Pour arriver à ce résultat, les chercheurs ont étudié les comportements des utilisateurs de deux jeux : Animal Crossing: New Horizons (Nintendo) donc, et Plants vs Zombies: Battle for Neighborville (Electronic Arts). Et pour la première fois, ils ont pu s’appuyer sur des données de télémétrie fournies par les deux éditeurs. Ainsi, les chercheurs ont pu avoir avoir accès au temps effectif passé manette en main. Puis ils ont fait passer un questionnaire à quelque 3 274 joueurs pour mesurer leur bien-être et leurs motivations.
« Si vous jouez à Animal Crossing quatre heures par jour, tous les jours, et bien il est probable que vous déclariez être plus heureux que quelqu’un qui n’y joue pas »
En compilant ces données, les chercheurs ont pu observer que les joueurs surestiment largement leur temps passé à jouer – de plus de deux heures. Découverte importante, puisque dans les autres études sur les jeux vidéo, les recherches s’appuyaient généralement sur les temps de jeu déclarés par les joueurs, donc faussant potentiellement leurs résultats. Ils se sont aussi aperçus que les joueurs qui jouent simplement pour leur plaisir déclarent se sentir mieux, alors que ceux qui jouent pour des motivations extrinsèques – par exemple parce que leur patron leur tape sur le système ou qu’ils sont sur les nerfs – présentent une relation négative au bien-être.
En conclusion, ils sont alors à même d’affirmer que le temps passé à jouer est un facteur minime mais positif dans le bien-être des joueurs. Le responsable de l’étude, le psychologue Andrew Przybylski, l’exprime ainsi plus clairement : « Si vous jouez à Animal Crossing quatre heures par jour, tous les jours, et bien il est probable que vous déclariez être plus heureux que quelqu’un qui n’y joue pas. » Mais attention, cela ne signifie pas pour autant qu’Animal Crossing en-soi vous rende heureux – observer une corrélation n’implique pas de relation de cause à effet.
Ces résultats – qui demandent encore à être validés puisque l’étude n’a pas encore revue par des pairs (ou peer-reviewed en VO) – vient donc à rebours du climat ambiant sur les rapports entre jeux-vidéos et santé mentale.
« Publier des études sur la violence et les jeux vidéos par exemple, c’est l’assurance pour les chercheurs d’obtenir beaucoup de citations »
Depuis des années, les chercheurs et les médias ont effectivement préféré se focaliser sur l’exploration du potentiel impact négatif des jeux vidéo. « Ces études alimentent la méfiance des parents et des législateurs envers les jeux », explique Celia Hodent, auteure de The Psychology of Video Games. Ainsi, ce climat entraîne dans un effet boule de neige la commande et le financement d’autres études qui vont dans le même sens et font passer les jeux vidéo pour une substance toxique comme l’alcool, regrette celle qui a aussi été directrice de l’expérience utilisateur au sein d’Epic Games, l’éditeur de Fortnite.
« Publier des études sur la violence et les jeux vidéos par exemple, c’est l’assurance pour les chercheurs d’obtenir beaucoup de citations », abonde le psychologue Yann Leroux, qui a recours aux jeux-vidéos pour mener ses thérapies. « En revanche, publier sur la vie sociale des gamers, et bien ça apporte beaucoup moins de citations. »
Le souci, c’est que ces études et articles finissent par avoir un effet au-delà du champ de la recherche et influencent les décisions politiques et sanitaires. Par exemple, en 2018, l’Organisation mondiale de la Santé a ajouté le « gaming disorder » à sa liste des pathologies – une décision largement critiquée par bon nombre de chercheurs pour qui ce trouble n’a pas de base clinique.
Ainsi, en cherchant à pathologiser le fait de (trop) jouer aux jeux vidéo, on risque donc d’essayer de réguler cette pratique. Pourtant à la lumière de l’étude de l’OII, il semblerait que passer une partie de son temps devant un jeu vidéo soit lié à un surplus de bien-être. Donc en limitant l’accès aux consoles, on pourrait donc priver certains joueurs des bénéfices non-négligeables qu’ils en retirent.
Les chercheurs espèrent que ce type d’étude pourrait aider les décideurs politiques et sanitaires à prendre des décisions plus renseignées sur la manière dont il convient d’aborder les jeux-vidéos. D’autant que leur étude vient s’ajouter la poignée de précédentes recherches portant sur l’impact positif des jeux-vidéos sur la santé mentale.
« Quelques études avaient déjà montré l’impact de certains jeux sur l’estime de soi, en s’intéressant aux niveaux de celle-ci avant puis après avoir joué à Mario 64 par exemple », illustre Celia Hodent. Mieux, certains jeux ont un effet positif avéré sur la santé comme EndeavorRX, qui vient d’être approuvé par l’agence de santé américaine pour traiter les enfants présentant un trouble de l’attention. Or, ces explorations des impacts potentiellement positifs des jeux vidéo restent souvent occultées, moins financées, ou moins mises en avant, regrette Hodent. « Ce qui est vraiment dommage d’autant que l’on sait que de jouer de façon générale est bénéfique aux humains. »
Le chemin à parcourir avant de changer la représentation des gamers, des jeux vidéo et de l’impact de ceux-ci s’annonce donc encore long, craint Yann Leroux, qui rappelle que le gamer est autant votre grand-mère qui joue au Scrabble sur son téléphone que votre pote qui passe ses après-midis sur Call of Duty. Un vœu partagé par Celia Hodent, qui espère que « les recherches montrant l’impact positif que peuvent avoir les jeux vidéo devraient apporter de la nuance dans le discours public sur les jeux. »
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