Capture d’écran de la série documentaire « Burari : Le mystère d’une tragédie familial ». Photo publiée avec l’aimable autorisation de Netflix Inde.
Sur cette famille de onze personnes issues de trois générations différentes, dix pendent au plafond, les yeux bandés, la bouche bâillonnée et les mains attachées dans le dos. Quant à la doyenne de la maison, elle gît étranglée dans un coin.
Comme le reste du pays, la réalisatrice Leena Yadav, basée à Bombay, a été très affectée par l’événement. « Cette histoire m’a vraiment choquée, raconte-t-elle. Mais ensuite, ça s’est compliqué et les médias ont commencé à accumuler les versions. Mais personne n’a été en mesure de fournir des réponses ou des explications. »
Yadav s’est alors mise à chercher ses propres réponses, ce qui a donné naissance au documentaire en trois parties Burari : Le mystère d’une tragédie familiale, sortie sur Netflix ce mois-ci. Un documentaire qui fait actuellement des vagues en Inde, au Pakistan et dans plusieurs pays d’Asie.
Yadav se souvient que l’impact de l’événement sur la communauté s’est rapidement estompé, les médias préférant chasser les prochaines nouvelles et les prochains scandales. « Quand des choses comme celles-ci arrivent, on oublie que ça vaudrait la peine de creuser davantage, surtout avec un cas aussi exceptionnel. Rien de tel n’a jamais été documenté auparavant par la police. »
Mais l’histoire est restée dans l’esprit de Yadav. Fin 2018, elle l’a soumise à Netflix, qui n’avait débarqué sur le marché local que deux ans plus tôt. « Je leur ai dit que j’étais habituée à la structure narrative des films, et que je n’avais encore jamais réalisé de documentaire, se souvient Yadav. Mais cette affaire ne se prêtait pas vraiment à la fiction, alors je me suis lancée dans le projet en tant qu’autodidacte. »
Avant le début du tournage, Yadav s’est abstenue de faire recherches approfondies. L’idée était d’éplucher les différentes couches de l’histoire au fur et à mesure des entretiens avec les personnes liées à l’affaire – voisins, amis, famille éloignée, policiers, journalistes et psychologues. La production a accumulé plus de 400 heures d’interviews, un total « émotionnellement épuisant » pour toute l’équipe.
« Pendant des semaines, la nouvelle est restée à la une, mais aucun média n’a pris la peine d’analyser l’affaire, affirme Yadav. Mon approche consistait à demander non pas qui avait commis l’acte, mais pourquoi. »
Progressivement, Yadav a commencé à reconstituer l’histoire qui a conduit à ce jour fatidique. S’agissait-il vraiment d’un suicide collectif, d’un cas de psychose partagée, ou d’un meurtre ? Il n’y avait pas de réponses faciles et les flics n’avaient jusqu’à présent qu’effleuré la surface.
Yadav explique que la police étudiait officiellement la piste de la psychose partagée, un trouble mental caractérisé par une croyance délirante partagée par deux ou plusieurs personnes étroitement liées. Seulement, le « délire » dans cette affaire ne concernait pas deux ou trois personnes, mais onze, dont des femmes, des enfants et des hommes âgés de 12 à 80 ans. Tous ceux qui les connaissaient trouvaient que c’étaient des gens bien, sociables et généreux. En fait, tout semblait aller pour le mieux pour eux.
« Il ne s’agissait pas d’une famille étrange vivant dans l’isolement, insiste Yadav. L’idée du documentaire était de montrer qu’il est facile pour nous de regarder un cas comme celui-ci et de penser que cela ne peut pas arriver à nos familles. Mais c’est juste un aperçu des secrets, des vérités cachées et des traumatismes que nous avons tous et que nous choisissons d’ignorer. »
Le plus grand défi pour Yadav a été de parvenir à la vérité. Au début, toutes les personnes interrogées ont montré une volonté de dissimuler les choses les plus désagréables ou embarrassantes, répétant inlassablement que les victimes étaient des « gens bien ». Pour Yadav, c’était un signal d’alarme évident.
« Comment était-il possible que tout le monde n’ait que des opinions positives à exprimer ? N’étaient-ils pas aussi des êtres humains avec des défauts ? Je n’ai réalisé que plus tard qu’il s’agissait de cette façade que nous avons tous tendance à adopter, pensant que les secrets de famille doivent rester une affaire de famille. On nous apprend dès l’enfance à ne pas laver notre linge sale en public. »
Le deuxième épisode de la série, intitulé « 11 journaux », marque le tournant de l’histoire, la découverte par la police de journaux intimes écrits à la troisième personne sur une période de 11 ans. Les journaux contenaient des instructions détaillées sur la façon dont chaque membre de la famille devait vivre sa vie, par exemple où il devait investir son argent, ainsi que des informations sur la « rédemption collective », c’est-à-dire le suicide, notamment la façon dont les pendaisons devaient être effectuées.
« Quand la nouvelle est sortie, je refusais de croire que des enfants d’à peine 12 ou 13 ans aient pu accepter de prendre part à tout cela, dit Yadav. Mais avec le recul, c’était tout ce qu’ils avaient toujours connu. Cette vision délirante était tout leur monde, c’était quelque chose de complètement normal. »
La dernière entrée des journaux concerne le rituel macabre de l’« arbre banian », selon lequel les membres de la famille devaient se pendre dans une disposition rappelant les racines tombantes de cet arbre, en partant du principe que leur patriarche décédé les sauverait de la mort. L’enquête policière sur les journaux intimes a révélé que ces croyances et rituels avaient été imposées par un seul membre relativement jeune de la famille, qui avait des antécédents de traumatisme non traité et se croyait habité par l’esprit de son père.
« Nous savons maintenant qu’un membre de la famille avait des problèmes mentaux et était derrière tout cela, mais ce n’est qu’un aspect de la question. C’était l’élément déclencheur, bien sûr, mais ça n’explique pas tout. Peut-être que les dix autres membres avaient leur propre histoire personnelle qui les rendait si vulnérables ? Nous n’avons pas toutes les réponses », explique Yadav.
La réalisatrice espère que la série incitera ne serait-ce qu’une seule famille à s’asseoir autour d’une table et à affronter ses traumatismes et ses problèmes. Dans ce cas, l’objectif du documentaire serait atteint, même au prix du choc initial de l’histoire.
« Nous avons ressenti de la peur en travaillant sur le documentaire. Tous les membres de l’équipe ont fait des cauchemars, moi y compris. C’était un processus émotionnellement épuisant. Et la réaction du public le reflète. Je crois que ce documentaire ne porte pas nécessairement sur cette famille, mais sur nous tous. »
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