Samedi 27 avril à 20h, rencontre avec le réalisateur Anthony CHEN
Anthony CHEN – France / Grèce / GB 2023 1h33mn VOSTF – avec Cynthia Erivo, Alia Shawkat, Ibrahima Ba, Honor Swinton Byrne… Scénario de Susanne Farrell et Alexander Maksik, d’après son roman La Mesure de la dérive.
Du 24/04/24 au 30/04/24
Une plage paradisiaque de Grèce en pleine saison touristique : les uns bronzent avec indolence, les autres se baignent, lisent ou discutent, pendant que les enfants jouent et chahutent. Les vacances, en somme !
Pourtant, dans ce parfait décor de légèreté estivale, Jacqueline, jeune femme noire étrangement vêtue pour l’endroit, traverse la plage sans regarder personne, l’air triste et hagard, perdue dans ses pensées. Jacqueline vit dans une grotte qu’elle regagne à la nuit tombée, errant comme une ombre parmi les touristes durant la journée, glanant sa maigre pitance dans les assiettes délaissées sur les tables de restaurant. Dans cette solitude absolue, elle croise un jour le chemin de Callie, guide touristique promenant un groupe au milieu de ruines historiques. Callie, autre étrangère dans ce pays, est une expatriée de cœur qui n’ose plus rentrer chez elle. Cette rencontre va jouer le rôle de catharsis et ouvrir à nouveau Jacqueline à la vie et aux émotions, tandis que se dévoilent peu à peu les fragments du traumatisme qu’elle a subi.
Dernier long-métrage du singapourien Anthony Chen, L’Échappée est aussi son premier film en langue anglaise, à la production et au casting internationaux. On lui doit notamment Ilo Ilo, présenté au Festival de Cannes 2013 : plébiscité par la presse, il a reçu des mains d’Agnès Varda, la Présidente du Jury, une Caméra d’Or décernée à l’unanimité. Ou encore le tout récent Un hiver à Yanji, qui nous entraînait dans la Chine du Nord sur les pas d’un délicat trio à la Jules et Jim, pris entre la glace et le feu.
Avec L’Échappée, Anthony Chen met tout son talent au service d’une histoire intimiste qui décline à nouveau la question et la place du lien se nouant entre des étrangers, centrale dans son œuvre.
Résistant à la tendance à convertir le déferlement des réfugiés venus de zones de conflits en des statistiques abstraites, et à celle de sensationnaliser le phénomène en le passant à la moulinette de la couverture médiatique, Anthony Chen concentre son – et notre – regard sur une figure précise, celle de Jacqueline, Libérienne naufragée sur cette île grecque au riche passé matérialisé par des ruines figurant autant une mémoire ancestrale que l’état intérieur de la jeune femme. La comédienne Cynthia Erivo nous offre dans son interprétation une vaste gamme d’émotions chaotiques – y compris, malgré la piètre situation de son personnage, la joie (bien méritée, car Jacqueline se bat pour y avoir droit). Nous voilà immergés en profondeur dans cette vie fracturée dévoilée par petites touches, par l’intermédiaire de flash-back et d’une voix off accompagnant Jacqueline dans l’acceptation et la reconstruction.
Mais ce qui distingue surtout le personnage de Jacqueline d’autres figures centrales dans les récits les plus récents sur les réfugiés, c’est le statut de quasi-élite qu’elle avait dans sa vie passée : Jacqueline est en effet la fille d’un ministre haut placé dans le Libéria de Charles Taylor, avant que la deuxième guerre civile depuis l’indépendance du pays ne culmine avec le renversement violent de son gouvernement, lui-même déjà bâti sur un coup d’État sanglant… L’Échappée devient donc le portrait délicat et sensible d’une jeune femme qui, ayant traversé l’innommable et au contact de l’amitié accueillante d’une inconnue, parvient à retrouver son chemin…