans la pénombre, Georges Randal, cambrioleur revenu de tout, se souvient : orphelin adopté par un oncle plein aux as, il a commis son premier cambriolage par défi envers ce tuteur qu’il n’aimait pas et qui le lui rendait bien, et envers sa belle cousine Charlotte qui l’avait snobé. Puis il y a prit goût, surtout après avoir rencontré le très cynique abbé Lamargelle, qui le fait pénétrer dans le milieu troublant des prostituées, des cambrioleurs, des anarchistes : il est alors devenu un maître dans son domaine.
On pourrait penser à Arsène Lupin, à la chanson de Dutronc : le film a aussi cette coloration d’élégante nostalgie. Mais diable non ! Ce cambrioleur-là n’a rien d’un gentleman : il opère avec une distance froide et désenchantée, il prend un malin plaisir à saccager le mobilier avec une sorte de rage sourde. Une façon de se venger de son milieu d’origine, de régler ses comptes avec une bourgeoisie qu’il méprise : « Je fais un sale métier, mais j’ai une excuse, je le fais salement »…
De plus en plus audacieux, ses vols sont de plus en plus lucratifs. Mais même après avoir réussi à récupérer la fortune de son oncle et sa jolie cousine (délicieuse Geneviève Bujold, tout en fausse ingénuité) il continuera, sans nécessité matérielle aucune, de faire « salement son sale métier »…
C’est l’adaptation du sulfureux roman de Georges Darien, que Belmondo adorait ; et Louis Malle se reconnaissait dans ce Georges Randal issu, comme lui, d’un milieu aisé et conventionnel : « nous avions rompu avec lui par la révolte, la colère, le désir de se venger et de le détruire » dit-il, se liant par ce « nous » à son héros. Mais pour autant, le Randal de Malle n’est pas un contestataire, plutôt un individualiste froid qui n’espère rien, ne rêve pas, ne s’engage pas. Avec l’aide de son scénariste Jean-Claude Carrière, Louis Malle excelle dans la description d’une société cupide, uniquement intéressée par l’argent mais finalement, si Randal sert de révélateur à ses turpitudes, il continue à vivre avec. Quarante-cinq ans après sa sortie, on a comme qui dirait le curieux sentiment que tout ce que nous raconte ce film est toujours d’actualité.