En avril, on estimait que 5 millions d’Ukrainiens avaient fui leur pays. Et pour les personnes trans, cette décision de quitter leur foyer présente une difficulté supplémentaire. “Au cours de ma récente visite en Ukraine, j’ai également été informée du fait que certaines personnes transgenres rencontrent des difficultés pour quitter le pays”, expliquait le 17 mai Dunja Mijatović, Commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe.
Alors que mardi 24 mai, cela fera précisément trois mois que Vladimir Poutine a déclenché la première offensive sur l’Ukraine, Le HuffPost fait le point sur les femmes trans, dont les difficultés sont très documentées.
Insécurité, vulnérabilité
De fait, les femmes trans qui se sont confiées à la presse depuis le début du conflit témoignent de l’insécurité et de la vulnérabilité qu’elles ressentent. C’est le cas de Zi Faámelu qui, avant de réussir à quitter le pays, osait à peine sortir de chez elle. “En tant que personne transgenre, il est déjà très dangereux de vivre en Ukraine en temps normal. Alors maintenant, c’est impossible. De nombreux homosexuels sont bien intégrés dans le reste de la société ukrainienne, mais pour les personnes transgenres, c’est une autre histoire. Il y a tellement de traits physiques pour lesquels nous sommes attaqués -un grand menton, de larges épaules. On nous tabasse, on nous tue. Il faudrait qu’on s’en aille, mais on ne peut même pas quitter nos appartements”, racontait-elle fin mars à Vice.
“La plupart des personnes trans à qui j’ai parlé en Ukraine ont peur de la Russie”, note pour le Guardian Bernard Vaernes,de l’association Safebow, qui aide les personnes vulnérables à évacuer. “Ces actes (meurtres, enlèvements, disparitions, détentions injustes et usage de la torture) cibleraient ceux qui s’opposent aux actions russes, parmi lesquelles des populations comme des minorités religieuses, éthiques, et les personnes LGBT+”, ajoute Bathsheba Nell Crocker, ambassadrice américaine auprès des Nations Unies.
Impossibilité de fuir le pays
Quand les femmes trans ukrainiennes tentent de fuir le pays, la situation se corse encore un peu plus. Selon la loi martiale en cours dans le pays, les hommes âgés de 18 ans à 60 ans sont tenus de rester en Ukraine pour se battre. Or, sans papiers d’identité correctement genrés, ces femmes restent aux yeux de la loi des hommes.
“J’ai eu un problème parce qu’on m’a dit qu’un certificat de naissance n’était pas suffisant pour passer la frontière. Il fallait une pièce d’identité et je n’en ai pas. J’ai eu peur qu’on ne me laisse pas passer”, craignait Joanne, auprès d’Euronews. Elle a finalement réussi à quitter le pays. Comme elle, les femmes trans qui arrivent à la frontière sans papiers d’identité ou avec une carte d’identité affichant toujours un genre masculin se voient au mieux essuyer un refus de partir, au pire peuvent être poursuivies.
Dans un article de Rolling Stone, Zi Faámelu raconte en détail son escapade. “Passe, mais sache… qu’on n’aime pas les gens comme toi”, lui lance un premier garde-frontière. Plus tard, aidée d’un chauffeur, elle se retrouve dans un bureau d’exécution militaire à la frontière roumaine, où on lui annonce qu’elle devra combattre auprès des hommes. Le chauffeur qui l’accompagnait lui suggère alors dans la nuit: “Tu sais nager? C’est la seule option, tu nages pour passer la frontière de Sighetu (une ville du nord-ouest de la Roumanie, ndlr), à travers le Danube, illégalement. Ainsi, tu seras une réfugiée, mais tu auras enfreint la loi”. Acceptant cette idée, elle manque de se noyer, mais atteint son but. Elle est aujourd’hui réfugiée en Allemagne.
Examens aux frontières
Certains conseillent aux personnes trans de ne surtout pas perdre leurs papiers d’identité, quand d’autres recommandent de faire semblant de les ”égarer”. C’est le cas du militant LGBT+ Rain Dove, qui a lancé un fonds pour aider les personnes LGBT+ en Ukraine. “Si vous êtes une femme trans avec un ‘H’ sur votre passeport, ou si vous êtes non conforme au genre ‘H’, nous vous recommandons d’‘égarer’ votre passeport avant de vous adresser aux fonctionnaires ukrainiens. Cachez votre carte d’identité dans une bouteille d’eau ou sous la semelle de votre chaussure. Si vous êtes arrêtée, vous pouvez simplement dire que vous n’êtes pas d’ici, que vous êtes étudiante en Ukraine ou que vous êtes de passage. Sans pièce d’identité, vous serez envoyée dans une longue file d’attente de ressortissants étrangers, mais vous parlerez alors à des fonctionnaires des pays frontaliers et vous pourrez présenter votre pièce d’identité sans problème. Cela a fonctionné dans 100% des cas”, rapporte-t-il.
Femmes trans comme hommes trans mais aussi, plus généralement, toutes les minorités de genre, font face à une violence supplémentaire à celle de la guerre. C’est pourquoi Dunja Mijatović appelait cette semaine tous les États membres à prêter attention à leur situation.